« Le chiendent est une plante invasive et colonisatrice grâce à ses nombreux rhizomes. Cette métaphore botanique sert ici à décrire les racines du mal qu’est l’islamisme. Celui-ci prospère sur un terrain de plus en plus laissé en friche, désaffecté, abandonné par les politiques publiques libérales, qu’il s’agisse de l’emploi, de l’éducation, de la prévention dans les quartiers, de l’animation républicaine du vivre ensemble.
L’horreur des assassinats à Charlie Hebdo, à Montrouge et porte de Vincennes a suscité une grande indignation, de la fraternité et une résistance populaire, de la douleur et de l’inquiétude aussi. Les pouvoirs publics ont répondu par les actions policières efficaces et courageuses qui s’imposaient. A plus long terme, ces mesures sécuritaires, certes indispensables, resteront des conditions nécessaires mais insuffisantes, car le mal est plus enfoui : s’attaquer à ses aspects de surface ne permettra, hélas, pas l’éradication des racines du mal, de la violence pour lesquelles bien plus de jardiniers sont indispensables.
Foncièrement, c’est de désespérance que se nourrit cette caricature de l’islam, terrible réponse au vide existentiel de trop nombreux jeunes gens comblé par les promesses mensongères de gourous. Le chômage, l’absence de perspectives, la désaffiliation, l’ennui, la haine contre le système sont, parmi d’autres, des formes de cette désespérance confinée dans le huis clos de petits groupes mimétiques, allergiques aux tentatives socialisatrices, difficiles à pénétrer sauf par ceux qui offrent de fallacieuses raisons d’exister pour et par une cause censée conduire au ciel.
C’est aussi d’absence d’autorité, à tous les niveaux, qu’il s’agit. Où sont les pères de famille, souvent inexistants, absents, dépassés ? Que peuvent faire les enseignants assignés à des programmes standardisés ? Pourquoi si peu de travailleurs sociaux d’animation, de prévention et d’assistance disponibles, au contact éducatif et relationnel donnant sens et perspectives ? Que peuvent faire les magistrats pour enfants cantonnés à la subsidiarité et à la gestion comptable des situations des mineurs délinquants et en danger ?
Il existait naguère des possibilités éducatives à l’endroit des jeunes majeurs, celles-ci ont été supprimées ou ne reste que la portion congrue de l’action des travailleurs sociaux. Les éducateurs spécialisés de rue ont été supplantés par des personnels sans spécialisation. Les durées d’intervention ont été réduites en milieu ouvert comme en internat, sacrifiées à des politiques du chiffre, victimes d’une ingénierie budgétaire et de postures managériales humainement contre-productives. Rentabilité, performance, saupoudrage des financements publics, mesures d’austérité mortifères font toujours écho à un culte de l’individualisme, du chacun pour soi, du besoin créé par un consumérisme immédiat, le tout orchestré par un libéralisme économique.
dans ce jeu-là, malheur aux vaincus, aux perdants des banlieues et d’ailleurs. Oui mais… Une frange de ces derniers s’est vengée de manière atroce, inadmissible, assassinant des innocents, des poètes libertaires, des policiers en service. Au nom de leur fausse représentation de leur prophète outragé, ils s’en sont pris aux symboles d’une société qui les a abandonnés, relégués, rejetés.
Jusqu’alors, lorsqu’elles étaient évoquées, ce qui n’était guère fréquent, les valeurs républicaines restaient trop souvent des mots sans incarnations mobilisatrices ni moyens pour les traduire dans desactivités au service du bien public et pour l’éducation des enfants et des jeunes. L’éducation civique censée être ringarde a été supprimée des programmes scolaires et, de fil en aiguille, peu de citoyens se sont trouvés en capacité d’activer les valeurs fondatrices du pacte social. Désormais, toutes les autorités politiques font chorus pour déclarer qu’il y avait un avant “Charlie Hebdo” et qu’il y aura un après. Bravo à la bande de joyeux drilles de l’hebdomadaire d’avoir suscité, certes involontairement et à quel prix, une telle prise de conscience ! Au-delà des effets et bénéfices politiciens, il faut donner acte au personnel en charge des affaires du pays et espérer des nombreux citoyens qui ont marché en masse ce 11 janvier 2015.
Bien des voix ont souligné à juste raison l’importance d’une réforme qualitative et quantitative de l’Education nationale. Il n’en a pas été de même s’agissant des travailleurs sociaux, sauf à assigner les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse à une meilleure surveillance des individus à risques de sombrer dans le terrorisme. Telle n’est pas la vocation des travailleurs sociaux, lesquels doivent pouvoir se consacrer à leur mission d’aide, de protection et de conseil dans des relations de confiance et de proximité. Pour ce faire, leurs services doivent être dotés des moyens nécessaires.
Le travail social se situe au cœur du pacte républicain. Son sous-équipement actuel n’est probablement pas étranger aux dérives d’une jeunesse laissée pour compte par des comptables à la courte vue. Ceux-ci doivent désormais céder la priorité à de bons jardiniers soucieux et capables de labourer en profondeur. Voltaire avait averti : Il faut cultiver notre jardin. »
Contact :