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La maison témoin du « savoir habiter »

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Créé en 2011 à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, l’Eco Appart est une structure partenariale ouverte à tous ceux qui peinent à payer leurs factures ou sont désireux de mieux habiter leur logement. Au programme : ateliers, visites, renseignements personnalisés…

Les trois femmes présentes ce jour à l’Eco Appart de Lunéville l’avouent volontiers : elles sont venues autant, sinon plus, pour « passer l’après-midi » que parce qu’elles sont directement concernées par le thème de l’atelier collectif du jour (la non-décence des logements). Depuis deux ans, Monique Lalevée se rend régulièrement à l’Eco Appart(1). La semaine dernière, cette habituée a assisté à un atelier consacré au nettoyage avec des produits sains et simples, tels le vinaigre blanc ou le bicarbonate de soude. Marianne Georges est assistante sociale à la retraite. Aujourd’hui, elle est curieuse de « savoir si les choses ont évolué » ces dernières années en matière de réglementation. Angélique Berger, enfin, se présente elle aussi comme une usagère assidue, et assiste à tout depuis au moins un an.

DISTINGUER LA NON-DÉCENCE DE L’INSALUBRITÉ

Face à elles, Bernard Jadin, du service « hygiène et santé » de Lunéville (Meurthe-et-Moselle), et Adrien Laroque, chargé de mission « maison et habitat » à la communauté de communes du Lunévillois, ne sont pas des professionnels de l’action sociale. Ils animent deux ou trois fois par an cet atelier plébiscité par un public varié – « persuadé que son appartement ou sa maison est insalubre », observe Bernard Jadin. « Or, poursuit-il, la décence (volume, ventilation, luminosité ou équipement sanitaire suffisants) relève du pouvoir de police du maire, tandis que l’insalubrité – plus grave et plus rare, puisqu’elle qualifie une situation de danger immédiat pour l’occupant – relève de celui du préfet. »

Le petit groupe est réuni autour de plusieurs tables rassemblées dans la pièce principale de l’Eco Appart, au rez-dechaussée d’une maison de ville située à cinq minutes du centre de Lunéville. L’atelier doit durer environ deux heures. Deux documents servent de supports à la séance : le guide d’évaluation Qu’est-ce qu’un logement décent ? édité par la direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (ministère de Logement et de la Ville), et une fiche habitat diffusée par le pôle départemental de lutte contre l’habitat insalubre et indécent (PDLHI). Ce dernier support est habituellement rempli par un agent communal et par le locataire qui en fait la demande, au moment de la visite de son logement.

LES DROITS ET DEVOIRS DU LOCATAIRE

A partir de ces outils, Bernard Jadin, épaulé par Adrien Laroque, explique point par point ce que le locataire est en droit d’attendre de son propriétaire quand il prend possession d’un logement – notamment l’établissement d’un état des lieux cosigné par les deux parties, « comme dans un constat en cas d’accident de voiture ». « Il faut bien prendre son temps pour se protéger, martèle l’agent de la ville. Si on ne demande rien au propriétaire parce qu’on est trop content d’avoir trouvé un appartement, on prend un risque : pas d’état des lieux signifie un logement en parfait état ! » Or, à Lunéville plus qu’ailleurs, c’est loin d’être toujours le cas.

Les deux animateurs évoquent également les devoirs du locataire. « Dans certains cas, note Adrien Laroque, le locataire peut être tenu pour responsable de dégradations s’il n’a pas signalé à temps à son propriétaire une infiltration d’eau… » Bernard Jadin continue : « Si vous avez demandé à votre propriétaire de faire des réparations et que ça traîne, vous n’avez pas le droit pour autant de suspendre le paiement du loyer. » Et de conclure que « les cas de non-décence se terminent souvent devant le juge d’instance, parce que les propriétaires contestent le signalement et ne veulent pas faire les travaux. » Attentives, Monique, Marianne et Angélique commentent les explications des deux hommes et posent quelques questions. Entre deux informations, une discussion s’engage sur l’étanchéisation des bâtiments, durant laquelle le groupe se penche sur le cas particulier de l’une des participantes. Dans la position de passeurs d’information, les deux agents de collectivité se montrent attentifs et patients. La rencontre est détendue, les problématiques sont abordées sous un angle tantôt personnel, tantôt général.

LE SUCCÈS CROISSANT DES ATELIERS

L’Eco Appart a ouvert ses portes en novembre 2011. Pour Bernard Recouvreur, adjoint au maire chargé des affaires sociales et vice-président du centre communal d’action sociale (CCAS), « faire baisser les factures des Lunévillois est l’une des priorités » fixées à l’équipe qui a porté le projet, dans un premier temps en direction de publics fragilisés, puis dans une perspective d’ouverture à tous. Les partenaires historiques se sont tout d’abord retrouvés autour de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU). L’Office public HLM (OPH), bailleur social de Lunéville, devait reloger des familles habitant dans deux tours destinées à la démolition. Avait alors émergé l’idée d’un appartement témoin qui permette de travailler au « mieux-vivre ensemble » de ces populations en situation économique et sociale difficile. Mais le temps que le projet soit suffisamment mûr, le relogement de ces familles était déjà bien avancé. « Nous avons donc décidé d’ouvrir le lieu à tous, se souvient Florence Blaison, directrice du CCAS, à l’initiative du projet avec Nathalie Harach, référente territoriale logement du conseil général. D’où l’idée d’implanter l’appartement non dans le quartier suivi par l’ANRU, mais au centre de Lunéville, accessible en transports en commun. » Avec l’aide d’actions de communication, notamment la présence de l’équipe dans des salons spécialisés, le dispositif a rapidement trouvé un écho dans une population qui souffre fortement du chômage (16 % des actifs) et compte un nombre élevé de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) majoré. Objectif : aider les usagers à faire face à un surendettement lié à des charges d’habitation devenues trop lourdes.

Encore dépourvu de structure juridique, le service est installé dans un appartement mis à disposition gratuitement par l’OPH et meublé grâce à Emmaüs, association caritative partenaire. Son budget, qui se montait à 40 000 € en 2014, est passé à 65 000 € cette année. Une augmentation liée aux entrées dans le tour de table de la mission locale de l’arrondissement du Lunévillois et de son financeur, le conseil régional. D’ici à 2016, l’Eco Appart pourrait prendre une forme associative. « Nous souhaitons pouvoir toucher plus facilement des subventions de la part des collectivités, explique Florence Blaison. Notre système fonctionne aujourd’hui parce que nous nous connaissons tou(te)s bien. » Il s’agit, selon elle, de pérenniser la structure, alors que les budgets des collectivités sont de plus en plus contraints, et afin d’anticiper un éventuel départ des fondateurs de l’Eco Appart.

Depuis leur lancement il y a trois ans, les ateliers bihebdomadaires remportent un succès croissant. La programmation, variée, est élaborée par un comité technique auquel participent les différents partenaires de la structure, avec en tête les coporteurs du projet : le CCAS et la caisse d’allocations familiales (CAF), rejoints depuis peu par la mission locale, soutenue par la région Lorraine. Ce comité technique, réuni tous les deux mois, est chapeauté par un comité de pilotage qui, lui, se tient deux fois dans l’année. Outre le CCAS et la CAF, on y trouve le conseil général de Meurthe-et-Moselle. Ces trois institutions mettent à disposition de l’Eco Appart du personnel – dont la rémunération n’est pas incluse dans le budget du lieu – soit ponctuellement, à l’occasion des réunions et des ateliers, soit de façon permanente, avec un poste de conseillère en économie sociale et familale (CESF) pris en charge par le CCAS et un demiposte de CESF mis à disposition par la CAF. Une personne en service civique présente 20 heures par semaine et financée par le conseil général complète l’équipe. Sont également membres du comité de pilotage la ville de Lunéville, la communauté du Lunévillois, l’OPH et EDF, qui fournit de la documentation et affiche des petites expositions.

Les ateliers les plus demandés par les partenaires de l’Eco Appart – tels que la mission locale, l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique ou encore l’Ecole de la deuxième chance de Lunéville – sont ceux qui sont consacrés à la première installation dans le logement (formalités, aménagement), à la vie dans le logement (entretien, voisinage, factures…), à la décence du logement ou au classement des papiers familiaux. Font aussi le plein les ateliers aux thématiques « plus saisonnières, comme les plantations de printemps, la confection de masques de carnaval ou de décos de Noël en matériaux recyclés », pointe Patricia Payet, éducatrice au CCAS et membre du comité technique. « Ces ateliers sont un peu notre produit d’appel pour faire connaître l’Eco Appart », reconnaît avec humour la professionnelle. Ils sont animés par des travailleurs sociaux ou des spécialistes présentés par les partenaires, tels les collectivités, l’espace info énergie ou l’association interculturelle de soutien scolaire et insertion ASAL. L’Eco Appart peut aussi faire appel de façon ponctuelle à des indépendants aux compétences pointues (arts plastiques, création d’objets).

UN PUBLIC ORIENTÉ SURTOUT PAR LES PARTENAIRES

Ces ateliers ont lieu deux fois par semaine. Certains sont ouverts à tous, d’autres étant réservés par les partenaires pour leur public. Cependant, tous sont gratuits. L’appartement, lui, est ouvert tous les après-midi de 14 heures à 17 heures. La permanence est assurée par Mathilde Thomas, conseillère en économie sociale et familiale (CESF). Rémunérée à temps plein par le CCAS, elle renseigne les personnes se présentant individuellement (environ 10 % du millier d’usagers comptabilisé en 2014).

« Ces personnes sont souvent en situation de détresse, explique Marianne L’Huillier, également CESF, salariée de la CAF de Meurthe-et-Moselle et coordinatrice du lieu à mi-temps. Elles viennent chercher de l’info sur leurs droits, posent des questions sur les charges, la caution, les travaux, l’allocation logement. » Visible de l’extérieur et non étiqueté « aide sociale », l’Eco Appart ratisse large. « Soit on peut apporter une réponse à ces personnes, précise Mathilde, soit on les oriente vers une animation collective, si la thématique correspond, ou vers une structure plus adaptée (OPH, CAF, mission locale)… »

Mais la grande majorité du public de l’Eco Appart est orientée par ses partenaires. Un réflexe désormais acquis pour Patricia Payet, qui suit des familles au CCAS et les dirige souvent vers ce lieu. C’est également le cas pour Céline Tanzi, CESF du conseil général, elle aussi membre du comité technique, ou encore pour Isabelle Bourgault, CESF chargée de projet à la mission locale. Cette dernière est par ailleurs associée à un comité technique particulier – en cours de mise en place – dédié à la plateforme « Logetoi ! » pilotée par la mission locale et financée par la Région. « Je donne l’info sur l’Eco Appart aux familles que je suis, détaille pour sa part Céline Tanzi. Mais j’en parle surtout en équipe, au centre médico-social. D’ailleurs, l’Eco Appart commence à être bien connu des services du conseil général. » Contrairement à la mission locale, qui reçoit des jeunes de 16 à 26 ans, Céline Tanzi prend en charge un public varié : des bénéficiaires du RSA, des retraités isolés, aux prises avec des difficultés socio-économiques… Mais également des jeunes mères envoyées par les travailleurs sociaux du lieu d’accueil parents-enfants (LAPE), aussi bien pour travailler la question du logement ou du budget que pour profiter des ateliers ludiques.

De son côté, depuis un an, Séverine Rocca, responsable de l’Ecole de la deuxième chance de Lunéville, mobilise ses stagiaires pour les ateliers gestion de budget. Vingt-quatre d’entre eux ont ainsi été accueillis à l’occasion de deux ateliers en 2014. Pour cette formatrice spécialisée dans l’accompagnement des jeunes décrocheurs scolaires ou éloignés de l’emploi, il est plus intéressant de se déplacer à l’Eco Appart, structure dédiée au logement, que d’effectuer cette « remise à niveau » en interne. « A l’Eco Appart, on se sent un peu chez soi. La configuration des lieux est chaleureuse, il y a des canapés, c’est convivial. Et puis le jeu utilisé pour l’atelier, une sorte de Monopoly, fait émerger des questions plus personnelles. Cela permet à l’animatrice de rebondir, de donner des conseils. » Même constat pour Patricia Payet, du CCAS, pour qui l’avantage de disposer d’un lieu comme celui-là, outre les échanges entre professionnels des différentes structures dans le cadre du comité technique, repose sur « la mise en pratique des conseils, le côté pédagogique des jeux qui permettent aux usagers d’être responsables de la résolution de leur problème. Quand les personnes viennent nous voir au CCAS ou ailleurs, on gère leurs soucis. A l’Eco Appart, les gens sont acteurs. »

DES THÈMES ABORDÉS AU FIL DES PIÈCES

Ces expositions et ces jeux créés par l’équipe ou proposés par chacun des partenaires, l’usager les découvre au fil des pièces de l’appartement. Au salon, une tablette explicative avec des ampoules affichant des consommations énergétiques différentes ; à la cuisine, des magnets à déplacer en face des bons bacs de tri et des poubelles ; aux toilettes et à la salle de bains, la matérialisation de la quantité d’eau utilisée pour le bain, la douche ou la chasse d’eau, grâce à des bouteilles de 1,5 litre ; dans la chambre à coucher, une « maxi-maison » avec un mobilier à grande échelle, pour percevoir la taille et le poids des objets comme un enfant de 3 ans… Chaque espace permet la sensibilisation aux « éco-gestes », ces petits réflexes du quotidien qui ont pour but d’éviter trop de gaspillage, invitent au recyclage et permettent, espèrent les promoteurs du lieu, des économies sur les factures d’énergie, d’eau ou d’enlèvement des ordures ménagères.

L’initiative été distinguée en 2014 par l’Union nationale des CCAS, qui lui a attribué le troisième prix de l’innovation sociale locale, soulignant particulièrement sa dimension pluripartenariale. Avec une stratégie renforcée d’ouverture vers l’extérieur, les responsables de l’Eco Appart sont désormais régulièrement sollicités par des collègues d’autres collectivités. « Le CCAS de Toul [Meurthe-et-Moselle] est venu nous voir il n’y a pas longtemps, souligne Marianne L’Huillier. Il s’intéresse à notre Eco Appart dans le cadre d’un projet d’établissement intergénérationnel. » Les CCAS de Mulhouse (Haut-Rhin) et de Nantes (Loire-Atlantique) se sont également montrés intéressés. « On nous appelle d’un peu partout pour des projets similaires », se félicite la coordinatrice.

Les partenaires étudient à présent les résultats obtenus par les participants aux ateliers, à la suite de leur passage à l’Eco Appart. Un panel d’une quinzaine d’usagers a ainsi été constitué et sollicité à deux reprises, en mai et en novembre 2014. « Nous les avons accompagnés pour remplir un questionnaire, explique Marianne L’Huillier. Par exemple, nous leur avons demandé en novembre de mesurer si leur consommation d’électricité avait diminué par rapport au printemps. » En mai 2015, un dernier questionnaire sera diffusé, avant la rédaction d’un premier bilan annuel. L’objectif étant d’établir un profil des usagers – sexe, âge, situation sociale (allocataire CAF, bénéficiaire du RSA, locataire OPH…) – et de vérifier que les thématiques abordées collent aux besoins du plus grand nombre et, surtout, que les personnes accueillies se sont appropriées les gestes de tri et d’économie d’énergie enseignées à l’Eco Appart.

Notes

(1) Eco Appart : 25, rue Sainte-Anne – 54300 Lunéville – Tél. 03 83 89 16 83 – accueil@ecoappart.fr.

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