Recevoir la newsletter

Autonomie garantie

Article réservé aux abonnés

Destiné aux jeunes très éloignés de l’emploi et en situation précaire, le dispositif intensif d’insertion « garantie jeunes » est expérimenté notamment par les missions locales de Brest et de Quimper. Un accompagnement à la fois collectif et individuel.

Les « NEET »(1)… C’est ainsi que l’on surnomme les jeunes entre 18 et 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et qui sont en situation très précaire. Ils forment le public cible de la « garantie jeunes », un nouveau dispositif d’insertion piloté par les missions locales sous l’égide de l’Etat, expérimenté depuis octobre 2013 dans dix territoires, dont le Finistère, et dans onze autres à partir de cette année(2).

Ce dispositif se décline sous la forme d’un accompagnement individuel et collectif intensif de un an. Son but est d’aider les bénéficiaires à construire un projet professionnel et à devenir autonomes. Ceux-ci signent un contrat dans lequel ils s’engagent, contre le versement d’une allocation, à participer à des ateliers et à multiplier les mises en situation professionnelle. La « garantie jeunes » doit aussi les aider à résoudre leurs difficultés en matière de mobilité, de santé ou de logement. Traduction dans le système français d’une mesure de lutte contre les exclusions voulue par le Conseil européen, elle vient combler un manque : après 18 ans, les jeunes ne sont que rarement bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance et des mesures dédiées au décrochage scolaire ; avant 25 ans, ils ne sont pas – sauf conditions exceptionnelles – éligibles au revenu de solidarité active (RSA)…

UN ACCUEIL FAVORABLE DES MISSIONS LOCALES

Dans le Finistère, le dispositif gouvernemental a été accueilli positivement. « Les directeurs des quatre missions locales ont écrit une lettre pour manifester leur envie de se positionner sur cette action intéressante et complémentaire », raconte Marie Le Morvan, directrice de la mission locale de Brest. A la fin 2013, plusieurs réunions entre les services de l’Etat, les missions locales et leurs partenaires (Pôle emploi, la protection judiciaire de la jeunesse, l’Education nationale, la ville, etc.) aident ces derniers à comprendre la plus-value de l’outil et sa singularité par rapport à ceux qui existent déjà. Certains craignaient en effet un empilement des dispositifs. « Tout était à construire : le règlement intérieur, la charte de fonctionnement, énumère Guénaëlle Barbier, animatrice territoriale à la Direccte Bretagne, qui pilote l’expérimentation du côté de l’Etat. Les partenaires avaient beaucoup de questions sur le contenu et les critères d’entrée dans le dispositif. » Pour que les conseillers d’insertion en comprennent l’intérêt et puissent le proposer aux jeunes, d’autres rencontres ont été organisées au sein des missions locales. Dix-huit conseillers ont été recrutés afin d’intervenir spécifiquement sur cette action. Leurs profils sont variés – conseillers d’insertion professionnelle, conseillers principaux d’éducation (CPE), conseillers en économie sociale et familiale (CESF), etc. –, mais tous partagent une expérience en animation de groupe. Chaque mission locale a organisé la « garantie jeunes » selon ses moyens et ses contraintes (locaux, effectifs, déploiement sur les territoires ruraux…) et reçoit de l’Etat 1 600 € par jeune accompagné. Cependant, toutes les équipes reconnaissent avoir sous-? évalué, au départ, les contraintes matérielles de ce nouvel accompagnement. Plusieurs ont dû déménager car de grands locaux se révèlent nécessaires pour accueillir plusieurs groupes à la fois.

Déjà, 900 jeunes Finistériens sont entrés dans le dispositif. Chaque candidature, proposée par la mission locale ou par l’un de ses partenaires, est d’abord examinée par une commission interne à la mission locale, puis par une commission départementale qui se réunit une ou deux fois par mois. L’occasion pour les partenaires d’échanger sur le parcours et l’opportunité de cette action pour chaque candidat. « La coconstruction du dispositif entre un cadre national et une souplesse locale a vraiment permis de développer le partenariat local sur la question de l’insertion », apprécie Cathy Le Moine, directrice d’insertion et de probation au SPIP 29. Mais il a fallu prendre le temps de croiser les regards. « Au départ, les réunions duraient quatre heures », se souvient Guénaëlle Barbier. 90 % environ des demandes sont acceptées. Les bénéficiaires, plutôt des hommes, sont âgés en moyenne de 21 ans, disposent de ressources inférieures au RSA, sont peu qualifiés (72 % ont un niveau inférieur au baccalauréat) et n’ont pas le permis de conduire. « Ils additionnent généralement les difficultés : isolement, rupture familiale, difficultés sociales et financières, hébergement instable », observe Marie Le Morvan. Ils ont peu confiance en eux « à cause d’une vie cassée », ajoute Aurélie Le Corre, conseillère d’insertion à la mission locale de Quimper. « Ils ont besoin d’être écoutés, et le dispositif leur apporte cela. » Au-delà des critères de ressources, c’est surtout la capacité de la personne à s’engager, à vouloir sortir de sa situation, qui décide de son entrée dans le dispositif. La démarche risque ainsi de ne pas convenir à des jeunes ayant du mal à honorer un rendez-vous.

UNE ALLOCATION POUR CEUX QUI S’ENGAGENT SUR UN AN

Pour remobiliser ces personnes, les professionnels ont recours à différents outils. Parmi ceux-ci, une allocation – dégressive, de 439 € au maximum – que perçoivent les participants engagés sur douze mois. « Si le jeune est concentré sur la réponse à ses besoins vitaux – où manger, où dormir –, il ne peut pas avoir la tête à chercher un emploi, explique Marie Le Morvan. L’allocation lui permet de se recentrer sur son insertion. » Mais l’originalité de la démarche tient surtout à l’alternance des temps collectifs et individuels.

En ce matin de janvier, dans les locaux d’une des missions locales brestoises, un groupe s’échine à résoudre un problème de logique. « Dès leur entrée dans le dispositif, les jeunes sont à temps plein dans nos locaux pendant six semaines, par groupes de 15 environ, décrit Véronique Le Pen, conseillère référente à Brest. Au départ, le collectif peut leur faire peur : ils sont davantage habitués aux liens par le biais des réseaux sociaux qu’aux interactions directes. Or c’est justement ce dont ils ont besoin. » Les premières semaines sont consacrées au renforcement des compétences sociales, via des thèmes comme le logement, la santé, le budget, la mobilité ou la citoyenneté. Puis ils sont formés aux techniques de recherche d’emploi. Le collectif est déculpabilisant pour ces jeunes chômeurs qui constatent que leur situation est partagée par d’autres. Il génère autant de l’émulation que de l’entraide. Pour les jeunes, le groupe devient même le premier réseau pour trouver des stages. « Le collectif est un très bon outil pour cerner mieux et plus vite ce sur quoi travailler pour renforcer l’opérationnalité en emploi : la ponctualité, le comportement ou l’expression orale », détaille Julie Borg, conseillère d’insertion à la mission locale de Brest.

Devant le groupe, Alan B., âgé d’une vingtaine d’années, présente sur la base d’un collage d’images une « expérience positive » qu’il a vécue. Il a choisi de parler de sa passion du poker : « Aux cartes, je réfléchis à la façon d’agir et de réagir par rapport aux gens. J’apprends à analyser les autres et à prendre des décisions rapides. » Le binôme de conseillers qui anime la séance met en valeur ces points positifs : « Tu listes des compétences qui te serviront dans le travail, Alan ! » A son tour, Mélanie R. ose présenter à ses camarades une expérience plus intime d’accompagnement d’une personne en fin de vie. Les compliments fusent naturellement du groupe, qui n’a pourtant pas l’air particulièrement tendre : « Faut être courageuse ! », s’exclame une jeune. « T’as rendu de la joie à quelqu’un avant qu’il ne parte, c’est cool ça ! », renchérit un autre.

UNE PLUS GRANDE PROXIMITÉ AVEC LE BÉNÉFICIAIRE

L’autre singularité de la « garantie jeunes » est son caractère intensif. Outre les journées passées en collectif pendant le premier mois et demi, s’ils désirent aborder toutes sortes de questions sociales ou professionnelles, les bénéficiaires peuvent rencontrer individuellement leurs conseillers. Ce qui requiert de ces derniers une plus grande disponibilité : chacun d’eux suit 50 jeunes, contre 160 ou 170 dans les autres services d’une mission locale. « On peut être réactifs, affirme Véronique Le Pen. Recevoir le jeune le matin pour entendre sa question, puis de nouveau le soir pour lui apporter une réponse. De cette façon, ils avancent vite. » Conseillère à Quimper et CESF de formation, Estelle Paumard apprécie cette proximité : « On identifie plus rapidement leurs freins à l’emploi. Du fait que l’on passe beaucoup de temps ensemble, nous pouvons nous permettre d’aller plus loin dans nos remarques, et eux osent davantage dire ce qui ne leur convient pas. » Pour les professionnels, il est indéniable que cette confiance fait progresser les jeunes : « En redonnant leur confiance à quelqu’un, ils se refont confiance à eux-mêmes. » Après les six semaines de collectif, les participants se lancent dans la recherche de stages et ne sont vus par leurs conseillers que tous les quinze jours.

Cette méthode se fonde sur les compétences des participants transférables dans l’entreprise plutôt que sur leur qualification, car leur curriculum vitæ n’est souvent pas très étoffé. « Par exemple, on part de l’expérience d’un jeune qui a cherché un logement pour la transférer à la quête d’un emploi, souligne Julie Borg. Ils se rendent alors compte de tout ce que la vie quotidienne leur a permis d’acquérir. » Plusieurs outils créatifs permettent de travailler efficacement sur la revalorisation de l’estime de soi. Par le biais de ce travail plus personnel, les conseillers découvrent aussi chez les jeunes des compétences à côté desquelles ils seraient passés dans un cadre plus formel. La démarche favorise les outils coconstruits par les jeunes et les professionnels. Certains ont créé ensemble un blog, d’autres ont fait un court-métrage ou ont organisé une journée sportive. Tous ont rédigé une charte de vie collective. « On leur demande beaucoup leurs avis, ce qui les étonne », témoignent les conseillers.

Danny Chocraux, 20 ans, est venu rencontrer sa conseillère. Il sort bientôt du dispositif, un contrat à durée déterminée en poche. « Au début, j’avais un peu peur que les ateliers ressemblent à des cours, je ne voyais pas le lien avec ma recherche d’emploi. Mais c’est motivant, raconte le jeune homme. Quand on a juste un rendez-vous par-ci par-là avec un conseiller, on baisse vite les bras. L’ambiance de groupe est sympa et j’ai pu après enchaîner des stages. Ma conseillère me fixe un objectif. Quand je l’atteins, c’est comme une victoire personnelle. Puis elle m’en donne un autre. J’avais connu beaucoup d’échecs. Ici, je me sens aidé à me relancer dans la vie. Je n’ai plus peur. » Le dispositif plaît à la plupart des jeunes, qui se sentent entourés, sommés de retrouver un rythme, recentrés vers un but – « soutenus comme on est, et pas mis dans des cases », témoigne une jeune femme.

Au début, l’articulation des nouvelles équipes « garantie jeunes » avec les autres professionnels des missions locales a été perçue comme une source potentielle de difficultés. Les conseillers déjà en poste se sentaient-ils remis en question par l’apparition de nouvelles méthodes et de nouveaux outils ? Pour couper court à ces inquiétudes, la mission locale de Quimper a profité de ce vent neuf pour faire évoluer ses pratiques. « Quand on a vu que le collectif fonctionnait auprès des jeunes, on l’a diffusé dans d’autres dispositifs, comme l’accueil des nouveaux arrivants à la mission locale, explique Roselyne Guéguen, sa directrice. Une organisation « toujours plus structurée » et « toujours plus normée » avait conduit à l’abandon du collectif. Aujourd’hui, nous rouvrons nos pratiques. » Chaque conseiller de la mission locale effectue d’ailleurs un passage en immersion dans le service pour être formé aux nouveaux outils.

BEAUCOUP D’ÉNERGIE POUR ÊTRE SUR TOUS LES FRONTS

La difficulté sur laquelle butent encore plusieurs équipes est l’organisation du suivi après les six semaines de collectif. Théoriquement, ce temps est consacré aux mises en situation professionnelle et ponctué de rendez-vous individuels. « Mais les jeunes redemandent du collectif, car cela les dynamise, observe Roselyne Guéguen. On a donc créé des journées collectives de visite d’entreprises, de recherche de stages et de sport. » Parallèlement, toutes les six semaines, un nouveau groupe arrive. « Il faut à la fois accueillir les nouveaux et continuer à suivre les anciens ! Il faut une grosse énergie pour être sur tous les fronts », soupire-t-on dans l’équipe de Quimper.

C’est là, justement, que Gaëlle Raoul anime un atelier « jeu de rôles » où les jeunes sont tour à tour employeurs et candidats à un entretien d’embauche. La « garantie jeunes » utilise la méthode de médiation active, qui consiste à travailler avec les jeunes sur la culture de l’entreprise, les savoir-être attendus, les règles de vie professionnelles. Lors des temps collectifs, des patrons et des directeurs d’entreprise d’intérim sont invités. « Les participants viennent alors en tenue professionnelle et munis de leur CV », précise Julie Borg. Quand les jeunes sont en stage, les conseillers vérifient que tout est en ordre : « Sais-tu où se trouve l’entreprise ? Quel moyen de transport vas-tu utiliser ? Que mangeras-tu le midi ? » Pour capter les offres d’emplois non formalisées, l’autre axe de la médiation active vise à développer des relations de confiance avec les employeurs, en allant les rencontrer, en profitant d’une réunion de suivi de stage d’un jeune pour parler d’un autre candidat. Sur le papier, ce dispositif est donc tourné à 50 % vers le jeune et à 50 % vers les entreprises, mais cette seconde partie est la plus difficile à mettre en œuvre. Les professionnels avouent être tournés d’abord vers les jeunes. Dans un contexte économique difficile, les entreprises sont souvent peu disponibles et, surtout, ces prises de contact demandent un temps que les conseillers n’ont pas. « Est-on encore dans une recherche d’autonomie du jeune si on va prospecter pour lui ? », s’interroge en outre Julie Borg.

Sur l’ensemble de l’année, l’objectif est que la majorité de chaque promotion passe la moitié du temps en situation professionnelle. Mais aussi que la moyenne des allocations perçues par le groupe soit dégressive. En effet, les équipes constatent qu’en enchaînant des stages, les jeunes s’ouvrent sur l’extérieur et raccrochent avec le dynamisme et l’emploi, voire se reconstituent des droits pour toucher des allocations chômage. Ce qui répond d’ailleurs aux attentes des partenaires des missions locales. « Les jeunes que nous suivons ont souvent des obligations de travail ordonnées par les magistrats, rebondit Cathy Le Moine. Le dispositif leur permet d’allier ces obligations à un vrai projet. En termes d’acquisition de confiance en soi et d’autonomie, il fonctionne bien. Les jeunes ont un soutien, un planning, une stabilité financière. » Reste que ces objectifs d’emploi peuvent devenir pesants. « Il ne faudrait pas qu’on nous demande des résultats d’insertion professionnelle avec une pression trop forte sur les stages, analyse Aurélie Le Corre. Tous les jeunes que nous accueillons ne sont pas prêts pour l’entreprise. S’ils n’ont pas de stage mais qu’ils ont stabilisé leur logement et passent leur permis, faut-il supprimer leur allocation et les remettre en difficulté ? » Julie Borg va un peu plus loin : « L’allocation est-elle une prime à la démarche ou une indemnité de subsistance ? Auquel cas pourquoi ne pas l’étendre à d’autres jeunes ? »

Quoi qu’il en soit, rappelle Véronique Le Pen, « à partir du moment où l’on contractualise, il faut pouvoir ramener les jeunes à leurs responsabilités, y compris par une modulation de l’allocation ». Roselyne Guéguen, à Quimper, exprime pour sa part le besoin de formaliser davantage le contrat. « Si un jeune est présent à tous les ateliers mais qu’il ne trouve aucun stage, que se passe-t-il ? Il ne faut pas que le contrat porte sur une démarche mais sur des objectifs concrets. » Un jeune plus lent qu’un autre peut théoriquement être renouvelé six mois dans le dispositif, « mais compte tenu de la charge de travail qu’assument déjà les équipes, cela semble difficile », reconnaît Aurélie Le Corre. Pour autant, comme les autres conseillers, elle estime que la « garantie jeunes » gagnerait à être généralisée, tant la stabilité, la confiance en soi et la solidarité développées par le dispositif répondent aux besoins de ces jeunes.

Notes

(1) Not in Education, Employment or Training.

(2) Voir ASH n° 2889 du 26-12-14, p. 38.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur