Lorsque le ou les parents d’un enfant placé souffrent de troubles psychiatriques, les placements durent souvent longtemps. « Ce n’est pas pour autant qu’on va mettre les parents de côté », souligne Rachel Chrestien Monteil, chef de service au centre de placement familial spécialisé (CPFS) de la Sauvegarde de l’enfant à l’adulte d’Ille-et-Vilaine. « Il faut sans cesse aller vérifier ce qu’il en est du lien entre l’enfant et ses parents, le construire, le reconstruire, ou à l’inverse penser à le distancier un peu, parce que ne pas être envahi par la problématique parentale permet aussi à l’enfant de grandir dans de bonnes conditions. » Cette prise en compte des parents constitue peut-être l’une des principales évolutions du placement familial, estime la responsable. « Il y a 10-15 ans, on était plus du côté de l’enfant qui arrivait en famille d’accueil et on travaillait sur son placement, alors qu’aujourd’hui, on se soucie vraiment du triptyque que représentent l’enfant, sa famille d’accueil et sa famille naturelle. »
Pour soutenir le lien parents-enfants, le CPFS d’Ille-et-Vilaine a mis en place des entretiens familiaux, qui constituent une modalité de travail distincte des visites médiatisées. Dans le cadre de ces dernières, les relations parents-enfants se situent surtout sur un registre d’activités ludiques, explique Rachel Chrestien Monteil, alors que les entretiens familiaux sont conçus comme des outils de communication : ils visent à aider les protagonistes à verbaliser leurs interrogations et/ou difficultés et à s’en faire part. Sans aucun caractère régulier ni systématique, les rencontres sont organisées au coup par coup, à la demande des parents, de l’enfant, ou de l’équipe. L’enfant s’ouvre parfois de telle ou telle question à son éducateur référent – sur la violence qui a pu exister dans sa famille, par exemple, ou sur les motifs de son placement –, mais il ne s’autorise pas à aborder le sujet avec sa maman. Symétriquement, celle-ci est empêchée de dire les choses à son enfant pour de multiples raisons. Il y a en particulier la souffrance de ne pas être un parent adéquat, et la culpabilité dont elle s’accompagne. « Quand il y a des questionnements de part ou d’autre, ou des tensions, des incompréhensions, on propose aux intéressés qu’ils se voient pour en parler, parce qu’on pense qu’il sera ainsi possible de débloquer des noeuds et d’améliorer leur relation », détaille Rachel Chrestien Monteil. L’entrevue se déroule en présence d’un tiers à même de faciliter la parole – le travailleur social référent de la situation et/ou la psychologue de l’équipe, ou bien le pédopsychiatre du service si les préoccupations ont trait à la maladie du parent. « On va amener des sujets que le parent a envie d’évoquer avec son enfant – ou réciproquement –, mais qu’il estime ne pas pouvoir aborder seul. » Une mère dépressive pourra ainsi être aidée à dire à son enfant qu’elle ne se sent pas, actuellement, en capacité de l’accueillir le week-end. L’idée est de s’appuyer sur la responsabilité du parent, ses compétences. « On aurait peut-être tendance à les oublier, parfois, dans les services de placement familial », avance Rachel Chrestien Monteil.
Bien des choses peuvent s’énoncer à un enfant très jeune – « et il nous indiquera toujours ce qu’il ne peut pas entendre », assure de son côté la psychiatre Frédérique Van Leuven(1). S’agissant, en particulier, de la difficulté à aborder avec un enfant la question de la maladie mentale, la psychiatre belge invite les professionnels à travailler leurs propres représentations de ce type de pathologie. « Ce qui intéresse les enfants et les adolescents, ce n’est pas d’avoir un diagnostic médical : ils ont besoin de trouver une validation à leurs perceptions, de ne pas se trouver seuls à penser, et de se construire des repères pour comprendre leur situation », explique-t-elle.
(1) Intervenue lors des journées d’étude de l’ANPF.