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Des professionnels au cœur de la lutte contre les inégalités

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« Bien qu’il demeure l’une des “minorités visibles” des professions sociales, le métier d’éducateur de jeunes enfants (EJE) est le seul du niveau III à avoir enregistré une forte augmentation de ses professionnels ces dernières années – environ 18 500 en 2011 contre 13 000 en 2006(1). Si cette croissance s’explique pour partie par les créations de postes dans les établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), elle résulte également de l’ouverture du secteur social et médico-social à l’insertion professionnelle des EJE. Un constat qui se vérifie tout particulièrement dans le Nord-Pas-de-Calais où 30 à 40 % des jeunes diplômés trouvent leur premier emploi dans les établissements accompagnant les enfants en situation de handicap, dans la protection de l’enfance ou bien encore dans les centres d’hébergement et de réinsertion sociale. Ce sont, dans cette région, entre 2007 et 2012, 140 postes d’EJE qui ont été créés dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale du secteur non lucratif, selon l’enquête “Emploi 2012” réalisée par Unifaf(2).

Difficile d’imaginer que les employeurs ont voulu nous faire plaisir ! Ils ont répondu au besoin de disposer de compétences spécifiques et complémentaires à celles des équipes pluriprofessionnelles des établissements et services. Une évolution qui démontre à l’évidence, s’il fallait encore le prouver, la dimension “travail social” de la profession.

Une mission sociale

Mais c’est aussi dans leur champ d’activité “historique”, les établissements d’accueil du jeune enfant, à travers la lutte contre les inégalités ou la promotion de l’égalité des chances, que les EJE doivent affirmer leur identité de travailleur social. Notre pays est confronté à un paradoxe sociétal : alors que le principe d’égalité figure sur le fronton de toutes les mairies et constitue un des socles du vivre-ensemble, les institutions, en particulier dans le champ éducatif, “produisent” de plus en plus d’inégalités et de plus en plus précocement. La prise en compte, dès le plus jeune âge, de la question de l’égalité des chances constitue, en termes d’ambition professionnelle et de compétence, un enjeu majeur pour l’avenir de la profession d’EJE. Et ce défi est désormais à notre portée puisque les politiques publiques de la famille nous y invitent.

Les EAJE ont en effet désormais, à côté de leurs finalités principales – favoriser le travail des femmes, accompagner et socialiser le jeune enfant, permettre aux parents de concilier vie personnelle et vie professionnelle… –, la mission de lutter contre les inégalités, en particulier d’accès aux structures. Le décret du 1er août 2000(3) précise en outre qu’ils “concourent à l’intégration sociale des enfants ayant un handicap ou atteints d’une maladie chronique”. Plus récemment, le plan de lutte contre la pauvreté les invite à “améliorer l’accueil des enfants de moins de 3 ans issus de famille modestes”. Des évolutions reprises par la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2013-2017 de la caisse nationale des allocation familiales, qui enjoint aux crèches d’accueillir a minima 10 % d’enfants issus de familles pauvres(4).

Mais au-delà des incitations gouvernementales, l’implication des EAJE et des professionnels dans la promotion de l’égalité des chances est déjà à l’œuvre. C’est ce qu’illustre un projet mené actuellement dans le Nord, qui n’est qu’une des nombreuses initiatives développées sur le territoire(5). Il y a quatre ans, dans ce département, les EAJE n’accueillaient pas (ou si peu) d’enfants en situation de handicap. Outre les problèmes de places, les professionnels mettaient en avant non seulement les questions de sécurité et de moyens, mais ils estimaient aussi ne pas avoir la compétence requise (la peur de mal faire). Cette problématique a été prise en compte par la commission départementale de l’accueil du jeune enfant (CDAJE), qui, à l’issue des réflexions d’un groupe de travail, a notamment proposé à l’ensemble des structures une formation financée par la caisse d’allocations familiales(6).

Deux ans après, des effets probants ont pu être observés et, aujourd’hui, l’accueil des enfants en situation de handicap est une réalité. Outre qu’ils ont accès à un service de droit commun, ces jeunes publics profitent de la diversité et bénéficient d’un accompagnement éducatif adapté à leurs besoins et coordonné avec les prises en charge extérieures éventuelles. Dans les équipes, la question n’est plus “peut-on accueillir l’enfant handicapé ?”, mais “comment va-t-on l’accueillir, quelles pédagogies proposer pour tenir compte de ses besoins ?”. On assiste à l’émergence et à la mise en œuvre de pédagogies inclusives(7). Compte tenu de leurs qualifications et des fonctions qu’ils occupent dans les EAJE, les EJE ont une place centrale dans le développement des stratégies pédagogiques inclusives. Ce sont, en effet, eux qui animent le plus souvent les réflexions autour des projets pédagogique, éducatif et social. Par ailleurs, leur niveau de formation leur permet de prendre en compte à la fois les besoins spécifiques des enfants et le travail de partenariat nécessaire tant auprès des parents que des services spécialisés.

L’échelle du territoire

Quelles leçons tirer de l’expérience du Nord ? S’il existe ici ou là des initiatives en ce sens, la promotion de l’égalité des chances ne peut être appréhendée qu’à partir de projets concertés à l’échelle d’un territoire. Ce qui suppose de réunir plusieurs conditions : une volonté politique, quelques moyens financiers, la mobilisation des compétences des professionnels. A partir de la méthodologie d’action expérimentée dans le Nord, les instances politiques, les institutions et les professionnels devraient pouvoir engager de nouveaux projets concertés visant, par exemple, à lutter contre les inégalités filles-garçons ou les inégalités sociales.

Toutes ces évolutions interrogent directement le métier des EJE. Il s’agit, en s’appuyant sur leurs compétences historiques, de développer leur capacité à initier et à mettre en œuvre des stratégies pédagogiques prenant en compte les besoins spécifiques de tel ou tel enfant et ainsi relever le défi de la promotion de l’égalité des chances et de l’accompagnement éducatif des enfants à besoins différents. De fait, l’EJE occupe une place spécifique dans la famille des professions sociales. C’est la seule, ou du moins l’une des seules, à mettre à disposition, à partir d’une mission de droit commun (l’accompagnement éducatif des moins de 3 ans), ses compétences pour accompagner tel ou tel enfant en difficulté. En accompagnant tous les enfants, quels que soient leurs besoins, les EJE garantissent à la fois la mixité sociale de l’accueil et la prise en charge éducative précoce.

Pour anticiper et accompagner ces changements les centres de formation d’EJE ont fait évoluer leurs contenus de formation(8) en renforçant l’acquisition des compétences centrées sur la connaissance des problématiques et les méthodologies dans l’accompagnement des enfants en difficulté (handicaps, difficultés sociales, protection de l’enfance…)(9) et en augmentant les cours consacrés aux politiques sociales. Aujourd’hui, ces contenus (en termes de volume et d’objectif pédagogique) sont identiques à ceux des autres formations sociales de niveau III tout en demeurant centrés sur une tranche d’âge spécifique : 0 à 7 ans. Au risque de provoquer, le métier d’éducateur de jeunes enfants est la seule profession éducative spécialisée !

A l’heure où l’Etat réfléchit à une nouvelle architecture des diplômes, ces questions de positionnement du métier sont déterminantes. Au vue des propositions formulées dans le récent rapport de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale(10), je ne peux qu’être favorable à la perspective d’un tronc commun dans les formations sociales. Mais on ne peut accepter, au nom de la reconnaissance d’une culture professionnelle commune, que l’accompagnement des jeunes enfants et des familles soit renvoyé à une simple option proposée en fin de parcours. Et je partage l’inquiétude, d’ores et déjà exprimée par certains professionnels(11) de voir la profession d’EJE, que certains pays européens nous envient, se fondre dans un diplôme générique. Comme le disait Ghandi, “l’avenir de la Nation repose sur les petits pieds fragiles de nos enfants”… Cela vaut bien quelques professionnels compétents pour préparer notre avenir. »

Contact : jeanpierrefeutry@crfpe.fr

Notes

(1) Etudes et résultats n° 893 – Septembre 2014. En 2014, on estimait à 19 500 le nombre d’EJE.

(2) Rapport disponible sur www.unifaf.fr.

(3) Décret n° 2000-762 portant sur les conditions d’accueil des enfants de moins de 6 ans dans les EAJE.

(4) Voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 9.

(5) Voir notre enquête intitulée « Des modes de garde au service de l’insertion des femmes » et notre reportage à Rezé, ASH n° 2884 du 21-11-14, p. 28 et p. 24.

(6) Qui s’est déroulée en 2012 sur 28 sites dans le département et a touché plusieurs centaines de professionnels. Sa poursuite est envisagée sous d’autres formes en 2015.

(7) « La pédagogie de l’inclusion, un enjeu de formation, un enjeu professionnel pour les institutions de l’enfance » – Marie Andrys, Jean-Pierre Feutry – Les métiers de la petite enfance n° 186.

(8) La réglementation des études applicable depuis septembre 2006 propose 300 heures de formation théorique supplémentaire par rapport à l’ancienne législation.

(9) Le CRFPE propose en formation initiale et continue un module sur la « pédagogie de l’inclusion ».

(10) « Métiers et complémentarités, architecture des diplômes de travail social » – Voir ASH n° 2888 du 19-12-14, p. 5.

(11) Voir ASH n° 2888 du 19-12-14, p. 18.

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