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Le numérique en partage

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Depuis 2006, l’informatisation de l’IME Mathalin situé à Auch, dans le Gers, s’est accompagnée de la coconstruction d’un outil collaboratif pour améliorer la communication et la circulation de l’information. Une démarche qui a nécessité l’implication de tous.

Installé dans une ancienne maison de maître entourée d’un parc de deux hectares, l’institut médico-éducatif (IME) Mathalin, à Auch, ressemble à beaucoup d’autres. Pourtant, depuis huit ans, une révolution s’y produit, invisible. Impulsé par la direction et adopté progressivement par tous les salariés, un outil numérique coopératif et coconstruit est venu modifier plusieurs facteurs de son fonctionnement.

L’aventure « wiki » commence en 2006, lorsque Joël Laburre, psychomotricien entré à l’IME en 1979, devenu chef de service puis directeur il y a dix ans, cherche une solution pour y améliorer la circulation de l’information. Cette institution rassemble en effet 69 enfants et adolescents, âgés de 5 à 20 ans, déficients intellectuels avec troubles associés ou polyhandicapés(1) ainsi que 59 salariés, pour 48 équivalents temps plein(2). « Nous avions d’immenses difficultés à ce que tous les professionnels bénéficient des informations nécessaires pour le suivi des jeunes en temps réel, se rappelle Michèle Durand, chef de service, en charge des ressources humaines. Cela rendait compliqué une cohérence d’ensemble et entraînait une énorme déperdition d’énergie. »

Alors que l’établissement était en cours d’informatisation, la rencontre avec Lilian Ricaud, un jeune consultant en stratégie web et travail en réseau, donne à Joël Laburre l’intuition des solutions numériques qui font aujourd’hui de Mathalin un établissement à la pointe dans ce domaine. Un pari qui n’était pas gagné d’avance… « Au début, j’ai eu du mal avec l’outil informatique. Je n’y connaissais rien car je n’ai pas d’ordinateur à la maison », se souvient Karine Busching, maîtresse de maison pour les Benjamins et les Poussins, après avoir été agent de service. « Quand je suis arrivée, on avait des cahiers, des classeurs, complète Karine Fontan, infirmière à l’IME. J’ai découvert les ordinateurs lorsqu’ils sont arrivés ici. »

UNE CULTURE ÉLABORÉE DE FAÇON PROGRESSIVE

Actuellement, les 59 salariés disposent de 30 ordinateurs (sans compter 10 machines dédiées aux jeunes), renouvelés par tiers tous les trois ans. Un informaticien assure leur maintenance, celle des réseaux et le contrôle des sauvegardes externalisées. Il est aussi correspondant CNIL(3). Technophile convaincu, le directeur était conscient que ces nouveaux outils ne pouvaient pas être imposés d’en haut, surtout dans un secteur médico-social très marqué par la culture orale. Il a donc imaginé une élaboration progressive de cette nouvelle culture. « Ce n’est pas l’outil qui compte, mais son usage, explique Lilian Ricaud dans le livre blanc qu’il a consacré au projet(4). Avoir le meilleur outil ne sert à rien si les utilisateurs ne peuvent ou ne veulent pas s’en servir. »

En parallèle de l’installation des ordinateurs dans l’établissement, un système très simple a donc été proposé : un « wiki » – application web sous forme de tableau blanc qui facilite la publication en ligne de textes et d’images – développé à partir du logiciel libre et gratuit Mediawiki (conçu à l’origine pour l’encyclopédie Wikipédia). Une forme basique d’intranet, qui autorise une construction évolutive. « Démarrer avec le minimum de fonctionnalités facilite l’appropriation, réduit l’investissement de départ et permet de faire évoluer l’outil au fur et à mesure que les besoins se précisent », souligne Lilian Ricaud.

ADAPTER LE CHANGEMENT AUX BESOINS DE CHACUN

Au départ, seuls quelques « pionniers » postaient des informations sur le fil d’actualité : l’équipe de direction, le pôle administratif et un groupe de salariés motivés, même si l’ensemble du personnel avait été formé à son utilisation. Donner envie sans imposer, telle est la recette du succès. « La direction et le formateur nous ont présenté de manière intéressante ce qu’on allait pouvoir en faire, ce qui a facilité l’adhésion et la participation, raconte Etienne Campunaud, éducateur technique. Finalement, j’y ai pris goût et j’ai même trouvé ça excitant et ludique. »

Pourtant, de prime abord, les résistances et les critiques n’ont pas manqué, l’implication des personnels n’étant pas gagnée d’emblée. « C’est compliqué de changer, ça chamboule, reconnaît Karine Fontan. On a l’impression qu’on perd des choses. Heureusement, on a été bien accompagnés, sans pression. » « Si ça avait été imposé, il y aurait eu plus de résistances, confirme Stéphanie Kieffer, psychologue. Bien que cela ait été une volonté de la direction, puis d’un groupe de commission motivé, le cheminement a su s’adapter aux besoins, aux demandes et aux difficultés de chacun. » Petit à petit, les salariés, quoique pris dans le flot de leur travail quotidien, en sont venus à changer leurs habitudes. « L’informatique, au début, c’est une source d’emmerdements : on tape à deux doigts, on se demande si le message est arrivé, lance avec humour Denis Fourez, éducateur spécialisé du groupe des Benjamins. Mais on s’aperçoit vite qu’après, on passe beaucoup moins de temps à courir après les infos… »

Au bout de deux ans, un dispositif plus adapté est devenu nécessaire, d’autant qu’un deuxième site, distant de plusieurs kilomètres, a ouvert pour des jeunes polyhandicapés. Tous les salariés ont alors reçu un questionnaire sur les contenus qu’ils désiraient consulter ou publier. Le wiki initial a été intégré à un site fonctionnant avec le logiciel libre Wordpress. « L’outil a grandi avec nous », se félicite Michèle Ehouman, enseignante à l’IME et coordinatrice pédagogique. Un soin particulier a été apporté à l’organisation ergonomique du site et, aujourd’hui, le système s’est étoffé de nombreuses fonctionnalités accessibles à partir d’icônes disposées sur la page d’accueil.

Le cœur du site, c’est le fil d’actualité, dans lequel apparaissent en temps réel les informations telles que les absences, les retards, les sorties… On y trouve tout le quotidien opérationnel, l’organisation des projets et des séjours, les formations… C’est la première chose que consultent la plupart des salariés en arrivant le matin, et souvent la dernière le soir avant de partir. « Lorsque les jeunes de l’atelier que j’anime partent en stage, je mets l’info pour mes collègues, ce qui fait gagner du temps et évite des oublis, témoigne Etienne Campunaud. Je publie aussi textes et photos lorsque nous faisons des interventions auprès de partenaires extérieurs, comme les nichoirs que nous avons fabriqués pour une association ornithologique. Pour les jeunes, c’est valorisant que tout l’établissement le sache ! »

Une icône permet à chacun de signaler, via un formulaire dédié, les besoins de l’établissement en termes de réparations ou d’achats. « Lorsque les demandes se faisaient oralement au hasard des rencontres, les choses n’étaient pas toujours réalisées, ce qui agaçait les demandeurs, affirme Michèle Durand. Maintenant, la prise en compte est facilitée, ce qui a un impact direct sur le climat relationnel. » Un autre formulaire permet de transmettre directement des informations à la cuisine ou de commander des pique-niques pour une sortie. « Avant, on devait remplir un formulaire papier et le faire valider par l’économe », se souvient Hélène Saudellaro, éducatrice sportive. Fabrice Thiré, l’un des cuisiniers, visite le wiki tous les jours vers 10 heures pour connaître les absences ou les maladies qui nécessitent un menu spécial, et ajuste ainsi le nombre de repas à préparer. Il s’y rend également à d’autres moments de la journée pour lire les comptes rendus de commissions, de réunions ou les notes de service accessibles à tous. « Auparavant, l’information était un pouvoir, mais aujourd’hui elle est partagée, afin que tous les agents, quelle que soit leur qualification, soient pris en compte », insiste Joël Laburre. Au lieu de se cantonner à leur fonction, ils peuvent ainsi s’impliquer dans la vie de l’établissement.

LA TRANSMISSION EN TEMPS RÉEL DES INFORMATIONS

Chaque pôle dispose de son propre cahier de transmission, sous forme d’un « Google doc »(5). Un moyen gratuit de démarrer rapidement, qui cependant n’est pas sans poser de questions. Et notamment celle du stockage des données à l’étranger, sur les serveurs de Google – même si les noms de famille des usagers n’apparaissent pas. Expérimentée tout d’abord par le groupe des Benjamins, cette possibilité a récemment été étendue à tous les pôles. « Nous avons proposé l’informatisation du cahier de transmission afin qu’il soit accessible en temps réel à tous les professionnels de l’équipe, et pas seulement à l’équipe de proximité, précise Michèle Durand. Nous sommes en phase de transition, en conservant la possibilité de tenir en parallèle des cahiers papier, sans mettre de pression. » Cet outil procure un gain de temps appréciable lors du passage de relais entre les équipes de jour et de nuit, mais ce n’est pas son seul intérêt. « Cela permet aux veilleurs de nuit d’être moins isolés », se félicite Fatima Malaret, aide médico-psychologique (AMP) surveillante de nuit, qui vient d’installer l’accès au « wikiblog » sur son mobile. « L’outil nous a rattachés à l’équipe de jour, confirme son collègue Eric Brunaud. Je peux regarder, de chez moi, ce qui se passe dans la journée et arriver le soir en étant déjà au courant. Ça fait râler certains collègues, mais ça évite des pertes d’information. » En tant qu’aide-soignant et surveillant de nuit, Eric Brunaud peut, pour sa part, consulter le Google doc des informations médicales, accessibles uniquement aux infirmières, médecins et chefs de service, et poster les informations sur ce qui s’est passé la nuit. Il utilise aussi ses heures d’éveil nocturne pour archiver les données médicales du cahier de transmission dans les dossiers de chaque jeune, bien utiles en vue des synthèses individuelles annuelles. Cette architecture informatique préfigure le dossier personnel numérisé qui utilisera le logiciel Evilo (lire encadré ci-contre) lorsqu’une partie des informations des « Google doc » y migreront à partir de 2015.

L’une des inquiétudes formulées à l’origine par certains membres du personnel était que l’échange d’informations par le biais d’un intranet risquait de remplacer les relations humaines. C’est en réalité le contraire qui s’est produit. Le nombre de réunions n’a pas été réduit mais, de l’avis général, elles sont devenues plus efficaces, en évacuant la transmission d’informations purement factuelles(6). « On peut être alerté sur un problème et commencer à y réfléchir entre deux réunions, alors qu’avant on le partageait en réunion et on réfléchissait ensuite », explique Michèle Durand. « Cela rend les communications orales plus efficaces, car je peux avoir telle ou telle personne en sachant quelles questions précises lui poser », complète Hélène Gontaud, psychomotricienne. Un agenda partagé permet d’ailleurs de consulter les horaires des réunions avec leurs ordres du jour, qui peuvent être complétés. Un vrai progrès pour les salariés qui interviennent sur plusieurs établissements. « Ça n’existe pas dans les autres endroits où je travaille. Du coup, il y a des erreurs, des changements de lieux ou d’horaires de réunion dont je ne suis pas informé », regrette ainsi le psychiatre Rodolphe Snapir, présent deux jours et demi par semaine chez les Juniors ainsi qu’à l’accueil de jour. Auparavant, les personnels transversaux (psychomotriciennes, orthophoniste, assistante sociale…) perdaient beaucoup d’informations ou devaient aller à toutes les réunions pour les obtenir. « Grâce à l’outil, nous pouvons mieux nous organiser en décidant en connaissance de cause d’aller dans telle réunion », reconnaît la psychologue Stéphanie Kieffer.

Depuis peu, une nouvelle procédure, élaborée dans le cadre de la commission bientraitance, a été mise en place afin de signaler à la direction des événements indésirables ou des dysfonctionnements. Ce signalement peut désormais s’effectuer par l’intermédiaire d’un médiateur bientraitance ou au moyen d’un formulaire spécifique. « Les élaborations collectives aboutissent à des outils concrets et à des procédures partagées, validées en réunion de direction puis présentées à tous en réunion générale des salariés », se félicite Michèle Durand. Le travail en commissions interdisciplinaires a aussi aidé à dépasser les clivages entre psys, éducateurs et enseignants. « Une vraie transversalité se dessine aujourd’hui, alors qu’avant il y avait un cloisonnement entre éducateurs et enseignants, applaudit Michèle Ehouman. Et les outils sont vraiment aidants pour cela. »

AUTONOMIE ET CRÉATIVITÉ DANS LE TRAVAIL

Créer un système aussi ouvert et collaboratif nécessite l’existence d’une véritable relation de confiance entre les personnes. L’un des indicateurs de cette confiance est la gestion individuelle du temps de travail grâce à une fiche de calcul remplie en ligne par chaque salarié. Le prévisionnel horaire est établi en début d’année et le temps de travail annualisé. Chacun dispose ensuite d’un volant de deux heures par semaine, en dehors de son cœur de métier, qu’il peut utiliser à sa guise pour accompagner des jeunes sur des projets de transferts ou s’investir dans la formation ou dans des commissions thématiques(7). Chacun est responsabilisé par rapport à son temps et peut vérifier en temps réel les heures qu’il a effectuées. « C’est intéressant pour la gestion des ressources humaines car cela permet de voir les priorités de la personne, sur quoi elle a envie de s’investir, note Michèle Durand. On peut s’appuyer dessus en entretien annuel pour discuter des perspectives d’évolution de carrière, de formation, des difficultés, etc. »

Pour le directeur Joël Laburre, l’objectif était avant tout que les gens viennent travailler avec plaisir et soient valorisés au quotidien, dans une institution qui promeut la liberté de penser et de s’exprimer, l’esprit d’initiative et la créativité. Dans l’évaluation externe comme dans les entretiens annuels, l’autonomie et la liberté reviennent comme des points de satisfaction de l’équipe : profiter de marges de manœuvre dans l’organisation de son temps, participer à la vie de l’établissement et à son évolution sont décrits comme autant de facteurs de bien-être au travail. « C’est un modèle exigeant, mais qui peut procurer un bénéfice considérable pour tous, souligne le directeur. Quand le groupe partage les mêmes valeurs, ce n’est pas par un savoir qui descend, mais par le partage d’expériences, l’analyse des pratiques et la réflexion collective. Ainsi, chacun peut élargir ses capacités d’action et de réflexion. »

EXPÉRIENCE
L’IME, Evilo et l’Octapeh

L’IME Mathalin est un site expérimental pour Evilo, un système expert destiné à constituer un dossier unique de l’usager, développé en partant des pratiques des professionnels au sein du réseau Octapeh (Organisme central de technologie, d’apprentissage, de promotion et d’éducation en faveur des personnes handicapées) qui, outre des IME, regroupe des sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), des centres de formation d’apprentis (CFA) dont certains spécialisés (CFAS), des établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA)… Le dossier personnalisé sur Evilo intègre d’ores et déjà le contrat de séjour du jeune, ses avenants et les différents bilans. Il n’est encore utilisé que par la direction. L’objectif est d’y intégrer progressivement des éléments éparpillés dans des dossiers papiers et sur les « Google doc » utilisés à Mathalin, ainsi que le livret personnel de compétences. Ses fonctionnalités doivent encore être simplifiées et adaptées à une utilisation sur smartphones et tablettes, ce qui nécessite de trouver un financement.

Notes

(1) Leur prise en charge, de type familial, s’effectue en accueil de jour, en semi-internat ou en internat modulable au sein de quatre pôles.

(2) Outre les services administratifs et généraux, 6 enseignants, 2 psychiatres, 1 médecin généraliste, 2 psychomotriciennes, 1 orthophoniste, 1 psychologue, 1 assistante sociale, 4 surveillants de nuit, 10 éducateurs spécialisés, 2 moniteurs-éducateurs, 4 AMP, 4 éducateurs techniques et 1 éducatrice sportive.

(3) La mise en conformité avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est en cours, avec notamment la création d’un registre de traitement des données.

(4) « Travail coopératif en ligne à l’IME Mathalin », consultable en ligne sur www.lilianricaud.com, rubrique « Recherche ».

(5) Un document accessible et modifiable en ligne par plusieurs personnes, via un code d’accès.

(6) Tous les comptes rendus de réunions sont consultables en ligne, selon les droits d’accès.

(7) Plusieurs commissions interdisciplinaires sont proposées chaque année, et leurs comptes rendus sont accessibles en ligne.

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