Si la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, dont l’adoption avait été annoncée pour le premier semestre 2015, ne figure toujours pas au calendrier parlementaire, le chantier vient de franchir une nouvelle étape. Après un groupe de travail qui s’est réuni à la fin 2013 et des premières concertations au début 2014, la chancellerie a entamé le 5 janvier une série d’auditions de syndicats, d’organisations professionnelles, d’associations et d’experts, invités à s’exprimer sur un premier document de travail. « Au total, 23 rendez-vous sont programmés d’ici le 13 janvier prochain », précise le cabinet de la garde des Sceaux, selon qui cette concertation doit permettre d’amender et d’améliorer la mouture présentée. Après les arbitrages de la ministre de la Justice devra encore démarrer un travail interministériel. La place Vendôme prévoit néanmoins une journée de débats le 2 février à l’occasion des 70 ans de l’ordonnance de 1945, pour laquelle Christiane Taubira pourrait réserver ses premières annonces.
Par cette réforme, qui avait d’abord été annoncée pour 2013, la ministre a affiché la volonté de redonner de la « lisibilité » au texte de 1945, de « re-spécialiser la justice des mineurs » et de « redonner force à l’éducation ». Un espoir nourri de longue date par les professionnels, qui n’ont eu de cesse de dénoncer les coups de boutoir portés à la justice des mineurs, dans le sens d’un rapprochement avec celle des majeurs. L’exposé des motifs du document soumis à la consultation tend à rappeler cet objectif. Il précise que dans cette perspective, « le gouvernement crée un code de la justice pénale des enfants et des adolescents, annexé au présent projet de loi », qui « n’est pas une refonte complète », mais « est le produit de l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945 dont il reprend de nombreuses dispositions qu’il actualise ». Il précise que le projet de texte législatif « vise à redonner une lisibilité aux procédures applicables en matière de justice pénale des mineurs, tout en garantissant un équilibre entre l’intérêt de l’enfant mis en cause et ceux de la victime et de la société dans son ensemble ».
Une approche qui ne convient pas au SNPES (Syndicat national des personnels de l’éducation et du social)-PJJ-FSU, qui, comme la CGT-PJJ ou le Syndicat de la magistrature, a déjà exprimé sa désapprobation auprès du ministère. « Nous estimons que l’abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 et de sa charge symbolique au profit d’un code est dans le contexte actuel un très mauvais signal, explique Maria Inès, co-secrétaire nationale du SNPES. L’exposé des motifs ne nous convient pas : il est moins progressiste et son parti pris est beaucoup moins engagé pour la jeunesse en difficulté que celui de l’ordonnance de 1945. »
Les organisations professionnelles se félicitent, bien sûr, de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs – une promesse de François Hollande –, ou de la définition de la procédure de césure pénale, qui se compose d’une audience d’examen de la culpabilité puis, si le mineur est déclaré coupable, d’une période de césure de six mois durant laquelle pourront être mises en œuvre des mesures d’investigation et éducatives, avant une audience de prononcé de la mesure ou de la peine. « Mais globalement, il y a très peu de retours en arrière sur ce qui a été progressivement détricoté, comme les procédures d’urgence pour les mineurs », regrette Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, tandis que, à l’inverse, l’Union syndicale des magistrats approuve la meilleure lisibilité du texte. « Tout ce qui va dans le sens de la répression est confirmé, déplore également Alain Dru, secrétaire général de la CGT-PJJ. C’est un texte minimaliste de pure procédure pénale, qui globalement réécrit l’existant de manière moderne, un excellent texte pour les magistrats qui disposeront d’une plus grande marge de manœuvre ».
Le document de travail, qui supprime également les sanctions éducatives, crée deux mesures éducatives uniques, l’une pouvant être prononcée avant le jugement, l’autre après, et pouvant se dérouler selon différentes modalités (insertion, placement) en cours d’exécution. « En offrant aux adolescents concernés, ainsi qu’à leur famille, un accompagnement personnalisé, juste et souple, ce projet de loi entend individualiser la réponse pénale au plus près des particularités de chacun », argumente l’exposé des motifs, dans l’esprit d’ailleurs des nouvelles orientations de la protection judiciaire de la jeunesse. Plusieurs dispositions du projet visent par ailleurs à renforcer le principe de spécialisation des juridictions pour mineurs. Le document ne fixe pas d’âge de responsabilité pénale, mais se réfère à la « prise en considération du discernement ». Selon le texte, est ainsi « considéré comme capable de discernement le mineur qui a voulu et compris son acte et qui est apte à comprendre le sens de la procédure pénale dont il fait l’objet ». Une approche qui fait également débat.