Lieux opaques en croquis

CRA est une bande dessinée militante. Elle se lit comme on lirait un reportage dans le journal. Un reportage à charge contre les conditions de vie dans les centres de rétention administrative, rempli de témoignages. Il faut dire que le dessinateur Jean-Benoît Meybeck s’investit depuis longtemps pour le droit des migrants et a créé, dès 2008, le collectif Tournefeuille sans papiers. En 2012, à Toulouse-Cornebarrieu, il participe à la campagne « Ouvrez les portes » organisée par Migreurop et Alternatives européennes visant à obtenir l’accès des journalistes et de la société civile aux centres de rétention afin d’y exercer une « vigilance citoyenne ». Il a pu ainsi rencontrer et croquer un grand nombre de sans-papiers coincés derrière les grilles de ce qu’il assimile à « une prison pour des personnes qui n’ont commis aucun délit ». Durant douze jours, dans les parloirs, il a écouté l’histoire de Daouda –  qui s’est brisé le bassin en sautant par la fenêtre le jour où les gendarmes sont venus le réveiller pour le renvoyer au Sénégal – : de Loubna, une Marocaine passée par Lampedusa puis par les trottoirs de Paris, avant d’être arrêtée : de la jeune Füsun, turque, mise en centre de rétention le jour même où elle devait célébrer son parrainage républicain  et de tant d’autres. Beaucoup ne comprenaient pas pourquoi ils étaient là, et certains perdaient la tête à cause de l’attente et de la peur d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Pour illustrer ce qui se passe dans les cellules auxquelles il n’a pas eu accès, Meybeck –  dont c’est le premier album – s’est inspiré de photos et de vidéos prises par les sans-papiers. « Je ne savais pas qu’il y avait des lieux comme ça en Europe », confie Diallo, guinéen, encore mineur, qui semble avoir vécu l’enfer. La BD témoigne aussi de l’action des différents membres associatifs qui se sont présentés aux portes du centre… Et qui n’ont pas été toujours bien accueillis par les forces de l’ordre. On achève ces 120 pages en noir et blanc, forcément subjectives, avec un sentiment d’injustice pour ces hommes et ces femmes traités comme des criminels.