Près de cinq mois après son entrée en vigueur, où en est l’application de la contrainte pénale, nouvelle peine alternative à l’emprisonnement créée par la loi du 15 août 2014 sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines(1) ? La mesure, qui concerne les délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans (avant d’être généralisée à l’ensemble des délits punis d’une peine de prison au 1er janvier 2017), avait fait l’objet d’affrontements idéologiques sur la politique pénale, avant de susciter la déception de ses partisans, qui ont regretté son manque d’ambition par rapport aux mesures de probation existantes et aux propositions du jury de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, il y a deux ans(2).
S’il est encore tôt pour juger des effets de la réforme, de premières données recueillies auprès du cabinet de la garde des Sceaux par Pierre Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, permettent d’observer ses premiers pas. Selon ces éléments statistiques, 242 contraintes pénales ont été prononcées du 1er octobre au 31 décembre 2014. « Si le même rythme devait être poursuivi en 2015, cela donnerait environ 1 000 contraintes pénales prononcées sur l’année. Il ne s’agit pas d’une prévision mais d’une simple extrapolation », explique Pierre Victor Tournier. Autres chiffres éclairants : au cours de ces trois premiers mois d’application, « 57 % des tribunaux de grande instance n’ont prononcé aucune contrainte, 21 % n’en ont prononcé qu’une seule, 7 % en ont prononcé deux et 15 % en ont prononcé trois ou plus ». Si ces données sont bien loin des 8 000 à 20 000 mesures par an envisagées par le législateur, le chercheur les relativise au regard des 2 500 travaux d’intérêt général (TIG) prononcés à titre principal lors de leur première année de mise en œuvre, en 1984. « Or il faut se souvenir que cette mesure avait été votée à l’unanimité et que la contrainte pénale l’a été dans des conditions moins favorables. Son démarrage est plus lent, mais il n’y a rien de surprenant et il est trop tôt pour dire qu’elle ne marche pas ! » Optimiste, celui qui avait ardemment promu la création d’une « contrainte pénale communautaire » estime que « 2 000 mesures en 2015 serait déjà un chiffre suffisant pour expérimenter le dispositif ».
Force est de constater que les juridictions en sont encore au stade du tâtonnement. La contrainte pénale « est très faiblement prononcée par méconnaissance et par méfiance sur les prises en charge qui pourront être effectuées par les SPIP [services pénitentiaires d’insertion et de probation] », constate Laurence Blissson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, ajoutant « qu’il faut se saisir de cette peine et ne pas utiliser les prétextes de sa complexité pour ne pas le faire ». Au cœur du dispositif, le SPIP doit, au terme d’une phase d’évaluation de trois mois, remettre un rapport au juge de l’application des peines, qui dispose à son tour de un mois pour se prononcer sur le contenu de la prise en charge. « C’est un dispositif lourd, sur lequel il n’est pas forcément nécessaire d’aller dès lors que le sursis avec mise à l’épreuve [SME] existe et que les moyens des SPIP n’ont pas été renforcés », estime quant à elle Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats, précisant par ailleurs que « la contrainte pénale nécessite un minimum d’adhésion de la personne ».
Autre souci, relève Marion Kaiser, secrétaire générale adjointe du Snepap (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire)-FSU, contrairement au principe d’individualisation qui fonde la contrainte pénale, « les juges correctionnels ont tendance à définir les obligations et interdictions du condamné dès le prononcé de la peine », cette possibilité étant offerte au magistrat par la loi uniquement lorsqu’il dispose d’« éléments suffisants » sur la personnalité du condamné et sur sa situation matérielle, familiale et sociale. « Les juges correctionnels ont du mal à se dessaisir de leurs prérogatives, abonde Sarah Silva Descas, secrétaire nationale du Collectif CGT insertion probation. Dans certaines juridictions, les magistrats ne veulent plus prononcer de contraintes pénales tant qu’ils n’auront pas de garanties sur leur contenu. »
Au tribunal de grande instance (TGI) de Créteil, 14 contraintes pénales ont été prononcées entre le 1er octobre dernier et la fin décembre (dont deux annulées car illégales au regard du texte en vigueur...). « Les premières l’ont été au début, et puis cela s’est vite tari, témoigne Jean-Claude Bouvier, vice-président chargé de l’application des peines et coordinateur du service au TGI. Il y a un travail de pédagogie à faire pour permettre aux magistrats de s’emparer de cette mesure. » Alors que les premiers rapports d’évaluation sont en cours de rédaction, son service a, avec le SPIP du Val-de-Marne, décidé d’établir des bilans d’étape réguliers, en présence des magistrats de la chambre correctionnelle et du parquet, sur les « questionnements pratiques » liés à la mise en œuvre de la contrainte pénale. Lors d’une première réunion, le 10 février, l’essentiel du débat a été consacré au profil des condamnés. Selon sa circulaire d’application, « la contrainte pénale a vocation à s’adresser aux personnes dont le fort risque de récidive pourrait être évité grâce à un accompagnement soutenu vers une insertion ou une réinsertion sociale, tandis que le SME s’adresserait davantage aux condamnés nécessitant un suivi plus formel, axé sur le contrôle du respect des obligations et des interdictions, explique-t-il. L’enjeu est donc de pouvoir disposer de ces éléments d’évaluation au stade même de la condamnation. Il y a pour cette raison une réflexion à engager sur l’utilisation de l’ajournement du prononcé de la peine aux fins d’investigation dans le cas où la juridiction envisage une contrainte pénale. »
Pour Claude Charamathieu, directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation du Val-de-Marne et adhérent au Snepap-FSU, l’enjeu est également de « confirmer aux magistrats de la chambre correctionnelle que toutes les mesures dont le SPIP a été saisi sont prises en charge », conformément aux termes de la circulaire : convocation dans un délai de huit jours, évaluation dans les trois mois avec au moins quatre entretiens, dont l’un par la psychologue du service, transmission du projet d’exécution et de suivi de la mesure à une commission pluridisciplinaire interne au SPIP, pour l’heure constituée de deux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, d’un cadre référent et de la psychologue. L’entretien au domicile du condamné, avec des membres de sa famille, ne peut être encore réalisé faute de budget alloué pour les déplacements... Reste qu’avec l’ampleur de la phase d’évaluation, l’intensité de l’accompagnement est censée caractériser la mesure. « Le tout est d’avoir des réponses à apporter en matière d’insertion et d’accès aux droits sociaux, précise Claude Charamathieu. C’est pourquoi nous avons relancé la sollicitation de nos partenaires, dont les services sociaux du conseil général et le service intégré d’accueil et d’orientation [SIAO]. » Dans l’état actuel de la marge de manœuvre des SPIP, des divergences existent, par exemple, « sur l’opportunité de prononcer cette mesure pour des personnes sans domicile fixe, pour qui la prise en charge pourrait être peu opérante », ajoute-t-il.
En tout état de cause, le SPIP du Val-de-Marne se donne « deux ans pour construire un contenu pour la mesure », délai au-delà duquel la loi prévoit d’étendre son application. « Aujourd’hui, nous n’avons pas beaucoup de contraintes pénales à mettre en œuvre, souligne Claude Charamathieu. Mais la question des moyens demeure : nous pourrons développer le dispositif si chaque conseiller a 40 dossiers à suivre, pas 90 comme actuellement ! » Un sujet que devraient à nouveau soulever les syndicats lors de la présentation par l’administration pénitentiaire, lors du comité technique paritaire du 10 mars, d’un projet de « manuel de la contrainte pénale » détaillant les modalités pratiques de sa mise en œuvre.