Ils ont donné de la voix et certains ont même réussi à dérider le peloton de gendarmes mobiles bloquant l’accès de l’avenue Duquesne à Paris, où siège le ministère des Affaires sociales et de la Santé : les étudiants en travail social sont venus en nombre et en fanfare à la manifestation organisée le 12 décembre par le collectif Avenir éducs, dont l’appel à mobilisation, à la suite d’une initiative d’un collectif étudiant lillois, a été signé par 24 rganisations(1).
A leurs côtés, des travailleurs sociaux, des formateurs, des représentants syndicaux, des chercheurs… Au total environ 700 personnes d’après les chiffres de la fédération SUD Santé sociaux, venues réaffirmer leur opposition au projet de nouvelle architecture des diplômes de travail social, trois jours avant que le rapport du groupe de travail chargé de plancher sur cette nouvelle ingénierie dans le cadre des « états généraux du travail social » soit validé, le 15 décembre, pour la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale. Le rapport (voir ce numéro, page 5) propose un schéma, qui reste à préciser, reposant sur la définition d’un diplôme par niveau de qualification, articulant un socle commun de compétences avec des spécialités et des parcours optionnels.
Qu’ils soient futurs professionnels ou déjà en poste, les manifestants venus battre le bitume humide et froid partagent la même crainte de voir cette refonte « balayer toutes les identités professionnelles » en fusionnant les diplômes existants. « Ils veulent donner naissance à un travailleur social unique alors que l’on a besoin sur le terrain de pluridisciplinarité », s’inquiète Delphine, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) à la direction de l’action sociale de l’enfance et de la santé de Paris (DASES). La logique de compétences est aussi source de préoccupations. Véronique, assistante sociale dans une circonscription du XXe arrondissement de la capitale (DASES également), glisse ainsi, mi-amère, mi-sarcastique : « On va nous transformer en gentils petits gestionnaires, avec derrière la volonté de museler notre réflexion, notre liberté à accompagner les gens. » Sophie, assistante sociale en collège et lycée dans l’académie de Paris, redoute la « remise en cause de la relation d’aide qui, demain, ne sera plus centrale », quand les travailleurs sociaux ne seront plus destinés qu’à « répondre à la commande publique ». Quant à Laurette, éducatrice dans une association de prévention spécialisée de l’Essonne, elle se dit « très inquiète » pour l’avenir d’un métier dont le « cœur » est d’être centré sur la relation éducative : « C’est pour cela que je l’ai choisi car je suis convaincue que c’est cette relation qui permet à l’enfant, à l’adolescent, de devenir plus tard un adulte épanoui. » Elle refuse qu’elle et ses collègues deviennent des « coordinateurs de projets », tandis que « la relation éducative sera confiée à des professionnels très peu formés, ce qui sera une perte pour les usagers ».
Comme beaucoup d’autres, Laurette est aussi venue pour soutenir « les jeunes ». Parmi eux, Caroline, Charlotte, Marie et Léa, étudiantes à l’Ecole pratique de service social (EPSS) de Cergy (Val-d’Oise): toutes les quatre ont choisi de devenir éducatrices spécialisées et refusent que l’identité de leur futur métier soit gommée dans le cadre de la refonte des diplômes. Elles évoquent aussi leur difficulté à trouver des terrains de stages qui correspondent à leurs souhaits : « On peut trouver des stages gratifiés, mais on n’a plus trop le choix du lieu, on prend ce qu’il y a. Du coup, c’est plus compliqué lorsque l’on veut passer dans les trois champs de l’éducation spécialisée (handicap, insertion, protection de l’enfance), en particulier dans le milieu de l’insertion où il y a encore moins d’argent qu’ailleurs. »
« Nous avons accueilli trois stagiaires cette année au lieu de huit celle d’avant », illustre Véronique, l’assistante sociale de la DASES. « On a la consigne de ne plus accueillir de stagiaires ouvrant droit à la gratification. » A lire les banderoles (« Pas de stages, pas de diplômes », « Gratification : un droit – Stages : une nécessité », « Braderie de stagiaires »…), le manque de stages reste en effet plus que jamais au centre des préoccupations.
La question de la gratification, et surtout des moyens pour qu’elle soit réellement mise en œuvre, était l’une des revendications portées par la délégation reçue le 12 après-midi au cabinet de Ségolène Neuville, la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Lors de cet échange, les dix membres de la délégation (cinq étudiants et cinq représentants d’Avenir éducs) ont demandé qu’un organisme indépendant mutualise les fonds pour les gratifications qui seraient versées directement aux étudiants, sans lien avec les terrains de stage(2). Autre revendication : l’arrêt de la préparation de la réforme des diplômes telle qu’elle est menée actuellement, en dénonçant une fois de plus la « méthode descendante » des « états généraux du travail social » et leur « instrumentalisation pour faire passer la refonte ».
Ils ont aussi réclamé une vraie concertation avec le terrain grâce à la mise en place de cahiers de doléances un peu partout sur le territoire et la réalisation, avec le CNRS « plutôt qu’avec un cabinet privé », d’un état des lieux des métiers. Ils souhaitent également que soit « défini un cadre juridique pour le travail social », afin de distinguer ce qui en relève et ce qui n’en relève pas, notamment en s’appuyant sur les travaux déjà engagés sur la question par l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés et l’Association nationale des assistants de service social. Autant de points sur lesquels les membres de la délégation ont, d’après son porte-parole, été « entendus » mais sans qu’aucune réponse concrète ne leur soit apportée au cours d’un entretien loin d’être « satisfaisant ». Ce qui n’a pas semblé entamer la motivation des manifestants encore présents en cette fin d’après-midi puisqu’une assemblée générale était déjà programmée dans la foulée à l’IRTS de Montrouge, avec pour mot d’ordre : « La lutte continue ».
(1) Parmi elles, plusieurs syndicats, dont certains appelant à la grève le même jour, l’Association nationale des assistants de service social, l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES), la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants ou encore l’Association pour la formation au métier d’éducateur de jeunes enfants.
(2) Dans une lettre ouverte à Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, rendue publique le 15 décembre, l’ONES réitère sa proposition de déléguer à l’Agence de services et de paiement la gestion de la gratification pour le secteur social et médico-social privé non lucratif, afin de distinguer l’offre de stage de la gratification.