Ce sont 712 mètres linéaires entièrement consacrés aux questions relatives à la vieillesse et au vieillissement – dont 2 829 mémoires, 1 035 thèses, 7 951 ouvrages, 5 031 numéros spéciaux de revues et autres fascicules, 6 470 rapports et brochures divers – qui pourraient disparaître d’ici trois mois. En effet, il y a un an, après presque un demi-siècle d’existence, la Fondation nationale de gérontologie (FNG) était dissoute en raison de la fragilisation de ses finances(1). Son centre de documentation, hébergé dans des locaux de l’hôpital parisien Sainte-Périne, n’a toujours pas trouvé de repreneur et le bâtiment de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris doit être démoli au mois d’avril. « Laisser disparaître ce fonds serait renoncer à l’effort de promotion et de valorisation de la recherche francophone au profit de la prééminence des travaux anglo-saxons dans ce domaine », redoute Anne-Marie Guillemard, professeur émérite en sociologie de l’université Paris V-Descartes et cheville ouvrière de la sauvegarde du fonds.
En mai 2014, soutenue par les anciens salariés de la FNG, des chercheurs en sciences sociales et des enseignants et formateurs travaillant sur les questions du vieillissement, Anne-Marie Guillemard a rédigé un rapport(2), soumis à deux ministères, celui de la Recherche et celui des Affaires sociales, ainsi qu’au secrétariat d’Etat chargé des personnes âgées et de l’autonomie, détaillant les besoins – matériels et financiers – de reprise et de valorisation du centre de documentation. Mais « aucune des pistes avancées n’a été durablement explorée », explique-t-elle. Depuis, différentes institutions se sont portées candidates, mais ces propositions « ne sont pas idéales » – l’une d’elles n’envisage qu’une reprise partielle, l’autre ne dispose ni de locaux suffisamment grands ni de personnel dédié. « Nous ne cherchons pas des étagères où vieilliront ces documents mais bien un lieu accessible aux chercheurs, formateurs et étudiants de tous pays, où les feuillets pourront être numérisés, le fonds mis à jour par des documentalistes professionnels à même de faire de nouvelles acquisitions, de redéployer les doublons et de mettre à jour le site Internet, pointe Anne-Marie Guillemard. Pour rappel, en 2012, ultime année pleine avant la décision de dissolution de la FNG, le centre de documentation a répondu à 2 164 demandes par e-mail ou par téléphone et reçu 942 lecteurs. »
Pour la sociologue, la solution « la plus prometteuse » est celle du Grand ensemble documentaire du futur Campus Condorcet à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), « puisqu’il regroupera des établissements d’enseignement supérieur et des organismes spécialisés dans les sciences humaines et sociales »(3)… Mais celui-ci n’ouvrira qu’en 2020 ! Il est donc nécessaire de trouver une réponse provisoire pour valoriser ce fonds abandonné et assurer « sa transformation en un système d’information performant sur le vieillissement, à l’heure où se prépare une loi sur l’adaptation de la société au vieillissement ».
Le 28 janvier, l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), l’Institut national des études démographiques (INED) et l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) se sont réunis pour monter un partenariat en vue de récupérer l’ensemble des ouvrages en attendant l’ouverture du campus, ce qui permettrait une mutualisation des coûts. Un espoir se profile donc, à condition que les pouvoirs publics accompagnent ce projet… Selon Anne-Marie Guillemard, en plus de locaux adaptés, le coût de fonctionnement du centre de documentation dans cette phase de transition s’élèverait à environ 200 000 € par an. A partir d’un projet ferme de reprise, seule l’obtention en urgence de financements provisoires – « du ministère de la Recherche, de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et, pourquoi pas ?, de partenaires privés de la “silver économie” » – éviterait que ce fonds « se retrouve à la benne », estime-t-elle. Alors que la communauté des chercheurs et des professionnels de la gérontologie prépare une pétition pour soutenir cette demande, Anne-Marie Guillemard se réjouit néanmoins d’une avancée : la revue Gérontologie et société, qui avait cessé de paraître à la fermeture de la fondation, vient d’être reprise par la CNAV et un comité scientifique se met actuellement en place. Un binôme de rédacteurs en chef a été désigné – Aline Chamahian, sociologue, et Dominique Somme, professeur en gériatrie – qui prépare le premier numéro de la nouvelle formule prévu pour l’automne.
(2) Rédigé à la suite d’une lettre de mission, intitulé « Contribution à l’élaboration d’un cahier des charges pour assurer la pérennité du fonds documentaire », il est disponible sur demande à l’adresse
(3)