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Assistant de service social, un métier mal-aimé ?

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Depuis plusieurs années, la filière de formation des assistants de service social connaît une lente érosion de ses effectifs. A la désaffection des jeunes générations pour ce métier s’ajoute l’image négative qu’en ont eux-mêmes les plus anciens. Dans les écoles de travail social, on se demande comment enrayer le désamour

Branle-bas de combat dans les milieux de la formation. Depuis le milieu des années 2000, les établissements de formation en travail social enregistrent un phénomène de désaffection de la filière d’assistant de service social (ASS). Certaines écoles ont vu le nombre de candidats se présentant aux épreuves d’admission divisé par deux, voire par trois, depuis 2005. L’ouverture de plusieurs sessions de sélection dans l’année pour maintenir le quota d’étudiants est devenue courante. « Cette tendance à la réduction des effectifs revêt aujourd’hui un caractère majeur, d’une part pour les établissements qui dispensent la formation d’ASS, d’autre part pour la profession elle-même puisque cette tendance pourrait rejaillir sur le niveau des étudiants entrant en formation », observe, dans une étude sur « Le déclin des vocations »(1), le pôle ressource du Groupement de recherche d’Ile-de-France (Prefas-GRIF). Une situation impensable il y a une dizaine d’années, quand la filière s’enorgueillissait d’un ratio de sept à dix demandes pour une place en formation. Pire, « cette tendance généralisée s’est accélérée depuis 2008 », constate le Prefas-GRIF. Certains effectifs de première année connaissent une diminution de 25 à 50 %, au point que certaines écoles diminuent la capacité de leurs promotions.

Alarmée également, la commission permanente « niveau III » de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) a piloté un groupe de travail pour mener une étude sur l’attractivité des formations de niveau III (éducateur technique spécialisé, éducateur de jeunes enfants, éducateur spécialisé, conseiller en économie sociale et familiale et assistant de service social)(2). Objectif : réunir des données objectives permettant de comparer la situation entre les différents cursus et engager la réflexion.

LA FORMATION D’ASS DANS LE ROUGE

Réalisée sur la base d’un questionnaire national diffusé aux 130 établissements du réseau de l’Unaforis, complété par une compilation de données statistiques, l’étude confirme que, de toutes les formations observées, celle d’ASS est la seule qui présente une évolution négative de la courbe des étudiants depuis 2005. Le nombre de nouveaux inscrits dans les filières d’éducateur spécialisé, d’éducateur de jeunes enfants et d’éducateur technique spécialisé a augmenté sur la même période dans une fourchette de 8 à 15 %. Celle de conseiller en économie sociale et familiale affiche, quant à elle, une croissance remarquable de 35 %. En revanche, la filière d’assistant de service social a enregistré une chute de ses effectifs de l’ordre de 13 %.

L’examen de sélection des étudiants, constitué d’une première épreuve écrite de connaissances générales suivie d’une épreuve orale de motivation, a été passé au crible. D’après les données collectées, on observe une baisse du nombre des candidats reçus aux épreuves écrites sur l’ensemble des filières, à tel point que les écoles ont dû baisser leurs critères d’admission « pour pouvoir disposer d’un volume probant en termes de sélectivité avant les épreuves orales ». Mais la filière d’ASS subit une double peine, puisqu’elle enregistre un taux d’abandon particulièrement élevé entre l’épreuve écrite et l’épreuve orale. Sur les cinq dernières années, le nombre de candidats à l’épreuve orale a chuté de 40 %. La formation d’ASS n’est donc plus qu’un second choix pour de nombreux jeunes désireux de s’orienter vers le travail social.

Les explications avancées sont multiples. La première touche à la précarisation croissante des étudiants en travail social, difficilement compatible avec l’intensité de la formation, dont le volume horaire (trente-cinq heures par semaine) limite les possibilités de travailler à côté. Quant aux bourses versées aux étudiants des formations sociales, leurs montants varient selon les régions(3). Par ailleurs, les financements via les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ou Pôle emploi tendent à se réduire et rendent difficiles les projets de formation dans le cadre, par exemple, des reconversions. La formation d’ASS a aussi été la première à avoir été réformée en 2004, et donc la première à enregistrer les effets des nouvelles modalités de certification avec une chute du taux de réussite au diplôme d’Etat d’assistant de service social (DEASS). Des promotions de 40 à 45 étudiants, qui connaissaient jusqu’alors un ou deux échecs lors de l’obtention du DEASS, ont compté jusqu’à dix étudiants recalés. « Les forums d’étudiants ont alors diffusé lors des premières sessions du diplôme d’Etat réformé des messages négatifs autour du déroulement des épreuves, ce qui a certainement joué un rôle de repoussoir par rapport à l’entrée en formation », estime Chantal Mazaeff, directrice adjointe de l’Institut supérieur social de Mulhouse et coanimatrice de la commission permanente « niveau III » de l’Unaforis (voir aussi sa tribune libre, ce numéro page 38).

L’EMPLOI PRÉCARISÉ

Autre élément à prendre en compte : l’évolution de l’entrée dans l’emploi. Depuis plusieurs années, le contrat à durée déterminée (CDD) semble devenu la règle pour le premier emploi dans les métiers du social, en particulier chez les assistants de service social, qui sont seulement 10 % à entrer dans la profession avec un contrat à durée indéterminée (CDI). Le poids des conseils généraux et des administrations dans les employeurs explique en partie ce phénomène. Embauché comme contractuel, un assistant social doit passer les concours d’entrée dans la fonction publique – difficiles et rares – pour être titularisé. « Après l’obtention de leur diplôme d’Etat, certains ASS sont obligés de se présenter deux, voire trois fois au concours. Cela coûte très cher et oblige les personnes à des déplacements interminables. On peut par ailleurs s’interroger sur cette pratique qui participe à noircir l’image de l’accès au métier », déplore Chantal Mazaeff.

Les témoignages d’une itinérance professionnelle, avec des temps partiels subis et des remplacements à répétition, se sont multipliés sur les réseaux sociaux ou les forums spécialisés. Marjorie M., diplômée en 2009 à Toulouse, raconte son parcours de galère où les creux entre deux CDD ont été comblés par des petits boulots. « Nous étions 45 dans notre promotion. Beaucoup ont dû partir en région parisienne, certains ont recommencé des études faute de débouchés, d’autres ont trouvé un travail dans la grande distribution ou chez McDo. » Après 280 CV envoyés, qui ne lui ont permis de décrocher que quelques entretiens, elle a dû déménager dans une autre région pour être recrutée comme assistante sociale du personnel… en CDD. « Certains employeurs m’expliquaient qu’ils recevaient tellement de candidatures à un poste qu’ils sélectionnaient les premières sur la pile. J’ai vécu cette recherche d’emploi comme une souffrance comme jamais je n’en avais connue. On n’imagine pas le regard de la société quand vous vous dites “assistante sociale et sans emploi” ! »

Dans son étude sur « Le déclin des vocations »réalisée dans le cadre du diplôme d’Etat d’ingénierie sociale (DEIS), le Prefas-GRIF pointe un phénomène encore plus déstabilisant pour les jeunes générations. Après avoir interviewé 16 assistantes sociales d’Ile-de-France, il constate l’apparition d’un bashing (dénigrement) antimétier alimenté par les professionnels en poste. Tout en décrivant une profession « entre perte de sens et perte de désir », l’étude rapporte des propos d’ASS très noirs, allant de la « détestation du métier » jusqu’à l’impossibilité devenue quasi physique d’« écouter les personnes » au milieu d’un cortège d’aveux d’« épuisement », de « déception », de « sentiment d’inutilité ». Les assistantes sociales, écrit le GRIF, semblent exposées à un conflit entre référentiel professionnel, représentations de la profession et réalités de terrain. Elles témoignent en fait d’« une incompréhension des modalités d’exercice qui les conduit à une réflexion globale sur l’utilité sociale de la profession. » Par ailleurs, 11 ASS ont évoqué la probabilité d’une réorientation et deux ont mis leur projet à exécution durant le temps de l’étude (entre février 2013 et octobre 2013).

Un phénomène d’autant plus grave que les professionnels en poste ont toujours été des prescripteurs d’orientation influents auprès des personnes réfléchissant à une carrière sociale. Questionnées sur la transmission des valeurs du métier et le conseil auprès des jeunes en phase de détermination professionnelle, les 16 ASS ont été unanimes. « Au mieux, elles mettent en garde la jeune génération contre les réalités de terrain et les difficultés que cela suppose ; au pire, elles contre-indiquent clairement une orientation dans la profession. »

Une vision négative dont Nathalie Pot, assistante sociale dans un institut pour traumatisés crâniens labellisé « site qualifiant », mesure les effets sur les étudiants qu’elle accompagne. « Si l’alternance entre école et terrain de stage leur permet d’occulter le problème de la précarité de l’entrée en emploi, les réseaux leur rappellent qu’ils devront s’y confronter. De même, ils se passionnent pour le travail social collectif, tout en sachant que, dix ans après la réforme qui a introduit cette modalité dans leurs études, rares sont les employeurs à s’en être saisis. Certains en arrivent à se démotiver », explique-t-elle.

Face à ces signaux, l’Unaforis estime indispensable d’engager un plan d’urgence. « La priorité est de démonter le discours négatif sur l’entrée dans le métier. Il faut montrer aux jeunes que les formations en travail social mènent à l’emploi », martèle Chantal Mazaeff. Contrairement au discours qui se répand, les statistiques sont positives, assure le groupe de travail de l’Unaforis. Le secteur du social est l’un des rares à continuer de recruter alors que l’économie française est en berne. En dépit de la généralisation du CDD en début de carrière, il est aussi le secteur où l’insertion professionnelle des jeunes diplômés est la plus rapide : deux mois en moyenne avant de décrocher un premier emploi, avec des salaires médians similaires à ceux des professions non sociales à niveau de diplôme égal.

L’autre chantier, pour l’Unaforis, est le renforcement de l’attractivité des professions. Si toutes les écoles de travail social informent sur les métiers (forums, portes ouvertes, encarts dans les journaux locaux), « le développement de cette communication via les réseaux sociaux est une donne à prendre en compte ». D’ores et déjà, l’idée d’une campagne nationale destinée à valoriser l’image des professions sociales est évoquée. Les écoles sont également invitées à jouer la carte de la transparence et à s’orienter vers la construction d’indicateurs communs, dont le manque se fait cruellement ressentir. « Il s’agit de produire des données relatives à l’insertion des diplômés, élément majeur dans les temps à venir pour attirer les jeunes », souligne l’Unaforis.

La pente sera néanmoins longue à remonter tant l’écart s’est creusé par rapport aux filières techniques ou commerciales. « Les métiers du travail social ne figurent même pas dans la plateforme d’admission postbac, mise en place par l’Education nationale pour simplifier les démarches de préinscription dans l’enseignement supérieur en regroupant sur un seul site l’ensemble des formations postbaccalauréat », rappelle Marie-Pierre Sarat, directrice générale de l’Institut méditerranéen de formation et recherche en travail social (IMF).

UNE STRATÉGIE DE RECONQUÊTE

Faisant partie des rares écoles du travail social à avoir stoppé l’hémorragie de ses effectifs étudiants, l’IMF témoigne de la nécessité pour le secteur d’engager une politique de reconquête. Son service d’information et d’orientation travaille, par exemple, en lien avec les prescripteurs de formation que sont les missions locales, les agences de Pôle emploi ou les Cap emploi. Avec le soutien du conseil régional de PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur), l’institut a également intégré des préformations en travail social dans le périmètre de ses missions. Sur une période de deux ou trois mois, des jeunes peuvent affiner leur projet professionnel, rencontrer des travailleurs sociaux, assister à des tables rondes, voire effectuer des ministages de découverte (de une semaine à quinze jours) pour découvrir la réalité du métier. « C’est un outil précieux, car tout le monde n’est pas fait pour être travailleur social. Cela permet d’avoir des candidats qui, s’ils poursuivent ensuite leur projet, le feront en connaissance de cause. Mais c’est aussi un moyen pour l’institut de travailler sur les prérequis, tels que l’écrit, pour maintenir un bon niveau de sélection », explique Marie-Pierre Sarat. Depuis 2011, ces mesures permettent à l’IMF de maintenir ses promotions, malgré « la volatilité des candidats ».

Reste le fond du problème. La désaffection pour la formation d’ASS ne pourra se résoudre que si les professionnels prennent conscience du poids de leur discours sur les représentations que se construisent les jeunes générations, défend Chantal Goyau, directrice générale de l’Ecole supérieure de travail social (ETSUP) à Paris et présidente du GRIF. « On peut transmettre les interrogations sur l’évolution du métier, sans pour autant le tirer vers le néant. Nous sommes vraiment à un moment charnière qui oblige à clarifier les messages que nous faisons passer. » Et de plaider pour favoriser, dès la formation des assistants sociaux, une éthique professionnelle dans le discours véhiculé auprès des jeunes générations. Cette « éthique de la transmission vocationnelle » permettrait aussi d’améliorer l’accueil des stagiaires sur les sites qualifiants, « là où la rencontre avec le métier se fait », explique Chantal Goyau.

Ces différentes propositions seront-elles suffisantes, alors que les derniers chiffres de la DREES (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques)(4) montrent que la filière d’ASS vient encore de se vider de 5 % de ses effectifs entre 2011 et 2013, qui sont passés de 8 537 à 8 109 étudiants ? « Quand on est candidat, on a envie de rencontrer des professionnels fiers de leur métiers ! Qu’est-ce qui soutient ou non les professionnelles aujourd’hui à tenir leur place et à porter l’étendard ? Qu’est-ce qui les pousse à s’engager ? », s’interroge Odile Fournier, formatrice en travail social et sociologue(5), qui invite au sursaut.

De la précarité de l’étudiant à celle du diplômé

Longues et intenses, les formations de niveau III du travail social rendent très prudents les lycéens en quête d’orientation, relève l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) dans le rapport sur « l’attractivité des formations de niveau III ». Leur crainte d’une précarité économique est d’autant plus vive qu’ils viennent plutôt de milieu modeste. En 2012, près de 50 % des étudiants en travail social étaient issus de familles d’ouvriers ou d’employés. Si l’on ajoute les professions intermédiaires, les agriculteurs et les petits artisans ou petits commerçants, environ 70 % des étudiants sont issus de familles à revenus modestes ou moyens. Dans ce contexte, un tiers des étudiants ne reçoivent aucune aide financière, près d’un quart sont demandeurs d’emploi à l’entrée en formation et 24 % disposent d’une bourse régionale. Quant aux aides au titre de la formation continue, du contrat individuel de formation ou des divers contrats d’apprentissage et de professionnalisation, elles restent anecdotiques et représentent, au total, moins de 10 % du financement des formations.

Pour l’Unaforis, ces données confirment les observations établies, depuis quelques années, sur la« fragilisation des conditions de vie des étudiants ».

Les statistiques de la mise en emploi, qui pourraient compenser cet effet repoussoir, restent trop contradictoires pour rassurer. A un premier niveau, l’insertion professionnelle des jeunes diplômés apparaît plus facile dans le champ social que dans la plupart des autres secteurs d’activité. Les éducateurs de jeunes enfants sont les plus rapides à décrocher un premier emploi, avec une durée moyenne de recherche de six semaines, contre une douzaine de semaines tout au plus pour les assistants de service social. Reste que deux tiers des jeunes diplômés du social travaillent en CDD, dont 20 % à temps partiel. Ils doivent attendre environ trois ans après l’obtention du diplôme pour que la proportion de CDI dans leurs rangs rejoigne, puis dépasse, la moyenne des autres secteurs d’activité.

Notes

(1) « La profession d’assistant(e) de service social : le déclin des vocations ? » – Prefas-GRIF – Octobre 2013 – Disponible sur www.prefas-grif.fr.

(2) L’attractivité des formations de niveau III – Etat des lieux et perspectives – Commission permanente « niveau III » – Disponible sur demande à l’Unaforis.

(3) Voir ASH n° 2832 du 8-11-13, p. 20.

(4) « La formation aux professions sociales en 2013 » – DREES – Série statistiques n° 193 – Janvier 2015 – Voir ASH n° 2893 du 16-05-15, p. 7.

(5) Lors du colloque « Métamorphose de la société ou fragmentation : une opportunité pour le métier d’assistant de service social ? », organisé par l’Institut supérieur social de Mulhouse et l’Ecole normale sociale, les 11 et 12 décembre 2014.

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