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Réhumanisons ensemble la protection de l’enfance !

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« Deux frères ont tué froidement les figures historiques de Charlie Hebdo. Ils s’appelaient Cherif et Saïd Kouachi et avaient été placés, de 1994 à 2000, dans un centre éducatif de Corrèze. Si tous les terroristes qui se réclament de l’islam radical n’ont certes pas connu les foyers de l’aide sociale à l’enfance (ASE), comment nous, praticiens sociaux, pouvons-nous rester intouchés ? Comment ne pas nous interroger sur la faillite du système de protection de l’enfance qui laisse sur le bord de la route de trop nombreux enfants ? Un système réglementaire, légaliste, sans affect, sans faillibilité acceptée, froid dans ses obligations administratives, anonyme parce qu’“organisationnel” comme un hôpital ou une usine… bref inhumain lui-même !

Juste un exemple : un de nos slogans qui sévit encore dans tous les établissements : “Ne vous attachez pas aux enfants, ce ne sont pas vos enfants.” Tout est dit. Interdiction d’aimer ceux qui croisent ou partagent nos vies professionnelles ou personnelles, interdiction d’un engagement affectif au regard des connaissances, du savoir, de l’existence, vie et mort. Pas d’amour, cet amour inconditionnel du parent ou de l’adulte sur lequel on peut se reposer les jours d’angoisse ou de dèche financière. En un mot, pas de famille !

Alors, ces enfants passent de lieu en lieu, de foyer en foyer, d’éducateur en éducateur, de prison en prison, sans aucune attache, sans aucune main tendue. Parfois, ils restent dans le même établissement, en apparence bien dociles. Pire : un enfant tente de garder des liens avec la famille précédente, l’établissement précédent, on vous toise, vous, le praticien. Vous êtes suspecté de quelque perversité, de “faute professionnelle” ou simplement jugé incompétent par le lieu suivant.

L’affection, cet amour si vital, exhibée sur tous les écrans pour vendre des objets inatteignables, n’est ni autorisée, ni travaillée. Puisqu’il n’est pas autorisé d’aimer un enfant confié, impossible de se demander comment l’aimer, ni ce qu’aimer veut dire. Impossible de s’interroger sur la façon d’inventer l’affection pour un enfant hors des liens biologiques, d’assurer à celui-ci une bienveillance pérenne dans un certain savoir-vivre qui ne soit ni laxisme, ni coercition, mais engagement d’une protection, d’une présence. Parce que votre responsabilité est de l’accueillir en tant qu’être humain dans la communauté des hommes.

L’administration a voulu se substituer aux praticiens, dire à celui qui accomplit l’acte éducatif, médical, psychiatrique, psychanalytique… ce qu’il a à faire et comment il le doit le faire, comme un contremaître aux ouvriers d’usine… mais un enfant n’est pas un frigo ou une voiture. Fabriquer de l’humain ne se fait pas ainsi. L’actualité nous montre que nous pouvons produire des monstres, qui tuent tout ce qui peut ressembler à cette tendresse. Parce que l’humain, dans les lieux de la protection de l’enfance, il n’y en a qu’en contrebande. Les certitudes idéologiques des administrations gestionnaires commandent, elles se succèdent au rythme des modes : la “psy” toutes tendances confondues récupérée et dévoyée en fut malheureusement une, puis la sociologie miraculeuse, et aujourd’hui les finances résolutives !

J’ai honte aujourd’hui de n’avoir pas su permettre ou imposer aux représentants de l’administration de réfléchir avec nous à toutes ces questions. Pour deux raisons : la première, le respect que nous leur devons, car l’administration est le lieu, dans la culture de masse, du transit de toutes les identifications du sujet (école, médecine, carte d’identité et passeport, impôts, etc.) ; elle est l’espace anthropologique du traitement de l’appel du sujet au monde. La seconde, le respect que nous nous devons, car c’est nous, praticiens sociaux – et non les gestionnaires –, qui savons ce dont il retourne pour chaque sujet dans son affiliation subjective à devenir humain, à être membre de ce monde-ci et non du monde rêvé ou subi dans l’horreur. Nous le savons dans notre praxis, même si nous ne savons pas toujours expliciter notre acte. Nous le savons grâce à la théorie, et les praticiens sont de plus en plus nombreux à se pencher sur l’élaboration de leur acte et sa transmission aux jeunes générations.

Levons-nous et travaillons ensemble à éclairer ces relations nouvelles et indispensables avec les administrations, qui sont les rouages, qu’on le veuille ou non, de l’humanisation contemporaine. Si celles-ci refusent nos paroles ainsi que celles des enfants, sous quelque prétexte idéologique que ce soit, elles ne produiront que de l’inhumain, de l’horreur. L’acte de barbarie qui vient de se produire est un acte de trop. Il doit nous mettre au travail(1) sur ce qui apparaît comme le produit du malaise dans notre civilisation. Faisons le pari ensemble de notre réhumanisation ! »

Contact : martine.fourre@orange.sn

Notes

(1) Martine Fourré est à l’origine, avec d’autres professionnels, du collectif « La nouvelle cordée », un mouvement citoyen visant à favoriser l’insertion des enfants et adultes « incasables » – www.cedias.org/actualite/nouvelle-cordee. De leur côté, les associations de protection de l’enfance de Seine-Saint-Denis, réunies au sein d’Idées 93, ont demandé au préfet et au président du conseil général d’organiser des « états généraux de l’après-11 janvier ».

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