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« Il faut définir un projet collectif fondé sur de véritables idéaux de liberté et d’égalité »

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Jean-Christophe Parisot de Bayard n’est pas un préfet comme les autres. Sociologue et politologue, voilà des mois qu’il sillonne la France, dans son fauteuil roulant, pour accompagner le plan de lutte contre la pauvreté. Une expérience qui a nourri un ouvrage dans lequel il aborde, de façon toute personnelle, la question de notre identité collective, du rapport à la laïcité et de la place des exclus
Vous avez parcouru la France avec François Chérèque pour lancer le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Qu’en retenez-vous ?

J’ai visité 18 départements, aussi bien en milieu urbain que rural, et j’ai été frappé par l’augmentation de la pauvreté en France. Ce n’est pas prioritairement dans des quartiers difficiles qu’elle est la plus criante, mais plutôt dans les territoires excentrés. Je pense à la précarisation des femmes, notamment dans le monde rural. Beaucoup n’ont pas de mutuelle, parce qu’elles n’ont pas les moyens de la payer. Cela confirme que la pauvreté est un mécanisme cumulatif, avec des exclusions enchaînées les unes aux autres, aboutissant à un enfermement difficile à vaincre. La difficulté principale que rencontrent les gens en situation de pauvreté est l’accès aux droits. Pour la plupart, ils les connaissent mal, voire pas du tout. Il faut dire qu’il y a un problème considérable d’information, avec des prestations qui font souvent doublon. J’ai constaté aussi un décalage dans la temporalité entre ces différentes prestations, qui fait que les gens ne savent plus très bien quoi déclarer ou demander. Il manque en outre une réflexion collégiale entre les intervenants (Mutualité sociale agricole, centre communal d’action sociale, conseil général…). Il faudrait que tous ces acteurs se mettent autour d’une table pour apporter une réponse rapide à chaque situation.

Vous dites que notre identité collective souffre de l’absence d’un récit fondateur…

C’est le cœur de l’ouvrage. Le récit républicain n’est plus central. Il s’est appauvri avec des références assez vagues aux droits de l’Homme, mais sans réelle volonté de créer un projet commun. La disparition de la mystique républicaine est certainement la pire des menaces. Nous vivons dans un monde désenchanté devenu vulnérable aux idéologies les plus perverses. Il faut donc retrouver ce sens du récit collectif pour fonder une véritable croissance, pas seulement économique mais aussi sociale et morale. Pour cela, il m’a semblé utile de revenir sur l’histoire des Républiques françaises afin de comprendre ce désenchantement. Les valeurs de 1848, en particulier, permettaient de relier les citoyens à cet idéal collectif qui n’existe plus. Il est urgent de réconcilier l’humanisme, les droits de l’Homme et la spiritualité et de retrouver le sens du débat et de la fraternité autour d’un projet commun.

Vous parlez de projet spirituel. Mais n’est-ce pas antinomique avec le respect de la laïcité ?

C’est bien le problème. Nous sommes piégés par une laïcité que je n’hésite pas à qualifier d’ « intégriste ». Il faut aller vers une laïcité plus tolérante. La société française doit comprendre que ce n’est pas en rejetant le religieux ou le sacré qu’elle pourra avancer, au contraire. Je suis bien conscient que ma parole peut paraître assez iconoclaste, mais je crois qu’il ne faut pas se fermer à ces questions essentielles. Le religieux est aussi une liberté publique. Pourquoi ne pas accepter que les tenants des religions tout comme les libre-penseurs aient accès au débat public. On considère trop souvent que le domaine spirituel relève de l’obscurantisme. Les musulmans, les chrétiens ou encore les juifs portent pourtant des valeurs fortes et un véritable questionnement sur le sens de la vie. C’est pour cette raison que mon ouvrage s’appelle Plus que la fraternité. Il est nécessaire d’aller plus loin que ce que l’on conçoit aujourd’hui comme la fraternité républicaine. On peut très bien imaginer des accommodements pour que cette laïcité soit moins rigide afin que toutes les populations se sentent vraiment accueillies dans la République.

L’islam doit aimer la République, affirmez-vous. De quelle façon ?

Je suis convaincu qu’il faut un islam de France, en France, avec des porte-parole et une organisation du culte. On a tendance à se masquer les yeux en prônant un laïcisme strict marqué par le refus de subventionner les cultes. Mais si l’on n’aide pas le culte musulman à s’organiser, il le fera tout seul, avec des imams parfois suspects et des financements potentiellement douteux. La République doit aller vers l’islam comme elle l’a fait pour la religion juive au travers du système concordataire mis en place au cours du XIXe siècle. Bien sûr, il y a eu une tentative d’organiser la représentation de l’islam en France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais il est nécessaire d’aller plus loin en réfléchissant à un nouveau système concordataire, à l’image de ce qui existe en Alsace. Si on ne le fait pas, on prend le risque de laisser des intégristes prendre en main l’organisation des musulmans de France.

Selon vous, nous sommes atteints d’une « helvétisation » de la pensée. Que voulez-vous dire ?

De la même manière que la Suisse prétend ne pas se mêler des conflits des autres, nous ne voulons pas nous impliquer trop fortement dans les débats qui nous gênent. Je pense à la question de notre identité collective, mais aussi à la désacralisation de la République. Par exemple, je suis choqué quand je vois un préfet, qui représente la République, accueilli dans un conseil régional comme le premier quidam venu. Un minimum de cérémonial me paraît nécessaire car cela a du sens. Bien sûr, les élus sont aussi responsables de cette situation en n’ayant pas toujours pris la mesure de leur charge. Trop souvent, ils ne sont pas assez conscients de leurs responsabilités et se donnent en spectacle. On peut comprendre que les citoyens aient du mal à leur accorder leur respect et leur confiance.

Vous dénoncez aussi ce que vous appelez l’ » économie spectacle »…

En effet, certains responsables politiques se prennent pour des professeurs d’économie. La conséquence est que le débat public se résume souvent à des analyses un peu tristes et sans ambition. Il est nécessaire que les élus mettent l’économie au service d’un projet politique, et non l’inverse. Aujourd’hui, on a l’impression que l’on se contente de gérer la dette, mais pourquoi, dans quel but ? On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance.

Face à la crise, vous appelez à un changement de méthode. Mais comment ?

Il faut déjà définir un projet collectif fondé sur de véritables idéaux de liberté et d’égalité. Pour cela, on peut revenir aux fondamentaux issus de 1789 : on ne peut être citoyen si l’on ne vise pas l’égalité ; l’aisance doit être proportionnelle au travail ; l’Etat doit assurer à chacun des moyens de subsistance. Concrètement, je propose de nous inspirer du système des ateliers nationaux créés en 1848 pour donner du travail aux ouvriers au chômage. Nous pourrions créer des ateliers citoyens qui offriraient un travail d’utilité sociale à tous ceux qui crèvent de se sentir inutiles. Ces ateliers pourraient être financés par des clauses sociales dans les contrats publics, des fondations, des dons… Ils proposeraient des tâches utiles à la société : aide à la mobilité, présence auprès des anciens, entretien de bâtiments publics, mise sous plis de professions de foi électorales… Bien sûr, de nombreux obstacles devraient être levés, mais les réalisations similaires – les Godwill Industries aux Etats-Unis ou le mouvement Emmaüs en France – fonctionnent depuis longtemps avec succès. On pourrait mener une expérimentation dans quelques départements pour voir comment cela fonctionne. Il ne s’agit pas de créer un dispositif d’insertion supplémentaire, mais simplement de permettre à des personnes en difficulté de bénéficier d’un revenu complémentaire. Une autre proposition est celle de l’impôt choisi. Chaque contribuable pourrait choisir de payer un peu plus que son impôt normal en affectant cette somme à une thématique précise : éducation, logement, défense, social… Si l’on mobilise l’idéal du citoyen, beaucoup de personnes seraient contentes de pouvoir contribuer à telle ou telle action publique.

Vous appelez à un grand « New Deal des exclus ». Quel en serait le contenu ?

Mes nombreuses rencontres sur le terrain m’ont confirmé dans l’idée que les personnes souffrant d’un certain nombre de limites – les handicapés, les malades, les sans-abri… – disposent en réalité de ressources. On a tendance à valoriser toujours les mêmes – les sportifs, les créateurs de start-up, les élites – mais les exclus représentent une autre facette de la croissance malheureusement oubliée. Il faut permettre à ces personnes que l’on dit moins productives d’être associées à la production de la richesse nationale. Arrêtons de vouloir assister les personnes vulnérables sans jamais reconnaître qu’elles ont, elles aussi, des capacités !

Repères

Le sociologue et politologue Jean-Christophe Parisot de Bayard est préfet, chargé de la lutte contre la pauvreté, le racisme et les discriminations. Il a initié l’opération « Différent comme tout le monde ». Il publie Plus que la fraternité. Plaidoyer pour une croissance sociale et morale (Ed. L’Harmattan, 2015).

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