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Régionaliser l’action sociale et médico-sociale : éloge d’une réforme qui ne se fera pas

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A l’heure de l’examen du projet de loi « NOTRe », comment sortir du millefeuille actuel en matière d’action sociale et médico-sociale ? En régionalisant sa gouvernance tout en gardant un échelon départemental de proximité, propose Jean-François Bauduret, enseignant à Sciences Po et ancien conseiller technique à la direction générale de l’action sociale(1). Un point de vue qui, s’il a une certaine cohérence, est politiquement iconoclaste.

« Le projet de loi portant nouvelle organisation de la République (NOTRe), qui vient d’être adopté en première lecture par le Sénat le 27 janvier dernier, ne modifie en rien les compétences des départements en matière d’action sociale, à la grande satisfaction de l’Assemblée des départements de France(2). Et la probabilité pour que l’Assemblée nationale modifie ce point, lors de son examen du projet, paraît nulle. Une fois de plus, l’occasion de réformer en profondeur la gouvernance de l’action sociale et médico-sociale aura été perdue !

Pourtant le constat est sans appel : le paysage actuel est celui d’un quasimodo administratif et d’une gouvernance illisible, non coordonnée, qui encouragent la fragmentation des parcours des personnes vulnérables.

La loi “hôpital, patients, santé et territoires” (HPST) a eu pour effet de régionaliser la partie médico-sociale du dispositif (les établissements et services financés tout ou partie par l’assurance maladie, plus les ESAT), sous l’égide des agences régionales de santé (ARS). Cette réforme a eu notamment le mérite d’unifier la gouvernance du sanitaire et du médico-social au plan régional. Mais elle s’est bien gardée de modifier les compétences des conseils généraux. Nous avons désormais une épaule plus haute que l’autre : régionale, pour le sanitaire et le médico-social, d’un côté ; départementale, pour l’offre non ou partiellement médicalisée, de l’autre.

J’ai dénoncé ailleurs(3) les multiples incohérences dans le partage des compétences entre l’Etat s’organisant sur un mode régionalisé et les collectivités départementales. Rappelons-en ici quelques-unes : profusion des structures à double autorisation et à double financement, Etat-département ; incohérences entre le schéma régional d’organisation médico-sociale (SROMS) et les schémas départementaux d’organisation sociale et médico-sociale (SDOSMS), ces derniers portant de surcroît sur des périodes d’application ne coïncidant pas ; conflits ou dénis de compétences entre les deux exécutifs, avivés par les tensions budgétaires actuelles.

Ajoutons que, depuis la loi “Raffarin” de 2004 (acte II de la décentralisation), le président du conseil régional est compétent sur “la politique de formation des travailleurs sociaux”, lesquels exercent sous l’égide des conseils généraux ou des services de l’Etat, via les ARS.

Face à une telle situation, il apparaît souhaitable de régionaliser l’action sociale et médico-sociale, tout en conservant un niveau départemental de proximité. La nouvelle organisation tiendrait en six points :

1. Les présidents des conseils régionaux, élus sur scrutin de liste au suffrage universel direct (contrairement aux présidents des conseils généraux élus par les conseillers départementaux issus des élections cantonales), se verraient transférer toutes les compétences sociales des conseils généraux : aide sociale à l’enfance, revenu de solidarité active, politiques gérontologique et du handicap…

2. Afin de préserver une organisation et une administration de proximité, les services administratifs et techniques chargés du secteur social auprès des conseils généraux passeraient sous la compétence des conseils régionaux. Ils deviendraient de véritables antennes avancées de la région dans chaque département et seraient les pendants territoriaux des délégations territoriales des ARS.

3. Les schémas départementaux seraient supprimés, au profit d’un seul schéma régional de l’organisation sociale et médico-sociale. Le nouveau schéma serait arrêté conjointement par le président du conseil régional, le directeur général de l’ARS (et le cas échéant par le préfet de région pour les compétences d’Etat non déléguées aux ARS).

4. Des maisons départementales de l’autonomie (MDA), placées sous la présidence du conseil régional, ou son représentant, seraient créées(4). Elles réuniraient les maisons départementales des personnes handicapées et les équipes médico-sociales départementales, qui arrêtent les plans d’aide des personnes âgées et attribuent l’allocation personnalisée d’autonomie. Un coordonnateur régional “MDA” serait désigné auprès de chaque président de région, devenant l’interlocuteur privilégié de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) au titre de la diffusion des bonnes pratiques au sein de chaque MDA.

5. Un transfert de compétence des établissements et services d’aide par le travail serait opéré des ARS vers les régions, ce qui correspond bien à la vocation économique et d’accès à l’emploi de ces dernières.

6. Au titre de la bonne gouvernance des politiques sociales et de l’harmonisation des bonnes pratiques techniques, un dispositif conventionnel serait inscrit dans la loi :

– au plan national, une convention-cadre serait signée entre le ministre chargé des Affaires sociales et le président de l’Association des régions de France. Conclue pour cinq ans et renouvelable, elle définirait les grands principes de bonne gouvernance des politiques sociales et des principaux éléments à améliorer en priorité ;

– au plan régional, une convention tripartite (ou deux) serait conclue entre, d’une part, le président du conseil régional et, d’autre part, le préfet de région et le directeur général de l’ARS(5).

Quant à la composition de la commission de coordination des politiques publiques, instaurée dans chaque région par la loi “HPST” de 2009 pour garantir la cohérence du pilotage du secteur médico-social, elle serait revue, afin de tenir compte des nouvelles compétences de la région : au titre du bon fonctionnement des MDA, des conventions de qualité de service seraient signées entre la CNSA et chaque président de conseil régional(6) – soit un total de 13 conventions régionales au lieu des 100 conventions départementales signées au titre du fonctionnement des MDPH.

Manque de volonté politique

Pourtant, au moins trois raisons expliquent qu’une telle réforme n’adviendra pas.

La première tient à l’absence d’une volonté politique au plan national pour simplifier l’éparpillement des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales. Après avoir annoncé la disparition des conseils généraux, les pouvoirs publics paraissent avoir capitulé sur la suppression de cette collectivité territoriale – rappelons que le département a été créé lors du Premier empire, à une époque où la proximité se mesurait à l’aune d’une journée de cheval pour accéder à la préfecture ! La régionalisation de l’action sociale et médico-sociale n’a fait en outre l’objet d’aucune proposition ou débat lors de l’examen du projet de loi “NOTRe” au Sénat.

La deuxième raison, corollaire de la précédente, tient à l’efficacité des conseils généraux à défendre avec succès leur existence, au nom d’une politique de proximité, au plus près des préoccupations des usagers. Outre le fait que le niveau de proximité départemental est préservé dans le schéma proposé – une organisation administrative départementale sous l’égide du conseil régional et de MDA est maintenue –, l’efficacité du principe de proximité peut parfois prêter à sourire : il suffit de voir, y compris dans certains départements ruraux, la manière dont sont déterminés le volume et les prestations de certains plans d’aide aux personnes âgées en perte d’autonomie, qui peuvent s’éloigner sensiblement des besoins et des réalités de terrain…

Toute tentative de régionalisation, dans quelque domaine que ce soit, se heurte à l’hostilité résolue des sénateurs. Ces derniers viennent de repousser, lors de l’examen du projet de loi, les propositions gouvernementales visant à transférer aux régions les compétences des départements en matière de collèges, de transports et de voirie.

Inertie des acteurs

Une troisième raison tient à l’inertie, voire l’opposition, des acteurs du social et du médico-social pour rationaliser un dispositif bancal, source de cloisonnements et de perte d’efficience. Les esprits mal tournés pourraient considérer que bon nombre d’organisations représentant ce secteur paraissent penser qu’elles pourront d’autant mieux tirer leur épingle du jeu que sera maintenue la désorganisation actuelle entre décideurs… Un élargissement des compétences des MDPH aux personnes âgées, en créant des MDA, ne rencontre pas non plus nécessairement l’adhésion des associations représentant les personnes handicapées, lesquelles craignent de perdre une organisation plus favorable que celle qui est adoptée dans le champ gérontologique.

En espérant que tout cela n’est que provisoire, force est de constater que ni les pouvoirs publics, ni les élus, ni les institutions du secteur, ne font preuve d’une volonté affirmée pour dépasser les enjeux de pouvoir et construire une organisation territoriale cohérente de l’action sociale et médico-sociale. Nous en resterons donc, pour l’instant, à un dispositif fait de compromis friables et de cotes mal taillées, laissant perdurer bon nombre d’incohérences et de césures préjudiciables aux usagers en situation de vulnérabilité. »

Contact : jeanfrancois.bauduret@neuf.fr

Notes

(1) De 1995 à 2006, où il fut notamment l’un des rédacteurs de la loi 2002-2.

(2) Voir ASH n° 2895 du 30-01-15, p. 22.

(3) Dans l’ouvrage Institutions sociales et médico-sociales : de l’esprit des lois à la transformation des pratiques – Ed. Dunod, 2013 – Voir son interview, ASH n° 2834 du 22-11-13, p. 28.

(4) Il s’agit donc d’aller plus loin que les MDA envisagées par le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, adopté par les députés en première lecture le 17 septembre, qui sont facultatives et ne bouleversent en rien la gouvernance des MDPH, qui restent des groupements d’intérêt public présidés par le département, ni celle des services dédiés aux personnes âgées, qui demeurent également sous la seule gestion des départements.

(5) Soit la transposition au plan régional de l’article L. 312-6 du code l’action sociale et des familles (CASF), resté inappliqué, garantissant la bonne articulation dans chaque région des exécutifs et l’application coordonnée des politiques sociales.

(6) Transposition des dispositions de l’article L. 14-10-1, 6° du CASF.

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