« La fin de vie des personnes en situation de précarité n’est pas pensée puisqu’aucun lieu n’est réellement prévu pour l’accueillir. » Tel est le constat dressé par le dernier rapport annuel de l’Observatoire national de la fin de vie (ONFV) qui, en reconstituant six « histoires de vie », examine les conditions dans lesquelles meurent les personnes précaires, qu’elles vivent à la rue, dans une structure d’hébergement ou dans leur propre logement(1). Pour composer ces situations fictives, l’observatoire s’est appuyé sur plusieurs études quantitatives qu’il a menées auprès de différents types de structures sanitaires – l’hôpital et en particulier les urgences, les équipes mobiles de soins palliatifs, les services d’hospitalisation à domicile (HAD) et de soins infirmiers à domicile –, sociales et médico-sociales – centres d’hébergement et de réinsertion sociale, appartements de coordination thérapeutique (ACT), pensions de familles, centres communaux d’action sociale –, ainsi que sur des rencontres avec des experts.
Les auteurs ont ainsi constaté que ni l’organisation de notre système de santé, ni la formation des professionnels, ni les structures d’hébergement n’ont réellement intégré la fin de vie de personnes précaires et que, en conséquence, celles-ci « meurent plus tôt, finissent mal leur vie et meurent où elles peuvent ». S’il existe une « myriade de structures, organisations et associations destinées à l’accompagnement des personnes en situation de précarité », celles-ci sont « inadaptées à la fin de vie ». Le rapport met en avant les « cloisonnements » de notre système de prise en charge qui fait que, dans les structures sociales, les professionnels ne se sentent pas partie prenante de la fin de vie qui est, selon eux, le domaine des soignants et que, en miroir, les professionnels de santé « ont une méconnaissance de la situation sociale des personnes, et plus encore des dispositifs et des ressources du champ social ». Au final, l’hôpital reste le principal mode d’accès aux soins et le service des urgences constitue « le service de premier recours » pour les personnes précaires. Pour les auteurs, alors que la montée de la précarité risque de se poursuivre dans la décennie à venir, il y a urgence à permettre aux personnes précaires en fin de vie, qu’elles soient gravement malades ou vieillissantes, « de trouver un hébergement pérenne en capacité de répondre à leurs besoins sanitaires et sociaux ».
Parmi les outils existants qui pourraient contribuer au décloisonnement, les ACT, de par leurs missions de coordination médicale et psychosociale et leur accueil sans limitation dans le temps des personnes malades en situation de précarité et de leurs proches aidants, « semblent être l’un des rares dispositifs adaptés pour l’accompagnement des personnes en fin de vie en situation de précarité », relève le rapport. Mais pour permettre aux résidents de finir leur vie dans leur appartement, il serait nécessaire que ces structures soient en lien étroit avec d’autres ACT constitués de résidences collectives dans lesquelles les professionnels sont présents en permanence. L’HAD est également « potentiellement un formidable outil » dans la mesure où ce service est une des rares ressources du sanitaire à intervenir dans les structures sociales et médico-sociales. Mais il ne prend pas en charge les patients n’ayant pas de médecin traitant, ce qui est un frein pour les précaires. Par ailleurs, les infirmiers et aides-soignants qui travaillent dans l’HAD ne sont pas suffisamment formés aux soins palliatifs, déplore le rapport.
Parmi ses préconisations, l’observatoire propose d’expérimenter des « actions territorialisées et intersecteurs (sanitaire, médico-social et social) » permettant d’accueillir des personnes de moins de 60 ans confrontées à une maladie grave et/ou en fin de vie et en situation de précarité (notamment liée à l’isolement ou à l’épuisement de proches aidants).
Il invite les structures ressources en soins palliatifs (réseaux et équipes mobiles) à se déplacer vers les personnes précaires et à maintenir des lits identifiés pour ce public. Il suggère aussi de développer des actions de formations interdisciplinaires au niveau d’un territoire pour permettre aux personnes accompagnant ce public de se connaître et de repérer les ressources disponibles pour travailler ensemble, et de mettre en place des outils de repérage des fragilités sociales dans le champ du soin à l’hôpital et à domicile à l’attention des équipes soignantes. Enfin, il propose d’engager une réflexion commune avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sur le droit à un enterrement « digne » pour les indigents.
(1) Rapport 2014 - Fin de vie et précarités - Six parcours pour mieux connaître la réalité et comprendre les enjeux de la fin de vie des personnes en situation de précarité en France - Disponible sur