Un hiver au cœur d’un centre d’hébergement d’urgence pour sans-abri, à Lausanne (Suisse). Son entrée, anonyme, ressemble à un vieux parking abandonné – certains l’appellent le « bunker ». Pourtant, devant cette lourde porte, c’est chaque soir le même rituel, qui donne lieu à des bousculades parfois violentes. Près d’une centaine de personnes à la rue se présentent pour 70 places. Les travailleurs sociaux ont la lourde tâche de « trier les pauvres » : femmes et enfants d’abord, personnes âgées ensuite, puis les hommes. Qui n’acceptent pas toujours d’être laissés derrière et continuent parfois de frapper longtemps à la porte. Un témoin ne comprend pas qu’on le laisse dehors au « pays de la Rolex ». A l’intérieur, les « heureux élus » devront s’acquitter de 5 francs suisses (l’équivalent de 4,65 €) pour bénéficier d’un repas chaud et d’un matelas dans le dortoir. Déjà auteur d’une production sur un centre de rétention administrative(1), le réalisateur Fernand Melgar a filmé les démunis qui entrent dans L’abri, mais aussi ceux qui restent dehors et pour qui la nuit va être encore plus longue. C’est sa rencontre à la soupe populaire avec un couple d’Espagnols – que l’on suit pendant une partie du documentaire – qui a éveillé son attention sur cette population précaire. « Ils m’ont fait découvrir une nouvelle facette des flux migratoires, ces personnes fuyant la crise et qui cherchent du travail, un logement et de quoi survivre, précise-t-il. Dans un climat récurrent de xénophobie, je voudrais que mon film contribue à lever un voile sur cette vie d’exclus. » Mais son reportage fait bien plus que cela : il lève le voile sur le travail intense des travailleurs sociaux. Chaque soir, à 22 heures, quand ces derniers sortent devant l’abri et qu’ils comptent le nombre de personnes qui attendent en face d’eux, ils sont tiraillés. « On doit aller très vite, on choisit sans vraiment réfléchir car les esprits s’échauffent et les insultes fusent. Chaque fois, c’est un moment terrible », résume une professionnelle. Quoi qu’ils fassent, leur décision est injuste. Qui sont-ils pour choisir ? L’abri a obtenu la mention spéciale du jury « jeunes » au Festival du film de Locarno et le prix de la mise en scène au Festival international du film d’Amiens.
L’abri
Fernand Melgar – 1 h 41 – En salles le 4 mars
(1) Vol spécial – Voir ASH n° 2754 du 6-04-12, p. 38.