Deux ans après son adoption, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale est « toujours sur les rails », mais « l’impulsion interministérielle qui a marqué la première année et la dynamisation de l’ensemble par Matignon semble avoir fléchi », observent les 38 membres du collectif Alerte, qui avait réussi à faire de ce plan une promesse du candidat Hollande. Son état des lieux à mi-mandat, rendu public le 26 janvier, rejoint pour l’essentiel celui du rapport remis le même jour par François Chérèque au Premier ministre, lequel souligne notamment l’intensification de la pauvreté et la hausse du taux de pauvreté parmi les enfants (voir ce numéro, page 5). Le bilan des associations va dans le même sens, même si son approche est « différente, complémentaire, et peut-être plus critique », a précisé François Soulage, président du collectif.
Sans négliger les avancées obtenues depuis janvier 2013, dont la revalorisation du RSA « socle » – bien que celle-ci soit en deçà de leur demande – ou du plafond de la couverture maladie universelle complémentaire – qu’elles souhaitent voir porter au niveau des minima sociaux –, les organisations du collectif, qui ont travaillé en « groupes de concertation » pour élaborer 67 propositions, appellent à « une deuxième phase » du plan pluriannuel. Il faut « une renégociation immédiate du plan », fait valoir la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Les associations devraient être prochainement reçues à Matignon pour discuter de la feuille de route qui pourrait être annoncée début mars lors d’une prochaine conférence de lutte contre l’exclusion, et à laquelle elles souhaitent contribuer. Dans l’expectative sur la méthode et sur le calendrier, elles exhortent en particulier le gouvernement à sortir du silence sur la suite des « états généraux du travail social ». « C’est parce que les travailleurs sociaux ont été longtemps “la grande muette” que les “états généraux” sont si chaotiques, écrit le collectif Alerte dans son document de propositions. Au fond, comme on a décidé la participation des personnes en situation de pauvreté, il faudrait décider la participation des travailleurs sociaux à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des politiques sociales. » Il demande par ailleurs que la démarche aboutisse à la création d’un « droit à l’accompagnement ».
Le collectif, qui juge sans détour que « l’éradication de la pauvreté n’est pas la priorité numéro 1 du gouvernement », l’appelle à un portage politique plus interministériel, voire le met devant ses contradictions. « Si on veut lutter contre la pauvreté, ce n’est pas en créant des dispositifs spécifiques, mais en faisant en sorte que les personnes en situation de fragilité puissent intégrer le droit commun. Ce n’est pas le cas lorsque l’on parle de politique générale du logement en oubliant le logement très social ! », tacle François Soulage. De la même manière, il semble paradoxal que « les salariés les plus précaires [n’aient] pas accès au compte personnel de formation » issu de la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle.
Autre défaut de pilotage : l’absence de gouvernance territoriale du plan. Pour y remédier, comme l’avait recommandé François Chérèque il y a un an, le gouvernement a certes publié une circulaire, le 16 juillet 2014, demandant aux préfets de région de construire, avec les acteurs locaux, des « plans territorialisés ». S’il va dans le bon sens selon le collectif, ce texte « a laissé aux préfets trop peu de temps pour mener un travail partenarial et approfondi permettant d’établir un véritable diagnostic local », regrette-t-il. Estimant tout net que le plan pluriannuel « sera sauvé par sa territorialisation ou échouera », il préconise « l’instauration d’une “structure projet” souple au niveau national, pour aider et soutenir les initiatives locales de territorialisation, et que le lien soit fait avec la démarche Agille »(1).
Si certains chantiers prennent du retard, comme la fusion du RSA « activité » avec la prime pour l’emploi, ou sont insuffisants, comme la montée en charge de la « garantie jeunes » ou l’accès à la domiciliation, la question de l’hébergement et de l’accès au logement reste l’un des points noirs des politiques de lutte contre l’exclusion. « C’est le troisième gouvernement que nous interpellons, sans succès, sur la nécessité de mettre en place une loi de programmation », rappelle Claude Chaudières, administrateur d’Emmaüs Solidarité. Difficile, en effet, selon les associations, d’en finir avec la « gestion saisonnière » de l’hébergement promise par la ministre du Logement sans en passer par une programmation financière et pluriannuelle de places d’hébergement et de logements très sociaux. Et en attendant le « plan triennal » annoncé par Sylvia Pinel lors des assises de l’urgence organisées par la FNARS le 15 janvier dernier(2), elles formulent de nouveau des constats inquiétants, dont la réduction des aides à la pierre pour le logement social, le non-respect des engagements de l’Etat vis-à-vis des ménages prioritaires au titre du droit au logement opposable ou encore les entorses faites au droit à l’accueil inconditionnel.
Autre sujet de préoccupation : l’emploi. « Le gouvernement et les partenaires sociaux devraient se mettre d’accord sur un plan de lutte contre le chômage de longue durée qui pourrait être annoncé début février, mais nous craignons qu’il reste sur l’écume. Une fois que l’on entre dans une case, on doit pouvoir en sortir ! », insiste François Soulage. Faute de l’avoir obtenu lors de la dernière conférence sociale, les associations réclament de nouveau un accord national interprofessionnel sur les chômeurs de longue durée. Quant à la stratégie nationale de santé, dont l’un des objectifs était de résorber les inégalités d’accès aux soins, « en est issu un projet de loi en peau de chagrin », déplore Jeanine Rochefort, déléguée régionale Ile-de-France de Médecins du monde. « Il n’y a rien sur la PMI [protection maternelle et infantile], rien sur la médecine scolaire, rien sur les centres de santé, aucun article sur les permanences d’accès aux soins de santé ! » Parmi ses nombreuses propositions, le collectif Alerte demande « que les acteurs historiques de la prévention soient pris en compte dans le projet de loi » et des mesures pour limiter les dépassements d’honoraires.
Sans, en revanche, reprendre à son compte les propositions de François Chérèque pour réduire la pauvreté des enfants, le collectif Alerte s’inquiète « des statistiques provisoires indiquant que les créations nettes de solutions d’accueil de jeunes enfants n’ont pas atteint les objectifs quantitatifs fixés pour 2013 » (10 706 places supplémentaires sur les 21 155 créations programmées) et demande une meilleure prise en compte des familles pauvres dans la convention d’objectifs et de gestion qui lie la caisse nationale des allocations familiales et l’Etat. Parmi ses préconisations : « sortir les familles vulnérables des obligations de rentabilité des structures d’accueil » ou encore mettre en place un dispositif de tiers payant pour les familles entrant dans la première tranche du complément de libre choix du mode de garde.
(1) « Améliorer la gouvernance et développer l’initiative locale pour mieux lutter contre l’exclusion » – Le projet, piloté par la direction générale de la cohésion sociale, donne lieu à des expérimentations sur le décloisonnement des politiques sociales menées avec les départements – Voir ASH n° 2884 du 21-11-14, p. 13.