« Il existe aujourd’hui un décalage entre l’ambition affichée pour les jeunes au sein des politiques nationales et départementales et la réalité des aides effectivement mises en œuvre », déplore l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) dans un rapport remis le 28 janvier à la secrétaire d’Etat chargée de la famille, Laurence Rossignol(1). L’observatoire y dresse un état des lieux de l’accompagnement vers l’âge adulte des jeunes majeurs, c’est-à-dire les jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance ainsi que ceux qui sont confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre lorsqu’ils atteignent la majorité. Une catégorie qui s’entend généralement des 18-21 ans(2), même si l’ONED souligne la difficulté de fixer de façon objective une limite marquant le passage à l’âge adulte. Le rapport formule une dizaine de recommandations pour améliorer les actions des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) à l’égard des jeunes majeurs.
Dans de nombreux départements, les conditions d’obtention de l’aide aux jeunes majeurs se durcissent et les durées de prise en charge diminuent alors même que l’autonomie des jeunes au sein de la population générale est de plus en plus tardive, dénonce tout d’abord le rapport(3). Dans ce cadre, l’autonomie du jeune est souvent réduite à son indépendance matérielle et financière. Or, pour l’ONED, l’autonomie dépasse ce seul objectif pour s’étendre à un processus général d’émancipation qui comprend une dimension économique, mais aussi et surtout une dimension sociale et affective. Un constat « d’autant plus problématique que les jeunes majeurs, dépourvus de soutien familial, sont souvent particulièrement fragiles ».
« La diversification de l’offre proposée par les services est un prérequis indispensable pour offrir à chaque jeune une aide qui corresponde à ses besoins et à son degré de maturité », plaide l’observatoire. Aussi recommande-t-il de proposer une offre de services « qui prenne en compte l’hétérogénéité des situations existantes sur un territoire » et de penser les démarches d’insertion et de protection « de manière complémentaire ». L’objectif, explique-t-il, est « de permettre au jeune le plus autonome d’être orienté progressivement vers le droit commun, tout en assurant à celui qui n’est pas encore en mesure d’entrer dans une logique de projet d’insertion sociale et professionnelle une protection suffisante ».
Pour l’ONED, il est par ailleurs nécessaire d’assurer la connaissance et la lisibilité du dispositif. Pour cela, il préconise d’élaborer une description précise de l’aide, de ses conditions d’obtention, de son contenu, des conditions de fin de prise en charge et de ses barèmes financiers dans les règlements départementaux de l’ASE. Il faut également mettre en place une formation adaptée des intervenants sociaux en charge des jeunes majeurs afin d’actualiser leurs connaissances des politiques et des actions existantes, prône-t-il.
L’observatoire recommande également l’élaboration d’un diagnostic partagé entre les principaux acteurs sur les besoins des jeunes majeurs rencontrant des difficultés éducatives, sociales et familiales afin de décloisonner les politiques et de mutualiser les moyens. Selon le rapport, ce diagnostic doit inclure des thématiques très diversifiées et impliquer un vaste réseau d’acteurs, à savoir : en matière de logement, l’Etat, le conseil général et le secteur associatif ; dans le domaine de la formation, le conseil général, le conseil régional, les missions locales et l’Education nationale ; en matière de santé et de handicap, l’Etat, les hôpitaux, l’agence régionale de santé et la maison départementale des personnes handicapées ; s’agissant des publics les plus en difficulté, l’hébergement social d’urgence, la prévention spécialisée et l’ASE. Cette mission pourrait être confiée aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE), suggère l’ONED.
Autre recommandation : inclure les données relatives aux jeunes majeurs dans le périmètre des informations préoccupantes faisant l’objet d’une remontée aux ODPE et à l’ONED.
Les besoins du jeune majeur doivent être pris en compte dans leur globalité, tant sur un plan affectif (notamment en ce qui concerne le développement de son réseau social) que cognitif (afin qu’il puisse se sentir adulte et capable) et fonctionnel (permettant l’acquisition de connaissances et de compétences nécessaires pour pouvoir organiser le quotidien), plaide l’ONED. Il préconise donc d’instaurer, pour tout jeune âgé de 18 à 21 ans qui en fait la demande, un droit à une évaluation de sa situation par les services de l’ASE. Pour les jeunes sortant du dispositif de protection de l’enfance, cette évaluation pourrait être proposée de façon systématique pendant l’année précédant les 18 ans, suggère l’observatoire. Il propose également de définir un support d’accompagnement permettant au jeune et aux professionnels de comparer leurs points de vue sur la situation et d’aborder ensemble le parcours et les projets dans de nombreux domaines (formation, emploi, logement, santé, relations entre le jeune et sa famille d’origine, éventuelles inquiétudes…). D’une façon générale, il faut réaffirmer l’obligation d’information générale et continue de l’ASE vis-à-vis du jeune sortant du dispositif de protection de l’enfance et/ou du jeune majeur sur ses droits, recommande l’observatoire.
Pour l’ONED, l’anticipation des besoins du jeune avant qu’il acquière la majorité doit permettre d’assurer la cohérence et la continuité de son parcours au-delà de son changement de statut. A ce titre, il préconise d’organiser un relais entre le référent désigné dans le cadre du projet pour l’enfant et le référent du jeune majeur. En outre, lorsque le jeune le souhaite et que les conditions d’organisation et de fonctionnement du service le permettent, son suivi en tant que jeune majeur devrait être confié au professionnel référent des mesures éducatives prononcées pendant la minorité, conseille l’observatoire. Il recommande également de créer pour le jeune pris en charge pendant sa minorité au titre de la protection de l’enfance un droit de suite à la charge du président du conseil général, consistant dans la garantie d’une aide éducative avant 21 ans et la possibilité d’un dispositif de soutien lorsque le jeune âgé de plus de 21 ans poursuit des études et/ou une formation.
Autres suggestions : reconnaître au jeune un « droit à l’erreur », éviter les ruptures brutales de parcours, notamment lorsque le jeune déménage d’un département à l’autre, ou encore mettre en place un délai de prévenance lorsque l’aide « jeune majeur » prend fin.
« Les professionnels, comme les jeunes rencontrés, perçoivent pour beaucoup le contrat “jeune majeur” [4] comme un outil de contrainte qui prend la forme d’une injonction des services de l’aide sociale à l’enfance à une indépendance matérielle rapide », constate l’ONED. D’où des effets indésirables, selon lui, au premier rang desquels figure une sélection à l’entrée du dispositif d’aide aux jeunes majeurs. « Dans ce cadre, regrette l’observatoire, seuls les jeunes en voie d’insertion pourront bénéficier d’une aide alors que les jeunes ayant les difficultés sociales, éducatives et familiales les plus importantes et présentant un risque de marginalisation élevé seront parfois exclus. » Aussi l’instance recommande-t-elle de distinguer l’aide « jeune majeur » et le contrat « jeune majeur » en pensant ce dernier comme un outil support de l’aide apportée au jeune et non comme la décision administrative actant et conditionnant l’aide au jeune majeur. Il serait donc nécessaire de dénommer autrement ce contrat qui n’en est pas un, conclut-elle.
(1) L’accompagnement vers l’autonomie des « jeunes majeurs » – Janvier 2015 – Disponible sur
(2) Selon ses dernières estimations, au 31 décembre 2012, près de 21 500 jeunes majeurs étaient concernés par une mesure de protection de l’enfance, soit 9,1 ‰ des 18-21 ans – Voir ASH n° 2886 du 5-12-14, p. 6.
(3) Voir aussi le décryptage « Rebondir après une mesure de protection de l’enfance » dans les ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 24.
(4) Conclu avec le service de l’ASE, ce contrat permet une prise en charge des jeunes majeurs de moins de 21 ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants.