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Fin de la conservation des gamètes du majeur protégé : croiser les avis dans un cadre éthique

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Aider un majeur protégé à décider de conserver ou non ses gamètes se révèle une démarche particulièrement délicate. Cet exemple illustre la complexité de l’accompagnement d’une personne vulnérable dans les décisions personnelles qu’elle doit prendre, expliquent Marc Pimpeterre, directeur général de l’Union départementale des associations familiales de l’Hérault, et Gilles Raoul-Cormeil, maître de conférences à la faculté de droit de Caen et responsable du diplôme d’université « Protection juridique des personnes vulnérables »(1). Aussi invitent-ils les services mandataires à se doter d’un comité d’éthique pluridisciplinaire afin « de faire émerger chez la personne des choix éclairés et responsables ».

« La loi du 5 mars 2007 réformant la protection juridique des majeurs(2) a pour philosophie la recherche de leur autonomie. Guidée par le respect impératif de la dignité humaine et de la vie privée de la personne, elle a même isolé les actes “strictement personnels” qui se présentent comme le sanctuaire du majeur protégé et ne peuvent être accomplis que par celui-ci(3). Néanmoins, la mise en œuvre de ses droits intimes peut représenter une telle source d’incompréhension, voire d’angoisse, pour l’intéressé qu’elle peut entraîner son inertie et aboutir à son absence de décision et à la négation de ses droits. Les professionnels en charge de la mesure de protection s’efforcent certes d’informer et d’accompagner tous les majeurs protégés dans la détermination de leur projet de vie et dans la mise en œuvre des décisions personnelles imposées parfois par les circonstances ; le respect de la parole des personnes est un principe d’action. Mais comment recueillir le consentement d’un majeur atteint d’une “pathologie mentale complexe, invalidante quant à son expression verbale ?” Face à ce dilemme, le service mandataire judiciaire de protection des majeurs (SMJPM) doit engager une démarche éthique afin de faire émerger chez la personne des choix éclairés et responsables. A cet égard, la décision de mettre fin à la conservation des gamètes par un centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) illustre bien la complexité des questions de bioéthique liées au corps et au destin d’une personne protégée et la nécessité de mettre en place des procédures ad hoc.

Au majeur protégé de décider

Quels sont les faits en l’espèce ? Un hôpital a demandé par mail à un SMJPM de lui confirmer que le majeur protégé ou son représentant ne souhaite pas que soit renouvelée la conservation de sperme prélevé en 2000. Accompagnant depuis plusieurs années le majeur sous tutelle, le service se rapproche de l’équipe éducative et du psychologue du foyer où réside l’intéressé pour cerner la situation. La démarche de conservation de sperme avait été effectuée à une période où le majeur était marié et n’arrivait pas à avoir d’enfant avec sa femme. Depuis, il était divorcé et “bouleversé par les événements de sa vie”. Devant les “difficultés pour gérer ses émotions”, il avait “besoin d’explications répétées pour comprendre ce qui se passe” sans toutefois pouvoir accepter cette rupture familiale avec sa femme et ses enfants. Le psychiatre assure qu’il “n’a pas toutes ses capacités mentales pour prendre une décision cohérente quant à la décision de conserver ou d’éliminer des paillettes de sperme”. Pour autant, il a informé le majeur de la décision qu’il doit prendre et a indiqué, par écrit, que celui-ci l’avait assuré “de ne vouloir en aucun cas la conservation des paillettes et souhaiter leur destruction dans les plus brefs délais”. Le service a préféré toutefois saisir le juge des tutelles pour lui demander l’autorisation de valider le choix du majeur de détruire les paillettes. Mais le magistrat, estimant que la décision de mettre fin à la conservation des gamètes était un acte “strictement personnel”, s’est dit incompétent et a décliné la demande. Sa réponse retirait donc au service toute possibilité de représenter le majeur protégé ; c’était à ce dernier de prendre la décision.

La loi du 5 mars 2007 a consacré la protection des majeurs vulnérables dans leurs biens et dans leur personne. Mais alors que l’assistance et la représentation sont des techniques de la protection des biens, la protection de la personne passe par le respect de son autonomie(4). Le protecteur doit informer le majeur protégé et l’accompagner pour lui permettre d’exercer lui-même ses droits(5). En l’espèce, le majeur protégé avait consenti au prélèvement de gamètes non pas pour faire un don de sperme pour un autre couple(6) ou, pour le cas où il deviendrait infécond à la suite d’un traitement médical(7), mais parce qu’il avait avec sa femme un projet parental qu’ils ne pouvaient pas réaliser sans une assistance médicale à la procréation. Nous sommes dans l’hypothèse où le droit de la filiation domine le droit de la santé. La loi ne pose, dans ce cas, aucune restriction tenant à l’incapacité. En outre, ni le tuteur ni le juge des tutelles n’ont le pouvoir de refuser ou d’autoriser le prélèvement de gamètes : la décision est strictement personnelle(8) et n’appartient qu’aux membres du couple, qu’ils soient ou non civilement protégés. Toutefois, la loi contrôle la qualité du projet parental : le couple “composé d’un homme et d’une femme, en âge de procréer” ne doit pas être séparé. En l’espèce, le majeur était divorcé et cette séparation était suffisante pour rendre caduque le projet parental et justifier la fin de la conservation des gamètes ou des embryons conçus dans ce but.

La contradiction de la loi

Toutefois les services du CECOS préféraient obtenir l’autorisation de l’intéressé. Et, parce que celui-ci était inapte à manifester un consentement lucide, ils s’étaient adressés à son tuteur. Ils pouvaient d’autant plus solliciter le SMJPM que la loi est elle-même contradictoire. En effet, alors qu’elle permet à toute personne, et donc au majeur protégé, de consentir seul à un don de gamètes pour autrui(9), elle oblige le médecin à recueillir l’autorisation du majeur protégé, assisté de son tuteur, pour prélever ses gamètes avant tout traitement médical pouvant le rendre stérile(10). En rendant dans ce cas nécessaire l’intervention du tuteur, la loi n’est pas claire et amène les services du CECOS à préférer toujours solliciter le consentement de la personne sous tutelle et l’autorisation du tuteur avant de mettre fin à la conservation de ses gamètes.

En effet, quel que soit le rôle que lui assigne la loi, le SMJPM ne doit pas laisser le majeur protégé seul. Il doit l’aider à comprendre les enjeux de sa décision et, pour ce faire, bien cerner sa situation au regard de la législation et de ses projets personnels. La décision de mettre fin à la conservation des gamètes peut justifier l’intervention du tuteur au moins dans le cadre d’un prélèvement conservatoire en cas de stérilité. Et si la saisine du juge des tutelles permettra peut-être de résoudre les contradictions de la législation, il serait toutefois simpliste de croire qu’elle mettra fin au problème éthique qui se pose. Il est donc souhaitable que le SMJPM se dote d’ un comité d’éthique ad hoc, composé d’un juriste, d’un psychologue et d’un médecin, afin d’aider le service à trouver, au cas par cas, les moyens d’accompagner le majeur protégé à prendre les décisions personnelles le concernant. Si le recours à une délibération pluridisciplinaire peut apparaître comme une contrainte excessive pour les services qui sont souvent surchargés, les problèmes éthiques liés au destin d’une personne ne sont pas si nombreux qu’on ne puisse leur réserver un traitement adapté. La réflexion collective permet d’éclairer la complexité d’une décision à prendre, même si le tuteur n’a vocation qu’à accompagner le majeur protégé sans décider pour lui.

La recherche constante du libre choix du majeur est primordiale, mais bien souvent fragile et délicate lorsque l’on s’en tient à des paroles lâchées de manière impromptue et hasardeuse. Nul n’est à l’abri des revirements de volonté ou de l’impossibilité de la personne à prendre une décision complexe. Seule une réflexion éthique, engagée avec une équipe pluridisciplinaire et guidée par des principes juridiques (l’impératif de la dignité humaine), peut permettre au professionnel de ne pas se sentir seul dans la recherche du consentement du majeur protégé, tout en proposant un canevas de réponses. Se réunir afin de croiser les avis est un gage de bien-traitance. »

Contacts : marc.pimpeterre@live.fr ; gilles.raoul-cormeil@unicaen.fr

Notes

(1) Couplé au certificat national de compétences de mandataire judiciaire à la protection des majeurs en partenariat avec l’IRTS de Basse-Normandie (Hérouville-Saint-Clair).

(2) Voir ASH n° 2414-2415 du 29-06-07, p. 23 et n° 2517 du 13-07-07, p. 23 et le numéro juridique « La protection des majeurs vulnérables » – Mars 2013 (3e édition) – www.wkf.fr.

(3) La loi distingue dans les décisions personnelles les actes strictement personnels qui ne peuvent être pris que par le majeur (filiation, nom, autorité parentale) et ceux pour lesquels son consentement doit être obtenu avec l’assistance ou par la représentation de la personne chargée de sa protection (union, désunion).

(4) Code civil, art. 415, al. 3.

(5) Code civil, art. 457-1.

(6) Code de la santé publique art. L. 1244-2.

(7) Code de la santé publique, art. L. 2141-11.

(8) Code civil, art. 458.

(9) Code de la santé publique, art. L. 1244-2.

(10) Code de la santé publique, art. L. 2141-11.

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