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Fédérer sans s’épuiser

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Les collectifs naissent et disparaissent au gré des difficultés du moment. Celles liées à la gratification et à la pénurie des stages en travail social en ont fait fleurir plusieurs dans les centres de formation. Illustration à Montrouge, à Montpellier et à Nîmes.

Animé par une vingtaine d’étudiants très impliqués, le collectif étudiant de l’institut régional du travail social (IRTS) de Montrouge (Hauts-de-Seine) est né en 2012. « Cet outil militant a été créé pour réfléchir à notre formation, sa revalorisation et sa reconnaissance, et pour penser notre métier, se souvient Baptiste Anglade, cofondateur du groupe, en troisième année d’éducateur spécialisé. L’austérité entraîne des coupes budgétaires dans le social : on ne veut pas que le travailleur social de demain soit un gestionnaire de la précarité. » En première année d’éducateur spécialisé, Elena S. a rejoint le collectif de Montrouge quelques semaines seulement après sa rentrée : « Je me posais beaucoup de questions sur les stages, le diplôme, le métier. Intégrer un collectif est une bonne manière d’y répondre. » Selon elle, la motivation des étudiants qui s’engagent est d’abord liée à une inquiétude généralisée quant à la formation et à une précarité financière qui rend la question de la gratification importante. Les objectifs étaient très basiques : « A Montrouge, notre première action a été d’obtenir des micro-ondes dans la salle de déjeuner, sourit Baptiste Anglade. Se mobiliser n’est pas naturel. On ne nous apprend pas à nous organiser ensemble, à discuter. Régler des détails concrets de notre formation est un premier pas avant d’élargir les préoccupations. » Pour lui, ce collectif « ouvre un espace de parole et de réflexion que ne nous propose pas notre formation ».

FOCALISATION SUR LES STAGES

Mais le tout jeune groupement a vite été rattrapé par l’épineux problème des stages. La loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche(1) a en effet étendu l’obligation de gratification des stages de plus de deux mois aux collectivités territoriales et au service public hospitalier, grands pourvoyeurs de terrains de stage pour les étudiants en formation en travail social. Malheureusement, aucun budget fléché et pérenne n’a été prévu pour aider des structures parfois en difficulté financière à accueillir ces stagiaires(2). Résultat : des étudiants se sont retrouvés sans stage, et donc dans l’impossibilité de valider leur formation.

A Montpellier, le collectif « Travail social en danger » s’est, lui, constitué en octobre dernier, directement autour de ce problème. Deux semaines avant les départs en stage, 70 % des éducateurs spécialisés en formation n’avaient toujours pas de point de chute. Une catastrophe ! « Il nous fallait comprendre le problème, trouver des solutions, faire entendre notre voix auprès des institutions et faire preuve de pédagogie auprès des structures pouvant nous accueillir », racontent Marie Ouvrard et Samia Guelai, toutes deux en filière « éducateur spécialisé » et porte-parole du collectif.

Cette question des stages cimente les revendications des différents collectifs étudiants. Leurs objectifs : que les établissements de formation assurent le bon déroulement des cursus et que le gouvernement donne aux employeurs des moyens pour financer les gratifications. Pour se faire entendre, ils multiplient depuis des mois les réunions ouvertes, les assemblées générales, les pétitions, les appels à manifestation, les distributions de tracts, les courriers aux institutions et les rencontres avec les acteurs concernés, jusqu’au ministère des Affaires sociales. Le collectif de Montpellier a ainsi fait grève pendant quinze jours. Avec madeleines et café, il a bloqué l’accès de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) ou celui d’autres institutions « pour remettre les acteurs face à leur responsabilité ». Les modalités d’action ont fait débat : jusqu’où aller dans le rapport de forces ? « Certains se sont retirés du collectif, estimant qu’on ne frappait pas assez fort », regrettent les porte-parole. Mais, pour elles, l’action ne doit pas être seulement revendicative. Il s’agit aussi d’apporter des solutions concrètes. Par exemple, un pôle « recherche de stage » mutualise les réseaux professionnels et les possibilités d’hébergement de chacun pour en faire profiter les autres étudiants. Peu à peu, les actions sont devenues de plus en plus inventives. « Nous avons monté une fanfare pour les manifestations, explique Baptiste Anglade, à Mont-rouge. Nous organisons des ateliers “slogans” et “vidéo” pour apprendre à filmer nos actions et à les diffuser en ligne. » Le collectif de Montrouge, qui a remarqué que les hommes étaient proportionnellement plus nombreux dans le collectif que dans les formations, s’attache aussi à rééquilibrer la distribution de la parole entre femmes et hommes lors des assemblées générales.

NOURRIR LE DIALOGUE AVEC LES EMPLOYEURS

Le décret unifiant le cadre réglementaire applicable à l’ensemble des stages est paru à la fin novembre(3). Signera-t-il la fin des collectifs étudiants ? « Non, il apporte une lisibilité et renforce le caractère obligatoire de la gratification, mais cela fait justement peur aux employeurs », constate Samia Guelai. Les collectifs veulent donc aller au-devant des employeurs. « Il existe un plan d’aide transitoire, assorti d’enveloppes financières, que les structures peuvent solliciter, mais c’est compliqué, précise Romain Gil, élève éducateur spécialisé en première année et coordinateur du collectif étudiant de l’Institut de formation aux métiers éducatifs (IFME), à Nîmes. Nous les informons et créons du dialogue pour leur faire percevoir que le devenir de la filière et des métiers du travail social est lié à la façon dont ils vont se positionner. »

A Montpellier, chacune des actions du collectif est suivie par 150 à 200 étudiants, mais la quinzaine de personnes formant le noyau dur du mouvement vient surtout des filières « assistant de service social » et « éducateur spécialisé ». « Ce qui nous rassemble, en plus de l’appréhension de voir notre formation mise à mal, c’est un engagement citoyen et des convictions communes quant aux valeurs véhiculées par le travail social », affirme Samia Guelai. Des valeurs partagées par d’autres collectifs étudiants, comme celui des étudiants du groupe nîmois. « Si ça bouge aux quatre coins de la France, on peut faire changer les choses, témoigne Romain Gil. C’est une question de conscience et de responsabilité : si l’on ne fait rien maintenant, les promotions suivantes trinqueront. »

Les collectifs étudiants ne ressemblent pas à leurs homologues du monde professionnel. « Comme on est jeunes, on est peut-être plus radicaux, assure Baptiste Anglade. On les bouscule en étant plus souvent dans la rue. Comme nous sommes rassemblés dans des centres de formation, nos mobilisations profitent d’un effet de masse. Les travailleurs sociaux, eux, sont atomisés dans diverses structures. » Les professionnels, de leur côté, ont parfois tendance à taxer de naïveté ces collectifs de jeunes. « Mais on parle avec nos tripes, on soulève la poussière, ça peut faire bouger les lignes », sourit Marie Ouvrard, qui affirme préparer consciencieusement chaque réunion pour être à la hauteur. Autre préjugé tenace : les étudiants se révolteraient cinq minutes, puis se calmeraient. Surtout une fois en stage… « C’est vrai, nous avons une formation à gérer, et personne ne nous protège de ce côté-là, rappelle Samia Guelai. Mais pour que les mobilisations soient durables, nous essayons d’être intelligents. Par exemple, nous ne bloquons pas les cours pendant les grèves. Nous respectons ceux qui n’ont pas l’envie ou l’énergie de se mobiliser. »

Même chose à Montrouge. « Pour faire durer le collectif, les troisième année veillent à transmettre continuellement leurs compétences aux première année. Reste à pallier le cloisonnement de nos formations, qui nous isolent géographiquement. Difficile de se mobiliser quand on ne se voit pas physiquement », regrette Baptiste Anglade. A Nîmes, l’une des réponses à ce problème réside dans la structuration du collectif. La création de pôles doit en effet permettre à chacun d’être davantage responsabilisé. « Si le collectif est trop flou, basé sur le volontariat, les membres se retirent sans avoir l’impression de casser la machine, plaide Romain Gil. Il ne faut pas qu’un petit nombre de personnes concentre un trop grand nombre d’informations et de responsabilités. »

PAS DE CONCURRENCE AVEC LES SYNDICATS

De l’organisation… mais pas trop. La souplesse offerte par les collectifs est l’un de leurs points forts. « Un syndicat est plus structuré et a plus de moyens, mais nous n’avons de comptes à rendre à personne », poursuit Romain Gil, à Nîmes, qui voit son organisation comme un point de jonction : « Les syndicats nous aident pour la communication, les chefs d’établissement pour les contacts et les autres collectifs pour les compétences : nous sommes fédérateurs. » Les animateurs des collectifs étudiants se défendent en tout cas de vouloir concurrencer les syndicats. « Ils ont toute leur place dans les luttes que nous menons, affirme Elena S., mais notre statut un peu bâtard ne nous aide pas à nous positionner syndicalement. Nous n’avons pas vraiment notre place dans un syndicat d’étudiants, car notre formation est particulière, ni dans un syndicat classique, car nous ne sommes pas encore des professionnels. »

Surfant sur le problème des stages, les collectifs étudiants rencontrent un certain succès. D’abord auprès des étudiants, leurs actions rassemblant au-delà de leurs seuls membres. « Ils prennent conscience que, dans nos futurs métiers, nous serons en proie aux changements des politiques publiques, témoigne Romain Gil. De plus, l’identité fédératrice de “travailleur social” prend le pas sur les différentes identités professionnelles », précise le jeune homme. Mais ils ont aussi le sentiment d’être entendus par les employeurs – « plus sensibles à notre discours, parce que nous sommes les mieux placés pour parler », juge encore Romain Gil, qui se félicite que les directeurs d’établissement les prennent désormais plus au sérieux. L’attention des politiques est, en revanche, nettement plus difficile à capter. « Nous demandions une enveloppe de 70 millions d’euros pour la gratification, nous en avons obtenu 5 », soupire Baptiste Anglade.

UN DISCOURS SANS PORTÉE NATIONALE

Au final, l’action de ces groupes informels demeure nécessairement limitée. « J’ai 31 heures de cours par semaine, j’en dédie 25 au collectif, calcule Romain Gil. On s’épuise vite, à mesure que la formation devient plus exigeante. » D’autant que les ressources financières des groupes sont faibles : à Montpellier, des cagnottes ont été mises en place pour financer les transports et les flyers, mais cela reste insuffisant. Et surtout, « la grande limite des collectifs, c’est qu’ils n’ont pas un discours de portée nationale », constate, réaliste, Baptiste Anglade. Fédérer des groupes éparpillés sur tout le territoire demande du temps et de l’énergie. « Les collectifs étudiants n’ont pas de poids au niveau politique, c’est pourquoi leur rapprochement avec les professionnels est nécessaire », estime pour sa part Samia Guelai, à Montpellier. « A défaut d’être écoutés, on se fait entendre », positive-t-on cependant au collectif de Montrouge. Un volontarisme partagé à Montpellier : « Quand on est présent et qu’on se répète, il se passe des choses. Tout est une question de temps. »

Samia Guelai, en 2e année de formation d’éducateur spécialisé.

Après une licence de maths et une autre de psychologie, Samia Guelai, 29 ans, a intégré l’IRTS de Montpellier. « Moi qui détestais l’histoire et l’éducation civique, je comble beaucoup de mes lacunes politiques en militant dans le collectif. Je me sens enfin citoyenne. A mon échelle, j’essaie de me mobiliser sans faire semblant de ne pas entendre. Car on parle de financements et de diplômes, mais il ne faut pas oublier que ce sont les usagers qui sont au cœur de tout ça. Je réalise qu’il faut se battre pour que des décisions politiques rendant difficile la tâche des travailleurs sociaux n’aient pas un impact négatif sur les usagers. »

Baptiste Anglade, en 3e année de formation d’éducateur spécialisé.

A 23 ans, Baptiste Anglade est cofondateur du collectif de l’IRTS de Montrouge. Auparavant étudiant en histoire et surveillant en lycée, il a déjà connu des expériences militantes, notamment pour le droit au logement. « Ma mobilisation dans le collectif est un engagement dans ma formation, pour penser mes études et pas seulement les suivre. C’est une question de solidarité aussi, qui est au cœur de notre métier. C’est une bonne habitude que de savoir s’opposer collectivement, pour ne pas risquer l’attentisme. Les politiques sont des gens très déterminés. Pour établir un rapport de forces, il faut un niveau de détermination supérieur au leur, sans baisser la tête. Moi, je crois aux mobilisations collectives. »

Notes

(1) Voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 48. Ce texte a été complété par loi du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires – Voir ASH n° 2867 du 4-07-14, p. 44.

(2) Le « fonds de transition » de 5,3 millions d’euros annoncé par le gouvernement en février 2014, et encore abondé par la loi de finances pour 2015 (voir ASH n° 2880 du 24-10-14, p. 43), n’a en effet jamais été considéré comme une solution satisfaisante par les acteurs des formations sociales.

(3) Voir ASH n° 2886 du 5-12-14, p. 38.

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