« Une bonne loi dans son contenu, sa philosophie et son esprit », affirme Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH (Association des accidentés de la vie), qui ajoute que les associations « ont largement concouru à faire évoluer le projet initial à travers un large débat ». Votée trente ans après la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – qui compte 101 articles –, et dont le chantier a été impulsé par le président Jacques Chirac en 2002, reste incontestablement « un grand texte ». Elle a ainsi posé les fondements de la politique du handicap en France avec « trois piliers fondamentaux, à savoir l’accessibilité au sens large, le droit à la compensation et l’accès aux droits, qui constituent des avancées », comme le rappelle Patrice Tripoteau, directeur général adjoint de l’APF (Association des paralysés de France). Mais elle a aussi, « en mettant la personne handicapée au cœur du dispositif », suscité l’espoir, précise Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme.
Reste que la loi n’a pas été assez loin dans sa conception du handicap, regrette Patrice Tripoteau : « Nous n’avons pas été entendus sur la vision environnementaliste que nous défendions dans le sillage de la définition défendue par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées et selon laquelle le handicap n’est pas à considérer en lui-même mais dans son interaction avec l’environnement. » En effet, si l’environnement est mentionné dans la définition proposée(1), il regrette que la loi l’ait relativisé en partant des déficiences et des incapacités de la personne et en évoquant le droit à la compensation avant l’accessibilité.
Mais surtout, dix ans après l’élan fondateur de 2005, les associations affichent une grande déception. Elles dressent un bilan très mitigé de l’application de la loi, même si des progrès indéniables ont été réalisés, en particulier en matière de scolarisation. « A l’époque, la gauche n’avait pas voté la loi au motif qu’elle n’était pas accompagnée d’une véritable programmation politique et budgétaire. Une fois au pouvoir, elle aurait pu combler ce vide, mais cela n’a pas été le cas », déplore Christel Prado, présidente de l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis). « La mise en œuvre concrète de la loi, via les décrets, les textes réglementaires et les diverses politiques publiques, n’a pas été à la hauteur : progressivement, la loi a fini par être détricotée », regrette Patrice Tripoteau. Aussi les mesures, sans grande ampleur, présentées lors de la troisième conférence nationale du handicap du 11 décembre dernier(2), apparaissent-elles bien loin du compte.
La loi de 2005 affirme le principe du droit à la compensation des conséquences du handicap. Une équipe pluridisciplinaire, qui évalue les déficiences mais aussi les aptitudes et les capacités de la personne et prend en considération son projet de vie, élabore un plan personnalisé de compensation. La prestation de compensation du handicap (PCH) – non soumise à condition de ressources – doit permettre de financer les aides humaines, techniques ou animalières et les besoins d’aménagement du logement ou du véhicule. Elle devait être étendue, dans les trois ans suivant la promulgation de la loi, aux enfants handicapés et, dans un delai maximal de cinq ans, aux plus de 60 ans.
« Si le droit à la compensation a été une avancée, il n’est pas abouti », considère Patrice Tripoteau. Il n’obéit toujours pas aux mêmes règles pour les enfants – la prestation est d’ailleurs plus faible – que pour les adultes. Et, pour les plus de 60 ans, la barrière d’âge n’a pas été annulée : au-delà, les personnes qui deviennent handicapées sont considérées comme âgées et relèvent alors de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et ne peuvent toucher la PCH. « Nous continuons donc à réclamer un droit à la compensation universelle », défend Patrice Tripoteau.
Autre pierre d’achoppement : des critères d’éligibilité à la PCH trop étroits et un périmètre restreint – les aides ménagères, à la parentalité et à la communication ne sont pas prises en compte. « Une personne peut pourtant avoir besoin d’une aide pour s’alimenter mais aussi pour faire la cuisine, une autre pour se laver mais aussi pour donner le bain à son bébé, une troisième qui souffre de troubles de l’élocution pour être accompagnée afin de pouvoir communiquer lors d’un rendez-vous… », explique Patrice Tripoteau. En outre, les tarifs et les plafonds sont insuffisants pour couvrir les dépenses, ce qui conduit certaines personnes à réduire leur nombre d’heures d’aide ou à ajourner l’adaptation de leur logement. D’autant que les fonds départementaux de compensation du handicap, destinés à accorder des aides pour diminuer les restes à charge des personnes, ont fondu depuis le retrait de l’Etat en 2008.
Enfin, le droit à compensation est inégalement mis en œuvre selon le type de handicap : « Autant les besoins en aide humaine sont assez simples à évaluer pour les personnes en situation de handicap moteur ou sensoriel, autant ils sont complexes pour les personnes avec autisme, observe Christine Meignien. Faute de formation à l’autisme des équipes des MDPH [maisons départementales des personnes handicapées], ces aides leur sont très peu accordées ; ces publics auraient besoin pourtant d’une aide à la vie domestique, de séances d’orthophonie ou de psychomotricité, d’un accompagnement du type méthode ABA [analyse appliquée du comportement]… »
« Depuis 2005, le sujet de la compensation n’a pas été traité – bien qu’on ait insisté pour le mettre à l’ordre du jour du comité interministériel du handicap en 2013 et de la conférence nationale du handicap en décembre dernier ! », déplore Laurent Thévenin, conseiller technique du pôle « santé-handicap » à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux).
Tout enfant porteur de handicap a désormais le droit d’être inscrit en milieu ordinaire dans l’école la plus proche de son domicile – ce qui met fin à l’expression « éducation spéciale » qui s’opposait à l’éducation ordinaire. La loi reconnaît également aux enfants qui ont des besoins spécifiques le droit de bénéficier d’un accompagnement adapté – via les auxiliaires de vie scolaire (AVS) chargés de faciliter l’accueil et l’intégration des enfants dans leur classe. Le projet personnalisé de scolarisation (PPS), qui constitue un volet du plan de compensation, coordonne le déroulement de la scolarité et l’ensemble des actions (pédagogiques, psychologiques, éducatives, sociales, médicales…) nécessaires à la continuité du parcours scolaire.
Près de 260 000 enfants handicapés sont scolarisés en milieu ordinaire depuis la rentrée 2014, soit le double qu’en 2006. « L’éducation est le point le plus positif, relève Patrice Tripoteau. L’Education na tionale a pris ses responsabilités, en particulier avec la loi pour la refondation de l’école de juillet 2013 qui défend l’inclusion scolaire. » Néanmoins, si l’on constate globalement une très forte augmentation de la scolarisation des élèves dans le premier degré et un début d’amélioration dans le second degré, le lycée reste un plafond de verre. « Les choses ont considérablement bougé mais on reste loin du compte, observe Jean-Louis Garcia président de la Fédération des APAJH (Associations pour adultes et jeunes handicapés), qui relativise les chiffres du ministère : Que l’enfant soit scolarisé deux heures par semaine ou à plein temps, il est comptabilisé de la même façon. » A cela s’ajoutent les difficultés d’accès à l’enseignement supérieur. « C’est une déperdition énorme pour le pays dans le mesure où les jeunes sont cantonnés à l’AAH [allocation aux adultes handicapés] alors que certains pourraient être ingénieurs ou enseignants ! », déplore Jean-Louis Garcia.
L’accompagnement des élèves handicapés est jugé diversement. « Il y a eu des réponses avec la création des accompagnants des élèves en situation de handicap [AESH][3], même si leur “CDIsation” est encore loin d’être acquise et que leur formation reste en chantier », estime Patrice Tripoteau. La Fnaseph (Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap) se montre plus circonspecte : « Le niveau V retenu pour les AESH est tout à fait insuffisant. Comment faire monter le niveau des élèves vers le collège, puis le lycée avec des accompagnants qui n’ont pas le bac Par ailleurs, alors que nous avions mis en avant les besoins d’accompagnement sur tous les temps de vie lors de la préparation du rapport “Komitès” sur la professionnalisation des accompagnants[4], le gouvernement a choisi de se limiter au temps scolaire. Il faut se remettre autour de la table ! », déclare Sophie Cluzel, sa présidente.
Point noir également, la coopération entre l’Education nationale et les établissements médico-sociaux : « C’est un échec, affirme carrément Sophie Cluzel. Circuler d’un milieu à l’autre est encore loin d’être une réalité : la notion de filière continue à primer sur celle de parcours alors que certains jeunes auraient besoin d’allers-retours entre l’école et le secteur médico-social. » En cause, selon elle, le double ? rattachement ministériel (Education nationale-Affaires sociales) et la tarification des établissements : « Lorsqu’un enfant ne déjeune pas dans son établissement parce qu’il est à l’école, ce dernier ne bénéficie pas du prix de journée ! Il faudrait aller vers une tarification globale afin de prendre en compte les projets et les parcours. Les MDPH devraient d’ailleurs notifier des parcours et non des places. »
Le principe de non-discrimination en raison du handicap dans le cadre professionnel est clairement réaffirmé par la loi, de même que la priorité au travail en milieu ordinaire. Pour permettre aux travailleurs handicapés d’accéder à l’emploi ou de le conserver, les entreprises doivent prendre des « mesures appropriées » dont le coût peut être compensé par des aides. La loi renforce l’obligation d’emploi d’au moins 6 % de travailleurs handicapés pour les entreprises de plus de vingt salariés, créée en 1987, par des incitations et le renforcement des sanctions, qui sont étendues aux employeurs publics. Elle crée, à côté de l’Agefiph (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées), le FIPHFP (Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans la fonction publique), qui est abondé par la contribution des ministères, des collectivités territoriales et des hôpitaux publics ne respectant pas l’obligation d’emploi.
Les associations sont unanimes : le bilan est très décevant. « Les politiques publiques n’ont pas accompagné la loi, si bien que la situation de l’emploi des personnes handicapées s’aggrave plus vite que celle des autres catégories de travailleurs, et le chômage a doublé en sept ans », s’alarme Patrice Tripoteau. « Les mesures appropriées et les aménagements raisonnables prévus par la loi ne sont pas appliqués, voire sont méconnus des entreprises, ce qui conduit à un taux de chômage qui est le double de celui des autres », pointe Laurent Thévenin. « La situation est ca ? tastrophique : le handicap reste un motif d’exclusion de l’emploi, avec un gâchis énorme puisque quantité de mises en retraite pour inaptitude ou invalidité pourraient être évitées si les postes étaient mieux adaptés », assène Jean-Louis Garcia. Même analyse pour Gérard Zribi, président d’Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’établissements et services d’aide par le travail [ESAT]) (voir aussi sa tribune libre, page 32) : « Alors que le leitmotiv des pouvoirs publics est l’insertion en milieu ordinaire, les aides à l’emploi liées au handicap, qui devraient être automatiques lorsqu’on sort d’un ESAT, ne sont quasiment jamais versées du fait de leur complexité. Au final, plusieurs milliers de personnes handicapées n’en bénéficient pas ! » Dans ce contexte, les simplifications pour accélérer l’aménagement des postes de travail, annoncées lors de la conférence nationale du handicap, vont plutôt dans le bon sens.
Une problématique nouvelle a vu le jour depuis 2005 : le maintien dans l’emploi, évoqué notamment par le rapport « Le Houérou »(5). « Il y a certes un réel besoin d’information et de formation des entreprises en amont de l’embauche, mais aussi d’accompagnement avec un référent du secteur médico-social chargé de fournir un appui en cas de difficulté, si nécessaire pendant plusieurs années », souligne Jean-Louis Garcia. Selon lui, les établissements sont en capacité d’organiser ce suivi à condition « que les pouvoirs publics donnent une impulsion forte ». « La loi de 2005 n’aura de sens que si les jeunes qui ont bénéficié d’une scolarité ordinaire continuent à travailler en milieu ordinaire, poursuit Sophie Cluzel. Or, pour l’instant, ils sont orientés vers le secteur protégé via les ESAT alors qu’on pourrait multiplier les Sessad-pro, mettre le personnel des ESAT à disposition des jeunes en entreprise, renforcer le volet « insertion professionnelle » des services d’accompagnement à la vie sociale. Mais l’emploi accompagné est encore balbutiant en France[6] : comment le décliner ?, ce sera l’enjeu de la prochaine décennie. »
Quant au quota de 6 % d’emploi de personnes handicapées, « il n’est atteint ni dans le privé, ni dans le public », déplore Laurent Thévenin.
Autre point noir : les ponctions sur les réserves de l’Agefiph et du FIPHFP pour financer des mesures dont ils n’ont pas officiellement la charge.
La loi reconnaît le principe d’accessibilité généralisée comme une condition essentielle pour permettre aux personnes handicapées, quel que soit leur handicap (physique, sensoriel, mental, psychique), d’accomplir les actes de la vie quotidienne et de participer à la vie sociale. La mise en accessibilité de tous les bâtiments recevant du public (ainsi que des locaux d’habitation neufs, privés ou publics et, dans certains cas, des locaux d’habitation existants lorsqu’ils sont l’objet de travaux) et des transports est obligatoire dans un délai maximal de dix ans pour permettre à la personne handicapée d’évoluer sans rupture.
L’ambitieux programme de mise aux normes d’accessibilité, qui devait être réalisé au 1er janvier 2015, a été ajourné avec l’ordonnance du 26 septembre 2014 qui introduit, par le biais des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), des délais supplémentaires de trois ans, renouvelables une ou deux fois. Très remontées, six associations (dont l’APF, l’Unapei et la FNATH) ont déposé en décembre un recours en excès de pouvoir contre cette ordonnance devant le Conseil d’Etat. Et, à l’occasion des dix ans de la loi, le Collectif pour une France accessible (une trentaine d’organisations) a appelé à un rassemblement, le 11 février à Paris devant l’Assemblée nationale, afin de demander aux députés de ne pas ratifier, en l’état, l’ordonnance qui doit leur être présentée prochainement. « Favoriser l’accessibilité à tout pour tous est un investissement collectif qui se situe du côté de la prévention. Considérer que cela coûte trop cher, c’est exclure un tiers de la population française puisque ce sont aussi les personnes âgées, les familles avec poussettes, qui sont pénalisées », estime Christel Prado. « Dix ans après la loi, nombreuses sont les personnes handicapées qui, au quotidien, ne peuvent toujours pas vivre dans la cité comme tout un chacun », déplore Arnaud de Broca. « Dès le départ, pour respecter le délai de dix ans, il aurait dû y avoir des incitations fortes en direction des maîtres d’ouvrage, mais l’absence d’impulsion nous a menés tout droit à l’assouplissement des délais : c’est une régression majeure », affirme Patrice Tripoteau. « C’est une prime aux mauvais élèves, renchérit Grégoire Charmois, directeur de la délégation APF de Loire-Atlantique. Les acteurs concernés qui n’avaient rien mis en place se réjouissent, d’autres freinent des projets en cours et certaines collectivités ne réunissent même plus les commissions communales d’accessibilité. »
Plus modérée, la Fédération des APAJH(7) soutient le processus des Ad’AP : « Certaines mesures sont certes scandaleuses, comme celles obtenues par le lobby des copropriétaires[8], mais les Ad’AP sont une façon d’avancer puisque 80 % des lieux pourront être accessibles d’ici à trois ans. Sans ces dispositions, dès le 1er janvier, les personnes en situation de handicap auraient pu envoyer devant les tribunaux la plupart des structures accueillant du public avec le risque de dresser une partie de la population contre une autre », argumente Jean-Louis Garcia.
L’accessibilité passe aussi, comme le rappelle Christine Meignien, par la méthode « facile à lire et à comprendre » (FALC), destinée à rendre les infomations accessibles aux personnes avec un handicap mental, psychique ou cognitif : « Ce type d’outil, comme l’utilisation de pictogrammes, facilite la compréhension, y compris pour d’autres publics que les personnes handicapées, mais il est encore peu développé. » Quant à l’accessibilité au numérique, des efforts restent à faire. « Cet outil d’émancipation demeure souvent un outil d’exclusion », déplore Jean-Louis Garcia.
Dans chaque département, les MDPH exercent une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leurs proches, d’attribution des droits et de sensibilisation au handicap. Ce lieu unique s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire (médecins, ergothérapeutes, psychologues, travailleurs sociaux…) chargée d’évaluer les besoins de compensation et l’incapacité permanente afin de proposer un plan personnalisé de compensation. Ensuite les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) prennent les décisions relatives à l’ensemble des droits (taux d’incapacité, attribution de la PCH, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé [RQTH], orientation vers des établissements sociaux ou médico-sociaux…).
« Alors que l’esprit de la loi conférait aux MDPH un rôle d’accueil individualisé et de lieu-ressources, elles effectuent surtout un traitement de masse et souffrent globalement d’un manque de moyens financiers et d’un cadre administratif, qui impactent la qualité du service rendu avec des délais de réponses souvent supérieurs à un an », analyse Patrice Tripoteau. « Il faut aujourd’hui au minimum six mois, mais plus souvent plus de un an, pour obtenir une réponse des MDPH alors que les situations des personnes, parfois dramatiques, exigeraient une grande réactivité », confirme Christine Meignien. « Les MDPH ont été une grande avancée mais elles fonctionnent mal, pointe aussi Jean-Louis Garcia. Etant donné que leurs ressources diffèrent, droits et montants alloués, à situation égale, ne sont pas les mêmes, ce qui entraîne une inégalité entre les départements. Il faut revoir leur organisation et les recentrer sur leur cœur de métier, en particulier l’accueil. » « Les MDPH répondaient à une véritable nécessité, comme en témoigne le dynamisme qui les a portées dans les premières années. Aujourd’hui, le tableau est très mitigé avec des fonctionnements très hétérogènes et une mission d’accueil pas vraiment remplie », déplore Arnaud de Broca. Pour les désengorger alors qu’elles sont confrontées à une hausse des demandes de 30 % depuis 2010, François Hollande s’est engagé, lors de la conférence nationale du handicap, à mettre en œuvre un « choc de simplification » avec notamment une dématérialisation des échanges avec les caisses d’allocations familiales et la simplification de la RQTH. Cela suffira-t-il ?
Autres difficultés : les lacunes dans le repérage des attentes et des besoins des personnes handicapées. « Les systèmes d’information sont très différents d’un département à l’autre, ce qui provoque des difficultés d’extraction des données et laisse dans le brouillard la commande publique », observe Laurent Thévenin. « Impossible, dans ces conditions, d’anticiper les parcours », déplore Christine Meignien. Les choses pourraient toutefois avancer puisque Marie-Sophie Desaulle, ex-directrice générale de l’ARS des Pays de la Loire, a été chargée, dès cette année, de conduire sur les territoires volontaires la mise en œuvre du rapport « Piveteau » afin de permettre des parcours de vie sans rupture(9), à partir de la feuille de route qu’elle a présentée à la conférence nationale du handicap. L’Unapei a, de son côté, élaboré son propre outil de recensement des besoins, OBServeur(10).
Toute la question est de savoir ce que vont devenir les MDPH. Le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement – qui, après son adoption par l’Assemblée nationale en septembre dernier, doit passer en première lecture au Sénat – prévoit de les fondre au sein des maisons départementales de l’autonomie, déjà en place dans quelques départements. D’où les inquiétudes des associations. « Le risque est que cela se fasse sans concertation ni harmonisation préalable, alors que les MDPH sont déjà impactées par les réformes liées à la modernisation de l’action publique, en particulier la création des métropoles et la numérisation des processus administratifs », craint Laurent Thévenin. Les associations plaident avant tout pour l’amélioration du fonctionnement des MDPH et réclament à cette fin la mise en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre l’Etat, le conseil général et le groupement d’intérêt public MDPH prévus par la loi « Paul Blanc » du 28 juillet 2011(11), et dont le décret d’application n’est jamais paru.
(1) La loi de 2005 introduit une définition du handicap inspirée de la classification internationale des handicap et santé mentale établie par l’Organisation mondiale de la santé : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
(3) Qui remplacent les AVS – Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 45.
(4) Remis en juin 2013 – Voir ASH n° 2816 du 28-06-13, p. 5.
(5) « Dynamiser l’emploi des personnes handicapées en milieu ordinaire » – Voir ASH n° 2882 du 7-11-14, p. 5.
(7) La fédération a élaboré une « Charte pour l’accessibilité universelle » – Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 25.
(8) Des dérogations pourront exceptionnellement être accordées dans un immeuble collectif à usage d’habitation lorsque les copropriétaires refusent les travaux de mise en accessibilité.
(9) Il s’agit de faire évoluer les pratiques professionnelles de l’ensemble des acteurs pour renforcer leur coordination et le partage de l’information.
(12) Créée en 1975, l’AAH est versée par les CAF sous condition de ressources aux plus de 20 ans atteints d’une incapacité permanente d’au moins 80 % ou comprise entre 50 et 79 % avec une restriction substantielle et durable d’accès à l’emploi.
(14) Le compte formation des travailleurs handicapés pourra en particulier être abondé par l’Agefiph.
(15) Adoptée par l’ONU le 13 décembre 2006 et ratifiée par la France en 2010.
La loi de 2005 a amélioré les ressources des personnes handicapées qui perçoivent l’allocation aux adultes handicapés (AAH)(12) en bonifiant le cumul de l’AAH avec un revenu d’activité en milieu ordinaire et en instaurant le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome.
Les conditions d’accès à ces derniers sont toutefois « trop restrictives », juge Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH. Surtout, contrairement à ce que réclamaient les associations, la loi n’a pas aligné l’AAH sur le SMIC. « La question des ressources est très peu présente dans la loi de 2005 : les bénéficiaires de l’AAH ou d’une pension d’invalidité vivent toujours en dessous du seuil de pauvreté », dénonce Patrice Tripoteau, directeur général adjoint de l’APF. De fait, malgré l’augmentation de 25 % de l’AAH obtenue sous la pression des associations sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les ressources des personnes sont toujours sous tension, subissant en particulier le poids des franchises médicales et des restes à charge croissants en matière de compensation.
Une autre disposition n’arrange rien : depuis 2011, pour tenir compte du caractère évolutif de la restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi (RSDAE), l’AAH ne peut être accordée que pour une durée de un à deux ans pour les personnes dont le taux d’incapacité est compris entre 50 et 80 %, au lieu de cinq ans auparavant. « Cela crée des ruptures de droit, en particulier pour les personnes handicapées psychiques qui doivent faire la preuve qu’elles sont dans l’incapacité de trouver un emploi », pointe Laurent Thévenin, conseiller technique du pôle « santé-handicap » à l’Uniopss. Lors de la conférence nationale du handicap en décembre dernier, François Hollande a assuré qu’il allait revenir sur cette limitation. « C’est la principale mesure positive de la conférence, qui devrait aussi désengorger les maisons départementales des personnes handicapées », estime Laurent Thévenin. La question des ressources demeure toutefois entière, comme le montre le rapport « Abrossimov-Chérèque », de l’inspection générale des affaires sociales, qui explore les « liens entre handicap et pauvreté »(13). « Certaines personnes n’ont d’autres choix que de choisir entre manger, se soigner ou bénéficier d’une aide humaine », observe Patrice Tripoteau. « Depuis 2005, le sujet des ressources a pourtant été systématiquement exclu des discussions », déplore Arnaud de Broca.
Le gouvernement a rappelé, lors de la conférence nationale du handicap du 11 décembre dernier, que sa volonté est de mettre l’accent sur la formation des travailleurs handicapés, qui reste l’un des points faibles(14). De fait, la formation n’a pas été un volet particulièrement investi par la loi de 2005. Quelques avancées ont néanmoins été acquises à l’époque, comme l’adaptation des formations à la situation de santé des personnes (avec la possibilité de créer des formations à temps partiel et discontinu) et la mise en œuvre d’une politique concertée d’accès à la qualification des travailleurs handicapés. Pour la Fagerh (Fédération des associations, groupements et établissements pour la réadaptation des personnes en situation de handicap), si ces progrès sont loin d’être négligeables, beaucoup reste à faire : « Non seulement les formations à temps partiel et discontinu sont encore une exception, mais la concertation politique est loin d’avoir abouti, même si cela devrait évoluer avec la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014 qui donne clairement un rôle de pilotage aux régions », observe Isabelle Mérian, sa directrice. Plus positif : le renforcement des contraintes en matière d’obligation d’emploi des travailleurs handicapés a permis à la Fagerh de signer des conventions avec la fonction publique territoriale et le groupe La Poste.
« Il faut repartir au combat », tel est le credo de Christel Prado, présidente de l’Unapei : « Cette loi avait l’envergure nécessaire pour éclairer l’ensemble des politiques publiques quelle que soit la nature de la vulnérabilité des personnes. Je crois encore à sa mise en œuvre à condition d’éviter les luttes de pouvoir et de créer une synergie entre tous les acteurs – gouvernement, associations, entreprises… » A son image, la plupart des responsables associatifs réclament l’« achèvement réglementaire » de la loi de 2005, comme Laurent Thévenin, conseiller technique du pôle « santé-handicap » à l’Uniopss, ou son « enrichissement », comme Jean-Louis Garcia, président de la Fédération des APAJH. Dans cette perspective, ce dernier exhorte les associations à « être inventives et innovantes en s’emparant des intentions de la loi pour lui faire vivre tout son potentiel ». De même, Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH, juge nécessaire de « se saisir à nouveau, et de façon urgente, d’un certain nombre de sujets tels que les ressources, la compensation, l’accessibilité, l’emploi. Mais, déplore-t-il, aucun élan au plan politique n’est malheureusement perceptible aujourd’hui. »
Plusieurs leviers pourraient être utilisés pour avancer dans la bonne direction, affirme Patrice Tripoteau, directeur général adjoint de l’APF. Par exemple, « la lutte contre les discriminations en s’appuyant sur le défenseur des droits, qui a déjà pris des positions en matière d’accessibilité, d’emploi…, et la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées[15] ». Il suggère aussi de tirer parti de la responsabilité sociale des entreprises, des politiques en faveur de la diversité, de la lutte contre la pauvreté, du développement durable ou encore de l’approche inclusive, « selon laquelle ce n’est pas aux personnes handicapées de s’adapter à la société mais à la société de s’adapter à tous ».
L’APF a d’ailleurs lancé, le 29 janvier, un appel d’urgence « pour une société du vivre ensemble ».
Plus globalement, les associations réclament que le handicap fasse l’objet d’une politique transversale, c’est-à-dire que, pour chaque nouvelle loi, le législateur s’interroge sur son impact sur les personnes handicapées et la possibilité d’y intégrer des mesures en leur faveur. C’était d’ailleurs un engagement du président de la République, qui s’était traduit par la circulaire du 4 septembre 2012 relative à la prise en compte du handicap dans les projets de loi(16) – laquelle a d’ailleurs été complétée par la circulaire du 4 juillet 2014, qui élargit cet objectif aux autres textes à caractère normatif(17). Reste que la circulaire de 2012 n’est pas appliquée systématiquement, déplore Jean-Louis Garcia, qui propose de rendre obligatoire l’avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées sur tous les projets de loi.