Pourquoi refonder le travail social ? Parce que les usagers n’en sont pas toujours satisfaits. Les travailleurs sociaux eux-mêmes expriment souvent leur malaise. On doit pouvoir faire beaucoup mieux. En 2013, le gouvernement s’est engagé à organiser des « états généraux du travail social » ; plus de deux ans après avoir été annoncés, ils n’ont toujours pas été tenus. Et ce manque d’intérêt – car c’est de cela qu’il s’agit – est dommageable. Le travail social, ce n’est pas seulement, il faut toujours le rappeler, la lutte contre la pauvreté. Toute famille, tout individu peut être concerné, qu’il s’agisse d’une difficulté conjugale, d’une tension familiale ou de problèmes avec une personne âgée dépendante. Le travail social est une question importante de société, scrutée légitimement dans le plus extrême détail par les milieux spécialisés, mais qui n’est pas toujours regardée avec sérieux et intérêt en dehors des sphères de la profession (ou, pour être plus exact, des professions).
Les bataillons du travail social sont plutôt méconnus, et parfois même méprisés. Un élément de cette méconnaissance tient de la difficulté à savoir de quoi on parle exactement. Il existe tellement de formations et de fonctions relevant de cette sphère professionnelle qu’il est difficile de bien en dessiner le périmètre. Si l’on s’en tient au cœur du sujet, alors les principaux métiers sont ceux des assistants de service social (très majoritairement des assistantes sociales). Ce sont aussi des éducateurs spécialisés, des conseillers en économie sociale et familiale, des aides médico-psychologiques. Si l’on parle de 1,2 million de travailleurs sociaux, c’est parce que l’on y compte 500 000 personnes exerçant auprès de particuliers employeurs (assistantes maternelles, aides à domicile) et environ 300 000 prodiguant des soins dans des établissements pour personnes âgées. Pour le travail social « canonique », ce sont environ 400 000 personnes qui exercent, principalement dans le secteur public et parapublic (conseils généraux, mairies, associations subventionnées, écoles), mais aussi dans quelques grandes entreprises.
Comment refonder le travail social et ses 14 diplômes ? Si le terme même de refondation n’est pas forcément apprécié du milieu, on peut avancer, à un nouveau moment d’intenses cogitations et confrontations, deux propositions générales. L’idée est de simplifier à la fois l’organisation du travail social et la vie des gens concernés (nous tous, potentiellement). La première proposition consisterait à s’inspirer du système du médecin traitant. Chacun devrait pouvoir savoir, voire choisir, qui peut être son travailleur social. Dans une relation contractuelle de client à prestataire (ce qui, on le sait, fait toujours sursauter dans le secteur), ce serait le travailleur social traitant (TST) ou travailleur social référent (TSR). Le milieu professionnel est féru de sigles. Quel que soit l’employeur, le travailleur social aurait un portefeuille de cas, de clients, dont il aurait la responsabilité. La deuxième idée serait de s’inspirer du projet de dossier médical personnalisé (le DMP). Celui-ci a bien du mal à naître, mais on doit pouvoir plus aisément créer un dossier social personnalisé (DSP) ou dossier social unique (DSU). Il contiendrait l’ensemble de nos informations, qu’il ne serait pas nécessaire de devoir débiter à nouveau à chaque contact avec un interlocuteur social (caisses d’allocations familiales, de retraite et complémentaire, Pôle emploi). Ce dossier social unique paraît nécessaire, compte tenu de la puissance actuelle des systèmes d’information.
L’ensemble est techniquement et pratiquement réalisable, à deux conditions. La première est de se soucier avec sérieux de ce travail social, sans le laisser ou, plutôt, sans l’abandonner aux seules mains, idées, difficultés et préoccupations des travailleurs sociaux. La deuxième condition est de se donner un objectif de simplification. Il ne sert à rien de répéter à l’envi qu’il faut coordonner les moyens et activités. Il faut simplifier le travail social et profiter de la révolution numérique afin de mieux partager les données et informations. Mais il est vrai que si tout le monde est d’accord pour simplifier, dans le travail social comme dans d’autres domaines, l’exercice apparaît compliqué. Répétons donc une maxime déjà citée dans ces colonnes : il est simple de compliquer, il est très compliqué de simplifier. Ce deuxième pan de la maxime compte encore plus s’il l’on veut radicalement transformer.