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Des jardins pour se reconstruire en prison

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En France, une poignée d’établissements pénitentiaires utilise les jardins ou les espaces verts pour améliorer les conditions de détention ou favoriser la réinsertion. Des initiatives encore rares, souvent dépendantes de l’architecture des établissements.

Rangées de tomates et de salades, massifs de fleurs, grand pin doté d’une cabane à oiseaux, serre abritant de jeunes pousses, cabane à outils… Ce havre de verdure de 750 mètres carrés a de quoi ravir n’importe quel jardinier. Il se situe pourtant derrière les hauts murs du centre de détention de Nantes (Loire-Atlantique), qui abrite environ 400 personnes condamnées à de longues peines. Une quinzaine d’entre elles ont accès quotidiennement à cet espace, soit le matin (de 8 h 30 à 11 h 30), soit l’après-midi (de 14 heures à 16 h 30). Parmi eux, Luc (1), incarcéré pour une peine de dix ans, ne manquerait pour rien au monde ce rendez-vous en plein air. « Je viens tous les jours, qu’il pleuve ou qu’il vente, confie celui qui cultive avec soin sa parcelle de radis, basilic, betteraves ou poireaux. Quand je suis dans le jardin, je ne pense plus à la détention… » A ses côtés, Jacques, qui ne peut plus bêcher la terre pour des raisons de santé, raconte avoir appris à jardiner en prison. « Cela change la détention à 100 % du point de vue du moral, assure-t-il. Mes seize années de détention, qui s’achèvent bientôt, sont passées plus vite. »

Né en 2001 à l’initiative d’un éducateur du centre de détention et d’un bénévole de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP), ce jardin, qui a été agrandi lors des travaux de rénovation de l’établissement, est accessible aux détenus volontaires, sélectionnés après un courrier de motivation en fonction des places disponibles et des besoins. « Il n’y a pas de critère, mais ce jardin regroupe surtout des personnes qui n’ont pas d’autres activités en prison, précise Audrey Daniel-David, directrice pénitentiaire d’insertion et de probation. Il s’agit donc le plus souvent d’un public vieillissant qui ne travaille plus. Ces détenus y passent beaucoup de temps, ce qui permet de lutter contre l’oisiveté. Mais c’est aussi un moyen de regonfler leur moral et de les valoriser. » Chaque année, les jardiniers sont autorisés à vendre leurs plants au personnel pénitentiaire dans la cour d’honneur de la prison. Certains ont même eu l’occasion de participer à un concours de création paysagère dans le cadre des Floralies, un festival international organisé tous les cinq ans à Nantes, et d’y récolter des récompenses.

Loin d’être anecdotique, la présence de jardins ou d’espaces verts derrière les barreaux a pour première vertu de favoriser le mieux-être des condamnés. « Dans un contexte où le travail manque cruellement en prison, elle a au moins le mérite de rompre avec l’ordinaire et de rendre le détenu responsable de quelque chose », souligne Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui a pu observer plusieurs expériences en la matière, de la cour de promenade plantée et cultivée par les détenus au jardin à vocation occupationnelle pour les personnes inaptes au travail, en passant par la conquête d’espaces verts à mains nues quand, dans certaines prisons, l’utilisation des outils n’est pas autorisée. A Nantes, le jardinage est perçu, au même titre que les activités socio-culturelles, comme un moyen de prévenir les effets désocialisants de l’incarcération. « C’est une manière de faire entrer l’extérieur en prison, comme nous le faisons dans le domaine culturel, en accueillant, par exemple, des concerts de musique classique dans le cadre du festival de la Folle journée de Nantes, explique Catherine Lupion, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Loire-Atlantique. Faire germer une plante et la voir pousser a également toute son importance pour des détenus qui effectuent de longues peines. »

GOÛTER À NOUVEAU À LA VIE

Ces activités ont en effet davantage de sens dans les établissements accueillant des détenus pour une longue durée que dans des maisons d’arrêt réservées aux prévenus et aux personnes condamnées à de courtes peines, où la population carcérale évolue en permanence. Michel Michaud, maraîcher à la retraite et membre de l’ANVP, qui transmet depuis dix ans son savoir-faire aux détenus jardiniers de Nantes, y voit même un impact thérapeutique : « Certains sont arrivés ici défaitistes, déprimés, voire suicidaires, et ont peu à peu repris goût à la vie », raconte-t-il. Un parcours vécu par Marc, incarcéré depuis 2010, qui jardine depuis 2013 : « Je suis passé par une grosse phase de dépression et de repli dans ma cellule. Puis j’ai commencé à m’ouvrir et à rejoindre le jardin. J’apprécie les petites choses nobles de la terre. Cela donne un peu d’espoir à travers les barreaux. »

Pour Dominique Mienville, présidente de la section Loire-Océan de l’ANVP, qui finance cette activité aux côtés de l’administration pénitentiaire et du Secours catholique, la présence d’un jardin derrière les barreaux présente trois vertus : offrir aux détenus un espace silencieux et apaisant, loin de l’environnement sonore de la prison, renouer avec le rythme des saisons et la notion de temporalité que certains condamnés à de longues peines ont tendance à oublier et, enfin, réapprendre à respecter des règles. « Dans un jardin et plus encore dans un potager, on est soumis aux lois de la nature, argue-t-elle. On ne sème pas et on ne récolte pas quand on le souhaite. Cela amène un grand sentiment d’humilité et de respect car on ne peut pas bousculer la nature. »

L’association s’est donnée pour ambition de faire essaimer ces jardins dans d’autres prisons de l’Ouest de la France. Des projets sont d’ores et déjà en germe au centre pénitentiaire de femmes de Rennes (Ille-et-Vilaine). Cet établissement atypique, créé en 1874, a toujours été doté, en raison de son architecture, de grands espaces verts et de patios fermés entretenus par des personnes incarcérées. « L’entretien courant de ces espaces est assuré par deux détenues au titre du service général, mais j’ai pris la décision de valoriser ce patrimoine vert et d’en faire profiter davantage de personnes », explique Yves Bidet, directeur depuis décembre 2013 de ce centre pénitentiaire, qui abrite 230 femmes (dont 60 dans son quartier maison d’arrêt). Il souhaite créer un jardin aromatique dans le cadre d’une activité socioculturelle pilotée par le SPIP. Une vingtaine de détenues seraient déjà volontaires pour entretenir ce carré de terre de 12 mètres carrés. « L’idée d’un jardin aromatique est venue d’elles, explique Yves Bidet. Les plantes récoltées pourraient éventuellement être utilisées par notre cuisine centrale et profiter à tout le monde. » L’établissement, qui a déjà fait venir de la terre végétale et clôturé l’espace par un petit grillage, s’est mis en quête de financements pour acquérir des outils et des semences. « Ce jardin serait très positif pour les détenues qui sont en perte d’autonomie et qui sortent assez peu en promenade », estime encore le directeur, convaincu des effets apaisants du travail de la terre.

« UN MOYEN DE S’EXPRIMER »

Même conviction du côté du directeur du centre de détention de Mauzac (Dordogne), qui s’est attaché à faire du jardinage un outil de mobilisation et de valorisation des détenus. Dans cet établissement, pas moins d’une cinquantaine d’entre eux participent chaque année à un « Concours jardins ». A cet effet, 21 parcelles ont été aménagées devant chaque pavillon de détention (regroupant 12 cellules) et une vingtaine d’autres ont été créées dans l’ancien centre de détention, qui ne disposait d’aucun espace de verdure. « On a cassé le macadam en 2012 et c’est tout de même beaucoup plus beau », témoigne Yves Lerebourg, directeur de ce centre de détention. « Certains détenus rivalisent d’imagination et proposent des jardins thématiques avec des légumes ou des fleurs qui sont de vraies œuvres d’art, s’enthousiasme-t-il. C’est une vraie ouverture. Certains n’avaient jamais touché à la terre et se découvrent une passion. Un détenu en chaise roulante qui ne faisait rien auparavant a trouvé ici un moyen de s’exprimer. » Les meilleurs jardiniers sont récompensés par une sortie dans un parc des alentours, pour trouver de nouvelles inspirations.

Au-delà de participer au mieux-être, les espaces verts peuvent aussi favoriser la réinsertion. A Mauzac, toujours, une « ferme école », située à l’intérieur du domaine pénitentiaire mais à l’extérieur de la prison, permet à 35 détenus autorisés à sortir par le juge d’application des peines (JAP) de suivre une formation professionnelle sur les travaux paysagers (CAP ou formation interne). « A leur sortie, beaucoup de détenus travaillent ensuite dans ce secteur », indique Yves Lerebourg. « Les espaces verts représentent un domaine porteur, que ce soit pour y trouver de l’emploi ou pour justifier d’une première expérience professionnelle et mettre l’incarcération entre parenthèses sur un CV », ajoute Luc Forget, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation au centre de détention de Montmédy (Meuse). Dans cette prison de 320 détenus située en pleine campagne, les espaces verts sont utilisés depuis longtemps au service de la formation des détenus. Jusqu’à cette année, deux types de formation étaient proposés. Un certificat d’aptitude professionnelle agricole (CAPA), permettant de conjuguer remise à niveau dans les matières générales et activités espaces verts, en lien avec une maison familiale rurale. Mais aussi deux modules d’un certificat de compétence professionnelle (CPP) : plantation et engazonnement et maçonnerie paysagère. Particularité de cette seconde formation, elle pouvait être mise en œuvre à l’intérieur des murs de la prison (fleurissement, bassins, fontaines…), mais aussi à l’extérieur, via une « permission de sortir », dans les villages environnants (pour planter des massifs, aménager des ronds-points…). Un des derniers chantiers en date, particulièrement valorisant pour les bénéficiaires, a consisté à rénover une stèle de la Première Guerre mondiale et à la réinstaller dans un cimetière communal à Jametz (Meuse). « Cela nous a valu une cérémonie officielle en juin 2014 en présence des détenus, souligne avec fierté Luc Forget. C’était une manière de les ancrer dans l’histoire et dans l’actualité. » Une démarche particulièrement utile pour ces stagiaires souvent en rupture avec le système scolaire et n’ayant jusqu’alors pas ou peu d’expérience professionnelle. Alors qu’une vingtaine de détenus avaient suivi ces formations l’an dernier, leurs responsables sont en attente des décisions de la région pour la poursuite de ces actions (2).

A Rennes également, le centre pénitentiaire pour femmes met à profit ses espaces verts pour renforcer les aptitudes des condamnées. Une formation préqualifiante pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, en lien avec une maison familiale rurale, a été mise en place. Pour ses 12 stagiaires, l’aménagement du jardin de la prison fait partie des exercices pratiques de la formation. Un chemin pavé ainsi qu’une petite aire de jeux pour enfants sont notamment envisagés autour de la nursery, qui reçoit des mères avec leurs enfants, tandis qu’une autre cour pourrait abriter des projets de jardins minéraux. « Nous avons conscience que notre établissement constitue une exception en matière d’architecture, reconnaît Yves Bidet. La plupart des établissements récents sont très bétonnés avec des cours bitumées, et les rares espaces verts sont des zones neutres dédiées à la sécurité et donc pas du tout accessibles. »

Comme le regrette l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, les expériences de jardins en prison « se comptent encore sur les doigts des deux mains. Pour les développer, il faudrait changer la conception même de l’architecture des prisons. » Pourtant, lorsqu’elle est possible et encouragée, cette activité joue sur le climat des établissements. « On voit clairement la différence en fonction des saisons, constate Yves Lerebourg, à Mauzac. Les détenus ont tous hâte d’arriver aux beaux jours… » En attendant le soleil, les jardiniers du centre de détention de Nantes profitent des coulis de tomates et des confitures qu’ils ont confectionnés en cellule, avec les moyens du bord. « Je n’ai jamais mangé de légumes ni de fruits rouges aussi bons… », confie Marc, qui s’est remis debout en travaillant la terre…

Notes

(1) Tous les prénoms de détenus ont été modifiés.

(2) Depuis la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, la région finance et organise la formation professionnelle des personnes sous main de justice, auparavant assurée par l’Etat.

Jardiner hors des murs de la prison

Le travail de la terre peut aussi servir la réinsertion, une fois la liberté recouvrée. Plusieurs chantiers d’insertion agricoles ouvrent en effet leurs portes aux anciens détenus. c’est notamment le cas des jardins de cocagne, qui utilisent le maraîchage biologique comme support d’insertion sociale. certains d’entre eux se sont même spécialisés dans l’accueil de détenus en fin de peine ou placés sous bracelet électronique via des conventions avec des établissements pénitentiaires. « Ce qui rend le travail de la terre reconstructeur, c’est le rapport au temps et à la nature, considère Jean-François Dusseigneur, chargé d’animation au réseau national des jardins de cocagne. La nature est un endroit où les gens se posent. C’est un espace transitionnel dans leur parcours d’insertion. »

Au final, seuls 10 % des jardiniers poursuivent dans ce secteur. « Mais nos activités ont la particularité de développer des compétences transférables, poursuit-il. Un plan de cultures permet de comprendre un plan de maison, conduire un tracteur revient à faire de la manutention et préparer un panier de légumes permet de savoir préparer tout type de commande… »

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