« J’ai une vie pourrite », lâche Lolita, lasse de tous les entretiens infructueux, de tous les appels sans réponse qu’elle a passés pour trouver un poste en cuisine collective. Mais comme Kévin, Maxime, Hamid ou Thierry, que l’on croise tout au long du documentaire Les règles du jeu, Lolita ne sait pas « se vendre ». Six mois durant, ces jeunes de 20 ans qui n’ont que très peu d’expérience professionnelle – mais dont on ne connaîtra pas le vécu – ont suivi les conseils de coachs d’un cabinet de placement de Tourcoing, missionné dans le cadre de contrats d’autonomie afin de les aider à décrocher un emploi. A défaut de s’entendre vraiment, les jeunes chômeurs et leurs encadrants font leur possible pour s’accorder. Mais on remarque très vite que ces jeunes – qui touchent 300 € par mois s’ils respectent leur rendez-vous et s’investissent dans l’accompagnement – ne comprennent pas bien ce qu’on exige d’eux. Ils ne saisissent pas pourquoi il faut une tenue, un langage, un « savoir-être » pour obtenir un job dans une région violemment touchée par le chômage. Les conseillers tentent d’abord de les rendre réalistes quant à leurs attentes, avant de les faire accoucher d’un CV et d’une lettre de motivation en bonne et due forme. Pour Maxime, se trouver des qualités lui donne « mal à la tête ». Kevin l’avoue : « J’suis pas recherche ! » A part se proclamer « motivé », aucun ne sait mettre en mots ce qu’il sait faire et ce qu’il peut apporter à une entreprise. Ils en veulent à la société de ne pas leur offrir un travail, et ce, avec une agressivité sous-jacente – comme ce jeune homme qui prévient qu’il a envie de « taper les agents de la boîte d’intérim » qui ne lui proposent aucune mission. Difficile pour les coachs, dans ce contexte, de leur apprendre en six mois de temps la patience et la confiance en soi. Ils se démènent néanmoins pour que leurs protégés trouvent un CDD – ils seront payés au résultat par l’Etat –, mais tombent souvent sur des employeurs qui « en ont marre des jeunes ». De la même manière qu’ils avaient filmé les demandeurs d’asile dans leur documentaire Les arrivants(1), Claudine Bories et Patrice Chaugnard placent leur caméra au plus près des visages et tournent « sans parti pris ni jugement ». « Notre désir, c’est d’aborder une réalité dont tout le monde parle, qu’on croit connaître, mais sur laquelle on a très peu d’approches réelles, concrètes. » Le véritable sujet de leur film se révèle être les différences de langage : chaque séquence montre un peu plus l’abîme entre les mots de l’entreprise et la parole – ou l’absence de parole – des jeunes.
Les règles du jeu
Claudine Bories et Patrice hagnard – 1 h 46 – En salles le 7 janvier