« Depuis quelques années, des collectifs de travailleurs sociaux émergent un peu partout en France, hors des syndicats et des associations professionnelles. Leur objectif : permettre aux acteurs de terrain de peser dans le débat public pour inventer de nouvelles réponses à l’exclusion. » Ce constat, les ASH le dressaient en… 1999, dans une enquête consacrée aux collectifs de travailleurs sociaux. On le voit, la mobilisation au sein de collectifs dans le secteur social n’est pas un phénomène nouveau. Ces groupes plus ou moins pérennes apparaissent régulièrement, par vagues, selon les débats et les difficultés du moment. En 1999, il s’agissait surtout pour les professionnels de faire entendre leur voix sur l’évolution des politiques de lutte contre l’exclusion. A l’époque, un certain nombre de ces organisations avaient vu le jour : Col lectif unitaire de travailleurs sociaux (CUTS), CSU, Sauts, Cap social, Aforssse, Forum 5 Toulouse, Concass, Anejad, Education et Société… Constitués sur une base locale (comme Cap social, à Bordeaux), professionnelle (à l’image de l’Anejad, qui regroupe des éducateurs de jeunes enfants) ou nationale (Education et société), ces collectifs s’inspiraient, entre autres, de l’association Act up qui, dans les années 1990, avait contribué par son activisme spectaculaire à porter la question du sida dans le débat public. Ils suivaient également les traces des grandes associations professionnelles fondatrices du secteur : l’Association nationale des assistants de service social, créée en 1944, ou encore l’Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés, fondée en 1947.
Cette mobilisation est ensuite partiellement retombée, et beaucoup de ces collectifs ont progressivement cessé leur activité. Il n’en reste parfois qu’un site ou un blog sur Internet, comme figé dans le temps. Depuis quelques années, cependant une nouvelle génération émerge. Difficile d’en dresser une liste exhaustive. Parmi eux, on peut citer le Collectif 76 des salariés du social et médico-social, le collectif NRV (« Nous restons vigilants »), le Groupement pour la défense du travail social, le collectif La Boussole(1), le Collectif de travailleurs sociaux à Rennes, les Travailleurs sociaux libres, Avenir éducs et de nombreux collectifs d’étudiants. La différence avec leurs prédécesseurs réside dans la nature de leurs objectifs. Si la génération de la fin des années 1990 entendait participer au débat national sur l’évolution des politiques sociales, les collectifs actuels visent généralement des buts plus limités, mais aussi plus concrets et précis : la gratification des stages, l’accès des usagers à la culture ou au logement, l’évolution des statuts professionnels… Les nouveaux venus semblent ainsi plus pragmatiques, mais tout autant déterminés. Ce qui n’a pas changé, en revanche, est que ces collectifs constituent aussi – et peut-être d’abord – des lieux d’échange et de partage salutaires pour des professionnels confrontés aux difficultés grandissantes des usagers et à la dégradation de leurs propres conditions de travail. S’affichant comme indépendants et complémentaires par rapport aux organisations syndicales, les nouveaux collectifs rassemblent une minorité réduite mais agissante, et qui entend bien défendre les valeurs du travail social. « La temporalité et non l’efficacité. La clinique plutôt que la technique. Un métier plus qu’une profession », peut-on ainsi lire sur le site d’Avenir éducs, collectif créé en 2014.
Dans les pages qui suivent, les ASH vous proposent d’aller à la découverte de plusieurs de ces collectifs et de leurs animateurs. Le premier est d’envergure nationale, le deuxième est centré sur une collectivité territoriale et les derniers sont issus de plusieurs centres de formation en travail social. Une interview du sociologue Jean-François Gaspar sur l’engagement militant chez les travailleurs sociaux accompagne ces reportages.
J. V.