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Le coordinateur en établissement : avancée ou recul pour le secteur ?

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Un nouveau profil, celui du coordinateur, se développe dans les structures médico-sociales. Encore récent, il se déploie très diversement en fonction des problématiques et des contextes institutionnels. Tirant les leçons des sessions de formation qu’il a animées, Gilles Badaire, psychologue et psychosociologue, responsable pédagogique de la formation continue à l’Association régionale des instituts de formation en travail social (Arifts) des Pays de la Loire, analyse les paradoxes de la fonction et en tire quelques enseignements.

« La fonction de coordination est emblématique d’une évolution majeure du secteur médico-social. Dans beaucoup d’établissements – institut médico-éducatif, maison d’accueil spécialisée, foyer de vie, établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, des professionnels assurent des fonctions nouvelles, qui favorisent le travail collectif sans pour autant être à un niveau hiérarchique. Cela va de la réalisation de plannings de travail, à la coordination des projets individualisés, en passant par la gestion de conflits et l’animation de réunions. En somme, toute une palette de tâches qui font naviguer les professionnels entre deux récifs : celui d’un chef de service déguisé et celui d’un collègue hyper-responsable sur lequel le reste de l’équipe va pouvoir se décharger.

Ce changement impacte non seulement la logique “métier” (celle, par exemple, des éducateurs spécialisés dont le référentiel “métier” a intégré cette compétence depuis 2008), mais aussi une réflexion organisationnelle plus large. Est-ce à une refonte complète des niveaux hiérarchiques que nous assistons ? Nous pourrions en trouver l’origine dans les contraintes économiques (restrictions des moyens) ou dans la nécessaire évolution des fonctions d’encadrement face à des environnements plus complexes et changeants (regroupements en pôles, en territoires plus larges, fusions d’établissements, etc.).

Ma réflexion s’appuie sur les sessions de formation que j’ai animées auprès de plus de 130 professionnels en Pays de la Loire en 2012. J’ai constaté une grande disparité des situations et dégagé cinq questionnements sur la fonction de coordination.

1. Statut ou fonction ?

La coordination relève d’une fonction (fruit d’un contrat de travail, impliquant des réalités très diverses), qui peut se traduire dans un document interne. Elle ne fait l’objet d’aucune fiche de poste pour environ 30 % des professionnels de nos groupes de formation, contraints dès lors à improviser leur activité. Cela peut se révéler très riche en termes de créativité, mais aussi générer des conflits faute d’éléments clairs pour arbitrer entre les tâches et responsabilités de chacun.

Les professionnels exerçant cette fonction sont majoritairement des éducateurs spécialisés, mais j’ai aussi rencontré des aides médico-psychologiques, des moniteurs-éducateurs, des tuteurs, des infirmières, des intendants, des responsables financiers.

Un premier paradoxe revient à réduire cette fonction à un statut. Dans certains cas, l’injonction venant de la direction était : “Vous avez tel diplôme, donc la coordination va de soi.” Or d’autres professionnels exercent cette fonction. Le statut relève des référentiels “métiers” diplômants, des accords interprofessionnels qui ont des implications salariales définies dans des conventions collectives. Alimenter la confusion entre les deux registres peut entraîner un malaise entre les professionnels. La complémentarité des fonctions est à mettre en avant pour éviter une logique corporatiste qui risque de cristalliser des clivages stériles.

La coordination n’est donc pas un état de fait, mais une convention à construire qui implique l’ensemble de l’organisation et est susceptible d’ouvrir des espaces de négociation entre le salarié et son employeur (notamment sur la prise en compte du temps de coordination).

2. Coordination hiérarchique ou fonctionnelle ?

Cet ensemble à construire s’inscrit dans une certaine verticalité, les liens de subordination reliant chacun des membres de l’organisation entre eux. La coordination vient interroger la façon dont les modes de délégation se mettent en place. Déléguer n’est pas laisser-faire. Si la base de l’exercice de l’encadrement est le pouvoir(1), la coordination sera vécue par le responsable comme une blessure narcissique, engendrant des contraintes arbitraires, au lieu de développer son autonomie. La délégation – qui n’est pas une perte d’autorité(2) – implique au contraire de mobiliser au plus près les encadrants qui seront à même de définir des objectifs, de fixer des seuils, de donner des moyens et des informations nécessaires, enfin d’évaluer la façon dont les délégations ont été réalisées par le coordinateur.

La frontière entre coordinateur fonctionnel et encadrant intermédiaire est évidemment poreuse et nous avons pu constater à quel point elle pouvait différer d’un lieu à un autre. Par exemple, la participation du coordinateur à des entretiens d’évaluation et la prise de décision qui y est associée participe de cette ambiguïté. S’il arbitre des conflits au lieu de les médiatiser ou s’il contrôle le travail au quotidien, il contribue à brouiller les cartes.

Ces paradoxes peuvent survenir à l’initiative du professionnel, mais aussi de la direction. Nous avons observé différentes injonctions paradoxales à ce niveau :

→ annoncer une coordination fonctionnelle, sans encadrement de proximité : le coordinateur devient de fait “hiérarchique” pour pallier le manque ;

→ annoncer une coordination hiérarchique sans donner les moyens adéquats : le coordinateur est réduit à une forme d’impuissance et doit légitimer sa place en permanence ;

→ formuler des énoncés contradictoires : fonctionnel officiellement, hiérarchique dans les faits (et inversement).

3. Aide à la décision ou décideur ?

Lors de réunions de fonctionnement ou de projet, le coordinateur anime les discussions (il propose une analyse et favorise les échanges), mais se trouve souvent en difficulté lors du processus final car la concertation est confondue avec la validation de la décision. En dynamique de groupe, il est fréquent de travailler sur l’illusion de l’unanimité (pour décider en groupe il faut être tous d’accord). Or l’unanimité est souvent réservée à des processus très précis et rares. La validation majoritaire est un peu plus fréquente (l’animateur tiendra compte des positions différentes, soutiendra le débat mais tranchera par vote ou tour de table selon un principe d’efficacité et non de qualité[3]). Les membres de l’équipe en situation minoritaire vivront sans doute cette procédure sur le registre de la frustration, mais elle témoigne souvent qu’ils ont été entendus. De façon beaucoup plus récurrente dans les établissements, la validation sera individuelle (un seul décide pour le groupe, le coordinateur ou le responsable).

Le coordinateur, en tant qu’animateur, doit donc clarifier sa posture : en acceptant les conflits et en proposant une méthode, il est garant de la richesse des décisions. La validation collective lui permet de garder un rôle fonctionnel. S’il valide individuellement, il se rapproche d’une fonction hiérarchique.

4. Distance ou proximité ?

Ce dernier paradoxe est inhérent au travail social, mais il apparaît d’autant plus fort que la fonction de coordinateur baigne encore dans le flou (car encore trop récente). En l’absence de recul, certains collègues du coordinateur seront tentés par la convocation fantasmatique de modèles connus (“le sous-chef qui décide”, “l’envoyé de la direction paternaliste”, etc.). Il paraît judicieux de préparer et d’accompagner les coordinateurs dans cette confrontation à des attentes parfois contradictoires des équipes.

Dans certains cas, l’extériorité à l’équipe facilite le positionnement du coordinateur, mais celui-ci est alors privé de certaines connaissances de l’histoire commune. Si la mobilité interne pallie ce manque, elle engendre parfois une incompréhension des collègues et des phénomènes affectifs plus ou moins contrôlés. Une grande majorité des intervenants que nous avons rencontrés exerçaient une fonction professionnelle en lien avec l’usager en plus de leur temps de coordination. Même si cela entraîne une certaine lourdeur, la contrepartie (ne pas perdre le contact avec le cœur du métier) semble avoir été une véritable ressource.

5. Quel avenir pour la fonction ?

Plutôt que de sortir de ces paradoxes, il me semble préférable de les réguler et d’observer les effets qu’ils peuvent produire (parfois positifs, parfois destructeurs). Il apparaît ainsi nécessaire de ne pas dissocier la lecture organisationnelle de la lecture purement technique (outiller des professionnels à une nouvelle fonction). Expliquer clairement au professionnel les attendus de sa fonction – s’agit-il d’une coordination fonctionnelle ou hiérachique ? – peut en outre lui permettre de décider en connaissance de cause et de construire son parcours professionnel en cohérence avec le sens de son métier.

Perte ou opportunité ? L’avenir nous dira ce que cette fonction nouvelle de coordination produira. »

Notes

(1) Entendu ici comme fondé sur des positions personnelles, sur le développement d’un implicite et d’une rétention d’informations.

(2) Définie ici comme une référence à un tiers, sur des bases explicites et formulables en principes structurants.

(3) En effet être nombreux à penser la même chose n’a jamais été un gage de sérieux !

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