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« Construire, oui, mais pas n’importe quoi et pas n’importe où »

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Beaucoup a été fait depuis cinquante ans en matière de logement. Pourtant, le mal-logement reste une réalité pour de trop nombreux ménages. Quelles solutions mettre en œuvre ? Délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, le sociologue Christophe Robert décrit avec clarté les mécanismes de cette crise dans un ouvrage qu’il cosigne.
Démonter les idées reçues sur la crise du logement, est-ce une façon de mettre en lumière les bonnes solutions ?

La Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés publie chaque année un rapport sur l’état du mal-logement. Mais au-delà de ce document, nous avons réalisé qu’un grand nombre de questions subsistaient, avec des incompréhensions, des idées reçues… Le risque, si l’on ne pose pas le bon diagnostic, c’est de finir par remettre en cause la politique du logement en estimant qu’elle ne marche pas et qu’elle coûte trop cher. La réalité est évidemment beaucoup plus complexe. A travers cet ouvrage, nous souhaitions faire état des connaissances et des controverses qui sont à la base du débat public en matière de logement. Le risque serait de laisser cette question entre les mains des seuls spécialistes ou des lobbies. Il faut que les citoyens se rendent compte qu’on peut faire autrement et que les choix stratégiques doivent être faits collectivement. Car le logement a un impact déterminant sur la vie familiale, la santé et l’emploi. D’où l’idée d’apporter des données et des pistes de réflexion pour faciliter cette appropriation.

La crise du logement ne touche-t-elle que les grandes villes ?

Du point de vue des politiques publiques, elle se résume effectivement à une pénurie dans quelques secteurs tendus, comme l’Ile-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Lyon, Lille… C’est là où s’expriment avec la plus grande violence les dégâts provoqués par l’insuffisance de constructions et l’inadéquation du coût du logement avec les ressources des ménages. Dans les villes moyennes ou les secteurs ruraux, le logement est moins cher que dans les grandes villes, mais les gens rencontrent quand même des problèmes pour se loger car leurs ressources peuvent être très faibles. Des logements peu chers au regard des prix des grandes villes peuvent encore avoir un coût trop élevé pour les populations locales. De même, en milieu rural, beaucoup de propriétaires n’ont plus les moyens d’entretenir leur habitation et vivent dans des conditions très difficiles. C’est d’ailleurs pour les aider que la fondation a développé son programme « SOS taudis ».

Le manque de logements explique-t-il à lui seul cette crise ?

Le déficit de constructions depuis au moins une quinzaine d’années est un facteur déterminant. Lorsque le nombre de logements disponibles est inférieur à celui des demandeurs, les plus fragiles sont les derniers servis. Cependant, on ne peut pas se contenter de construire tous azimuts pour régler le problème. Le gouvernement avait annoncé la construction de 500 000 logements par an. L’an dernier, on n’en a construit que 330 000, et ce sera autour de 300 000 cette année. Et depuis quinze ans, comme à chaque fois que l’on n’atteint pas les objectifs, on met en place des outils d’incitation fiscale, on veut faire du chiffre sans vraiment se préoccuper de la destination sociale et territoriale des logements produits. Si l’on construit un peu n’importe où des logements trop chers, ce qui est le cas avec les systèmes de défiscalisation, on ne répond pas à la demande sociale. Construire, oui, mais pas n’importe quoi et pas n’importe où. En outre, il faut avoir en tête la réalité des revenus des ménages.

Certains estiment pourtant que, par un jeu de transferts, la construction de logements de luxe permettrait de libérer de la place pour les plus modestes…

C’est ce qu’ont affirmé les pouvoirs publics lorsque la loi Scellier a été lancée ou lorsqu’on a développé les PLS [prêts locatifs sociaux], des logements dits sociaux dont les loyers sont trop chers pour les demandeurs inscrits sur les listes HLM. Mais ce mécanisme qui marchait dans une société où l’ascenseur social fonctionnait à plein est aujourd’hui bloqué, car il existe des écarts trop considérables entre le logement social et l’accession à la propriété, entre le locatif social et le locatif privé, et même entre logements sociaux. La marche entre deux types de logements est devenue tellement grande qu’il est très difficile de la gravir. Si l’Etat intervient, ce doit être pour aider les plus modestes à se loger dans de bonnes conditions. On ne peut pas penser la politique du logement seulement pour les ménages qui gagnent entre 4 000 et 8 000 € par mois, comme me l’a affirmé un jour un ministre. Il faut que les responsables politiques, qui pour un certain nombre ont un peu décroché des réalités des revenus dans notre pays, prennent en compte la situation des ménages.

Faut-il alors éviter que des ménages aisés s’installent dans les HLM ?

C’est une question qui revient souvent. Lorsque des logements sociaux sont occupés par des ménages aisés, cela doit appeler une réponse immédiate pour faire cesser cette anomalie. Mais ce phénomène est rare et concerne plutôt des logements intermédiaires. C’est loin d’être le reflet de la réalité de l’occupation du parc social, qui concentre de plus en plus des ménages modestes et pauvres. Il ne faudrait donc pas croire qu’il suffirait de régler ce problème, bien qu’il faille le traiter, pour résoudre la crise du logement. De même, capter les logements vacants ne permettra pas de répondre à la crise. Il faut évidemment les mobiliser le plus possible, par exemple en les taxant ou en les réquisitionnant, car il est insupportable de voir à la fois des personnes à la rue et des logements vides, mais ce ne peut être le sésame pour résoudre le mal-logement. Des immeubles de bureaux inoccupés peuvent, eux aussi, être transformés en logements. Il existe à Paris un grand nombre d’immeubles de bureaux haussmanniens qui pourraient redevenir habitables. Mais ce n’est pas le cas de tous les locaux commerciaux ou des bureaux, ou alors à un coût prohibitif.

On pointe du doigt certains maires qui refusent de voir s’implanter des logements sociaux sur leur commune. Peut-on s’en tenir à ce constat d’impuissance ?

Cette question soulève un problème de gouvernance. En France, nous avons 36 000 maires qui ont entre les mains la décision de construire ou pas sur le territoire de leur commune. Cela génère des ralentissements, du protectionnisme, parfois du malthusianisme, qui sont pour partie à l’origine de la crise. Est-il normal que dans une agglomération certaines communes fassent des efforts pour accueillir des logements sociaux et de l’hébergement d’urgence, tandis que d’autres ne le font pas au prétexte que les premières le font déjà ? Evidemment non. Il faut trouver les moyens de dépasser les protectionnismes locaux. De ce point de vue, la loi SRU a eu des effets positifs, et les évolutions actuelles de la loi, notamment la possibilité d’augmenter les pénalités, vont dans le bon sens. Plus les communes seront nombreuses à participer à l’effort de solidarité, moins on aura des phénomènes de ségrégation territoriale et de spécialisation spatiale, qui constituent une véritable bombe à retardement. Il faut aussi, en matière de maîtrise du foncier, poursuivre le processus de mise à l’échelle de l’agglomération avec des plans locaux d’urbanisme intercommunaux. C’est au niveau des agglomérations que se jouent les problèmes de logement, de transports, de développement économique…

La France a-t-elle les moyens d’une politique du logement ambitieuse ?

Ce n’est pas seulement un problème d’argent, mais aussi de bon usage des deniers publics. Par exemple, on vient d’élargir la défiscalisation avec la loi Pinel et, dans le même temps, on baisse les subventions pour la construction de logements sociaux dans le projet de loi de finances pour 2015… Nous avons un problème de gouvernance, de cohérence et de continuité de l’action publique. Les acteurs du logement doivent pouvoir s’inscrire dans une vision à long terme, et ne pas subir des va-et-vient au cours d’un même quinquennat. Il faut aussi se donner des ressources à l’échelle locale afin de dissuader l’escalade des prix et de pouvoir produire, là où il en manque, des logements à des coûts accessibles. On peut, en outre, s’interroger sur l’accession sociale à la propriété, qui est devenue quasi impossible pour les primo-accédants à faibles ressources. Enormément de choses ont été faites dans le domaine de la politique du logement en direction des personnes défavorisées. Mais la société a évolué, avec la massification de la précarité, le développement des familles monoparentales, le vieillissement… Il faut prendre en compte tout cela courageusement, en se demandant si l’on est bien en phase avec ces évolutions. Enfin, il est nécessaire que les gens se réapproprient la question du logement au niveau local. C’est une question de citoyenneté.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Le sociologue Christophe Robert est délégué général adjoint de la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés. Avec Anne-Claire Vaucher et Manuel Domergue, il publie Crise du logement. Bien la comprendre pour mieux la combattre (Ed. Le Cavalier bleu, 2014).

Il est également l’auteur, avec Didier Vanoni, de Logement et cohésion sociale (Ed. La Découverte, 2007).

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