Recevoir la newsletter

Mobilisationgénérale

Article réservé aux abonnés

Créé pour lutter contre la refonte des diplômes des métiers du social, le collectif Avenir éducs veut s’ouvrir aux assistants sociaux, éducateurs de jeunes enfants et autres professions de l’action sociale, sur l’ensemble de la France.

« Non à la casse du travail social », « On ne gère pas l’autre, on l’accompagne » … Les banderoles ondulent au pied du ministère des Affaires sociales. Ce 12 décembre, plusieurs centaines de professionnels et de formateurs aux métiers du social battent le pavé parisien, pour défendre la formation et la profession d’éducateur spécialisé, qu’ils sentent menacées par les travaux actuels sur la réingénierie des diplômes du travail social, qui se mènent… sans eux. Pour l’occasion, ils se sont joints aux étudiants mobilisés depuis de longs mois sur les difficultés liées à la gratification des stages longs.

À L’ORIGINE, UN COUP DE COLÈRE

Cette action est la dernière en date du collectif Avenir éducs, né en avril dernier à la suite d’un séminaire de réflexion organisé par Gabrielle Garrigues, éducatrice spécialisée et formatrice en institut régional du travail social (IRTS). « Tout est parti d’un coup de colère de ma part quand j’ai découvert le projet de la CPC[1], explique-t-elle. J’ai appelé quelques collègues, et je me suis rapidement rendu compte qu’ils n’étaient pas non plus au courant. On n’avait jamais sollicité ni les formateurs ni les professionnels de terrain, alors que le projet que j’avais sous les yeux était déjà bien ficelé. »

Inquiète, l’éducatrice spécialisée rassemble quelques intervenants et organise, le 26 mars 2014, une rencontre-débat intitulée « Le métier d’éducateur spécialisé, participons à l’évolution de notre profession ». « Sans réelle publicité, nous avons réussi à réunir quelque 82 participants et des intervenants de renom dans la profession, tels Michel Chauvière, Paul Fustier, Philippe Gaberan, Joseph Rouzel », résume Gabrielle Garrigues. Dès le départ, l’événement obtient même le soutien de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES) et celui de l’Association pour la formation au métier d’éducateur de jeunes enfants (Aformeje). « On m’a surtout demandé de raconter ce qui s’était passé au moment des “états généraux du social” de 2004[2] , dont j’étais partie prenante, résume Michel Chauvière, directeur de recherche au CNRS et membre du Centre d’études et de recherches de science administrative (CERSA). Il y avait là une invitation à la transmission à laquelle j’ai répondu bien volontiers. »

Le constat unanime est alarmant : cette réorganisation de la formation éloigne les futurs professionnels de la clinique du quotidien, favorise l’émergence de profils de coordinateurs de projet ou de techniciens du social, dilue l’identité des métiers, privilégie le savoir-faire plutôt que le savoir-être, etc. « On veut détruire des métiers pour créer des techniciens qui entreront dans des procédures, alerte Jean-Marc Brun, membre du collectif, formateur, EJE et éducateur spécialisé de métier. D’ailleurs, le terme de refonte évoque bien la dissolution, l’idée de faire table rase du passé… » Devant l’ampleur des questions soulevées et le besoin de s’exprimer davantage, à l’issue de la rencontre, il est décidé de poursuivre la réflexion à travers la création d’un collectif.

UN ENGAGEMENT SOUPLE ET OUVERT

« L’idée, c’était de rassembler à la fois les professionnels de terrain, les formateurs, les chercheurs, les étudiants », résume Gabrielle Garrigues. Et dans un collectif, « pas besoin d’être encarté, pas besoin de payer, tout le monde peut s’exprimer, jeune ou expérimenté, chacun peut apporter son regard et son expérience », ajoute Adam Cano Quero, chef de service éducatif en prévention spécialisée et participant actif au collectif depuis sa fondation. Parmi les membres, certains ont déjà l’expérience de la mobilisation au travers d’associations ou de syndicats, d’autres, non. « Et nous ne venons pas remplacer ces organisations, précise Gabrielle Garrigues. Il ne s’agit pas de venir combler un vide, mais de s’arrêter et de réfléchir sur un objet : la refonte et ses enjeux, qui concernent le fond de notre métier. A nous ensuite de communiquer, de faire connaître la problématique et notre propre réflexion, voire d’élaborer nos recommandations, afin qu’elles soient reprises par les acteurs officiels, syndicats, associations, administrations, etc. » Et d’éviter l’écueil d’une trop grande personnalisation du mouvement : « Il faut quelqu’un pour initier le collectif et l’action, explique ainsi Gabrielle Garrigues. Mais nous avons tous la légitimité pour le représenter, tous nos propos et nos décisions sont élaborés en commun, il faut maintenant réussir à faire tourner la prise de parole pour que les médias ne s’adressent pas qu’à moi. »

L’avantage du collectif réside également dans sa souplesse et son ouverture. Chacun s’implique comme il veut et comme il peut, régulièrement ou non, en fonction du temps dont il dispose : jusqu’à vingt heures par semaine pour les plus investis, quelques heures par-ci par-là pour les autres. « Ce sont des soirées et des weekends, mais ce n’est pas un sacrifice, résume Jean-Marie Brun. C’est quelque chose de l’ordre d’une promesse et d’une fidélité à ce métier, qui ne m’empêche pas d’avoir ma vie par ailleurs. »

Le travail s’organise autour de réunions hebdomadaires – même s’il est parfois difficile de trouver des salles accueillantes – et de colloques un peu plus formels. « Le but est d’amener notre parole dans le débat, même si on ne nous y a pas invités », résume Jérôme Rigaut, éducateur spécialisé formateur et membre d’Avenir éducs. Avec l’idée de donner un coup d’arrêt à la refonte en cours et de créer un mouvement de réflexion national autour des métiers du social et de la préservation de leurs valeurs. Un groupe de veille a d’abord été élaboré, dont les recherches ont permis de bien comprendre ce qui était à l’œuvre, qui faisait quoi, et d’esquisser les ramifications d’un réseau qui permettrait également de faire remonter l’information. Qu’est-ce que la CPC ? Qui y siège ? Quels rapports et consultations lui permettent d’élaborer ce nouveau schéma de formation ? Digérées et synthétisées, les informations sont ensuite mises en ligne sur un blog (http://avenire ducs.canalblog.com) que le collectif crée dès le mois d’avril 2014.

En parallèle, une pétition est également lancée via le Net, invitant tous les professionnels concernés par la refonte des métiers du social à souscrire à l’appel du collectif – qui repousse toute réforme non concertée, affirme sa volonté de préserver une forte qualification pour l’accompagnement direct des publics et souligne la nécessité de « reconnaître et consolider les dimensions cliniques dans tous les métiers de la relation et du lien social ». Car, très vite, la nécessité se fait jour d’élargir le collectif à l’ensemble des métiers du social. Le projet de réingénierie concerne tous les diplômes : dans la refonte, les assistants de service social, les éducateurs de jeunes enfants, les conseillers en éducation sociale et familiale seront soumis aux mêmes tensions que les éducateurs spécialisés ou les moniteurs-éducateurs. « Je suis assistant de service social, mais l’éducatif fait également partie de mon activité, résume Simon Bounoure, également membre du collectif. Il a d’ailleurs été question à plusieurs moments qu’Avenir éducs change de nom. Personnellement, j’y étais opposé, car cela souligne la mobilisation initiale des éducateurs et n’empêche pas d’autres professionnels d’y prendre part. »

UN BLOG POUR PARTAGER DES RÉCITS PROFESSIONNELS

Au fil des semaines, le blog s’enrichit de contributions spontanées. « Nous y avons notamment mis en place une rubrique “Texte” composée de récits professionnels qui est très importante, explique Adam Cano Quero. Parce que, face à la question procédurière bureaucratique nous devons opposer notre façon de dire ce que l’on fait. » Les textes publiés anticipent sur un futur proche, où l’éducateur surveillera mensuellement ses statistiques et orientera son action en fonction de données chiffrées, ou tentent de cerner la difficulté à décrire la spécificité de la fonction d’éducateur. « Il s’agit de dire et de partager tout ce qui, déjà aujourd’hui, n’est finalement pas pris en compte par le mode de financement et d’évaluation des politiques publiques : la cigarette qu’on partage avec un jeune, le petit qu’on remet au lit au milieu de la nuit après qu’il a pu dire ses angoisses, ajoute encore Adam Cano Quero. Toutes ces choses qui, parce qu’elles ne sont pas évaluables, risquent de tomber en désuétude. »

Au-delà des « mailing lists » et autres outils Internet, le collectif créé également les « RTT porte-à-porte »: les membres du collectif se répartissent des secteurs de la capitale, vont frapper aux portes des foyers, instituts et autres services employant des éducateurs spécialisés, et leur demandent s’ils sont au courant de la réforme. « Au départ, il y a évidemment un effet de surprise, remarque Gabrielle Garrigues. Tout le monde est très occupé par le quotidien, ils ne savent pas de quoi on parle, mais la plupart du temps on nous offre un café et la discussion est entamée. » Pour autant, la mobilisation des professionnels de terrain demeure difficile. « Ils ne réalisent pas ce qu’il se passe, car ils sont coincés dans les procédures d’appels à projet pour financer leurs activités, souligne Adam Cano Quero.Déjà, le système est de plus en plus lourd, et ils ont de moins en moins de temps pour penser… » En province également la mobilisation peut se heurter à une forme de fatalisme : « Quand j’en ai parlé sur mon lieu de stage, où les professionnels sont pourtant très engagés au quotidien, on m’a répondu que la machine qui est en marche est énorme et qu’il faudrait une révolution pour l’arrêter », note Sarah Bielen, étudiante en troisième année d’éducateur spécialisé à Orléans et cofondatrice d’une branche locale du collectif.

Le 22 novembre dernier, le collectif organisait enfin un colloque qui a rassemblé entre 450 et 500 personnes à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, volontairement organisé un samedi pour que des participants puissent aussi venir de province. « A présent que nous avons démontré notre mobilisation et prouvé que, sans financement, avec notre volonté et notre passion, nous pouvions nous rassembler pour défendre nos métiers, nous allons pouvoir interpeller publiquement les autorités et organisations responsables », assure Gabrielle Garrigues. Et Avenir éducs reste mobilisé, même si la tâche demeure énorme. « Ce que cet engagement nous montre, c’est que nous ne sommes pas seuls, conclut Adam Cano Quero. A Paris, en province, chez les vieux comme chez les jeunes, beaucoup d’entre nous se mobilisent. Et si la refonte a lieu et qu’on ne tient pas compte de nos apports, nous pensons qu’elle échouera et que les réseaux que nous avons constitués nous permettront de poursuivre la lutte. »

UNE PLÉTHORE D’IDÉES D’ACTION

Pour l’heure, les idées d’action ne manquent pas. Des « états généraux » alternatifs sont évoqués, avec cahiers de doléances à la clé. « Mais devant le report permanent des ’états généraux du travail social“ que le ministère disait vouloir organiser[3] , on ne sait plus si on pourra les qualifier d’alternatifs », s’amuse Gabrielle Garrigues. Pour continuer à s’exprimer sur la spécificité du métier, des séances de théâtre-forum doivent être lancées ce mois-ci et devraient donner lieu au tournage de séquences qui seront mises en ligne. Enfin, le collectif veut désormais aller davantage au devant des personnes accompagnées et de leurs familles. « Cela nous a pris un certain temps pour bien comprendre les enjeux de cette réforme pour l’accompagnement des personnes, mais à présent nous pouvons leur expliquer nos craintes. Car leur avenir est aussi au cœur de cette réforme. »

• Sylvère Cala, éducateur spécialisé.

« C’est un formateur qui m’a parlé du collectif alors que j’étais encore à l’IRTS, parce que j’étais déjà identifié pour ma mobilisation sur les problèmes liés à la loi « Fioraso ». Je suis engagé politiquement depuis 2006 et intéressé à propager la conscience politique : j’aime comprendre ce qui est à l’œuvre au niveau politique, débattre et donner de l’enthousiasme dans la mobilisation. Donc, depuis que j’ai rendu mon mémoire, j’assiste à toutes les réunions. Ensemble, nous comprenons de plus en plus finement les tenants et aboutissants de cette refonte : qui fait quoi, les liens entre les différents acteurs. J’espère qu’il ressortira de ce mouvement un réveil de la conscience politique et une revalorisation des travailleurs sociaux. »

• Jean-Marc Brun, EJE, éducateur spécialisé et formateur en IRTS.

« J’ai reçu des mails de la part du collectif, alors que j’étais moi-même en alerte sur cette question de la refonte de nos métiers et que ma propre institution s’interrogeait sur la pertinence de cette nouvelle organisation. Auparavant, j’avais milité avec d’autres collectifs rassemblant des professionnels, mais aussi des parents autour de la question de la qualité de l’accompagnement. Là, j’ai naturellement commencé à participer à la rédaction d’articles et je veille à ce que le mouvement dépasse le seul métier d’éducateur spécialisé. Il faut mobiliser largement les métiers du social, fédérer, réunir, car nous avons intérêt à défendre ensemble la cause de ces métiers complémentaires. »

• Alison Fayol, en 2e année de formation d’assistante de service social.

« J’ai découvert le collectif en juin 2014, lorsqu’il est venu enregistrer une émission de radio à l’Ecole supérieure de travail social. J’ai toute de suite fait le lien avec la mobilisation étudiante sur la question des stages et l’avenir menacé du métier auquel je suis en train de me former. Ces changements pourraient remettre en question les valeurs qui m’ont amenée à m’engager dans cette profession : la solidarité, l’humanité, l’écoute… J’ai donc décidé de m’impliquer dans le collectif à la mesure de mes moyens : je participe aux réunions, je m’informe, je relaie l’information en direction des étudiants et m’investis autant que possible dans la communication de nos analyses et réflexions. »

Notes

(1) La Commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale, placée auprès du ministère des Affaires sociales, travaille depuis 2013 sur l’évolution de l’architecture des diplômes de travail social.

(2) Voir ASH n° 2379 du 29-10-04, p. 21.

(3) Voir en dernier lieu ASH n° 2886 du 5-12-14, p. 16.

Vos pratiques

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur