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La Fondation Abbé-Pierre croise les regards des usagers et des professionnels sur le mal-logement

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« Le logement est une question de société, un pilier de l’équilibre social, du vivre-ensemble, et aborder le sujet uniquement par des questions financières et des objectifs chiffrés est une erreur. » Par ces termes, Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre jusqu’en janvier dernier, donne la tonalité du 20e rapport annuel sur l’état du mal-logement en France, rendu public le 3 février par la fondation(1), en présence de la ministre du Logement (sur ses annonces, voir ce numéro, pages 5 et 6). Un rapport résolument politique, qui se retourne sur les raisons – idéologiques, institutionnelles, financières…  – qui, depuis près d’un quart de siècle, maintiennent la France dans la crise du logement, et revient également sur les « renoncements » de 2014. Ce « fut une année blanche », résume Christophe Robert, délégué général de la fondation, revenant sur le « détricotage » des dispositions emblématiques de la loi « ALUR ». Un « recul sur l’ambition politique de lutter contre les inégalités, alors que la France compte 8,5 millions de pauvres ». Le tableau, en effet, reste très sombre, avec 3,5 millions de personnes mal logées, 142 000 sans domicile fixe et la moitié seulement des demandes faites au 115 satisfaites.

Pour illustrer l’enlisement de la crise, la Fondation Abbé-Pierre a fait dans son 20e rapport le choix « de se placer du point de vue des personnes » – celles qui « vivent aux portes du logement » et celles qui les accompagnent. Témoignages à l’appui, elle fait la lumière sur la pression qui pèse sur les dispositifs d’aide et d’accès au logement, au bord de l’implosion face à la massification de la demande et à l’insuffisance de l’offre. Le rapport décrypte les stratégies souvent inavouées de « gestion de la pénurie » auxquelles sont amenés malgré eux les professionnels. Dans certains territoires, l’amplitude de l’accès à l’hébergement d’urgence est ainsi resserrée pour continuer de répondre au plus grand nombre : « le choix est parfois fait de fixer des durées d’accueil maximales, conduisant à une “rotation” des publics accueillis ». En matière de domiciliation, il arrive que des guichets de centres communaux d’action sociale (CCAS) ferment le temps de traiter les demandes « en stock ». Dans de nombreux départements, les conditions d’octroi des aides au titre du fonds de solidarité pour le logement sont plus restrictives.

Le défaut de solutions engendre également un système de sélection que la fondation qualifie de « boîte noire » des dispositifs. Celle-ci peut agir dans deux directions inverses : un processus « par le haut » qui consiste à répondre prioritairement aux ménages présentant de meilleures « garanties » ou une plus grande capacité à sortir du dispositif. Une « surenchère » qui, selon la fondation, n’épargne pas le secteur de l’hébergement « lorsque certains gestionnaires de centres d’hébergement et de réinsertion sociale attendent des demandeurs qu’ils puissent faire la preuve de leur “capacité d’insertion socioprofessionnelle” avant d’être admis dans la structure ». A l’opposé, la sélection « par le bas » cherche à apporter des réponses en urgence aux personnes les plus en détresse. Pour le relogement des ménages reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable, certains départements ont ainsi, selon leurs propres paramètres, « relativisé » le caractère « prioritaire et urgent » du recours défini par la loi. « On tord le droit pour s’adapter à la pénurie », relève Manuel Domergue, directeur des études de la fondation.

Logique « gestionnaire »

Le rapport insiste aussi sur les situations de non-recours, plus rarement évoquées lorsqu’il s’agit d’accès à l’hébergement. Selon une enquête réalisée en mars 2014 dans le Val-d’Oise, la moitié des usagers des dispositifs de veille sociale ont cessé d’appeler le 115, pointant le caractère « décourageant » du dispositif ou inadapté des réponses. Et en regard de l’épuisement des usagers, la fondation témoigne de la souffrance des professionnels, confrontés au millefeuille de dispositifs mal coordonnés entre eux et à la dégradation de leurs conditions de travail. Selon un CCAS de la région parisienne, rapporte-t-elle, « il y avait quatre travailleurs sociaux à la caisse d’allocations familiales il y a cinq ans, il n’y en a plus que deux aujourd’hui. Cela pose des problèmes en termes de délai de traitement des dossiers d’aides personnelles au logement. » Selon la fondation, les intervenants sociaux, contraints à une « logique gestionnaire », finissent par ailleurs, « dans les territoires les plus tendus, par intérioriser les contraintes et à revoir à la baisse » l’ambition de leurs réponses. Dans ces circonstances, « certains professionnels peuvent être tentés de “reformater” les demandes pour les faire entrer dans les cases des dispositifs existants » et les faire mieux « coïncider avec l’offre accessible sur les territoires ». Des demandes de logement sont ainsi reformulées en demandes d’hébergement. « Des droits essentiels parfois ne sont pas activés », déplore également le rapport, selon lequel « c’est le cas notamment pour des personnes en situation irrégulière pour qui le SIAO n’est plus saisi systématiquement dans certains territoires, remettant en cause le principe de l’inconditionnalité de l’accueil ».

Par les témoignages de terrain, « nous pointons les dysfonctionnements. La tonalité critique du rapport ne doit cependant pas discréditer les dispositifs, mais au contraire appeler à les renforcer », précise Manuel Domergue, selon qui la situation peut être plus rassurante sur certains territoires non « tendus ». Face à ces constats inquiétants, la Fondation Abbé-Pierre formule néanmoins, outre ses propositions plus politiques, des pistes visant à refonder les pratiques. Plusieurs expérimentations locales montrent qu’il est « possible de mieux associer les personnes aux réponses qu’on leur apporte, de mieux prendre en compte leurs véritables besoins et attentes et de valoriser leurs ressources pour les rendre actrices de leur parcours d’accès au logement », plaide-t-elle. Il en est ainsi de systèmes de « location choisie » expérimentés par certains bailleurs, permettant aux demandeurs de logement de se positionner sur l’offre disponible, de la « pair aidance » développée par le collectif des SDF de Lille, en relation avec des propriétaires privés lui proposant des logements à bas loyers, ou encore des initiatives associatives visant à renforcer l’accompagnement en matière de droits liés à l’habitat.

Estimant que les pouvoirs publics restent « sourds aux alertes lancées par les associations depuis plusieurs années », les 34 membres du Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement organisent, après celles de 2008 et 2009, une troisième « nuit solidaire pour le logement » le 12 février, place de la République à Paris.

Notes

(1) Disponible sur www.fondation-abbe-pierre.fr.

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