Quelle est la place de la polyvalence de secteur dans le paysage de l’action sociale d’aujourd’hui et quel rôle veut-on lui faire jouer ? Deux questions « prégnantes », selon l’Association nationale des assistants de service social (ANAS), qui vient de publier un document contenant cinq propositions « pour redonner du sens à la polyvalence de secteur » et envisager une « alternative au modèle actuel »(1). Des pistes qu’elle présente comme « un outil de travail pour les institutions, les professionnels et un appel au débat ».
Chacune d’entre elles répond à la définition d’un objectif. Le premier : la « réappropriation des outils d’accompagnement par les assistants sociaux de secteur ». Pour cela, l’ANAS recommande de dissocier la contractualisation obligatoire et l’accompagnement social, le contrat ayant en effet été « détourné de son sens initial ». Selon elle, un « palier déterminant » a été franchi avec le contrat d’insertion du revenu minimum d’insertion (RMI), devenu « contrat d’engagement réciproque » dans le cadre du revenu de solidarité active (RSA). Le contrat devient ainsi une « démarche obligatoire pour tout bénéficiaire du RSA qui serait considéré comme devant être “accompagné” par un service social ». De fait, « cette contractualisation obligatoire situe la relation entre l’assistant social et la personne dans un schéma d’aide contrainte ».
L’objectif de la dissociation proposée par l’ANAS n’est pas de « nier » le fait que l’intervention du professionnel s’inscrit dans le cadre de politiques sociales, mais plutôt de « clarifier ce qu’est le rôle d’un service social de secteur et celui d’un dispositif “contractuel” qui doit rester un moyen et non une fin en soi ». Pour éviter certains écueils, comme la multiplication des démarches pouvant découler de cette dissociation, cette idée doit donc être « pensée de manière adaptée à chaque territoire en fonction de son organisation actuelle », tempère l’ANAS.
Deuxième préconisation : dégager les équipes de polyvalence de secteur des évaluations consécutives aux recueils d’informations préoccupantes. Pour l’ANAS, il s’agit en effet d’un « nouveau cadre d’aide contrainte amenant les parents à simuler une “adhésion” et le professionnel à user d’un mandat administratif visant à évaluer la situation d’un mineur ». Selon l’organisation, ce cadre d’intervention particulier a bousculé les pratiques professionnelles, car « il vient englober dans le champ de la protection de l’enfance un ensemble de familles qui n’en relevait pas » avant la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Au final, des parents peuvent s’adresser au service social de secteur « dans un cadre de libre adhésion puis se voir contraints par ce même service à des rencontres sur la question de leurs compétences parentales et d’un éventuel danger pour leur enfant ». Or cette « double casquette » de la polyvalence de secteur est pour l’association problématique, car elle crée de la « confusion sur son rôle et de la défiance de la part des familles ».
L’ANAS propose ensuite de « garantir un processus de formation continue obligatoire à l’intervention sociale d’intérêt collectif (ISIC) pour les professionnels exerçant au sein des équipes de polyvalence de secteur ainsi que pour les encadrants », cela afin de développer leur rôle d’acteur du développement social du territoire. Alors que la multiplication et la complexification des dispositifs sont allées de pair avec un développement de la pratique d’aide individuelle, une grande majorité d’assistants sociaux estiment que le service social de secteur a évolué pour devenir un « guichet », analyse l’ANAS. Elle veut donc réaffirmer « l’attachement intrinsèque » d’un service social à son territoire. Cette orientation nécessite par ailleurs de « prioriser » les missions demandées aux professionnels de secteur en allégeant leur charge de travail.
La quatrième proposition de l’ANAS consiste à « instaurer et garantir un accueil inconditionnel » par un travailleur social à toute personne résidant sur le territoire, un principe « clairement remis en question » au sein des services sociaux de secteur. Ainsi, « dans un certain nombre de départements, des systèmes de “filtres” se sont développés à l’accueil du service social par le secrétariat » (urgence « apparente » de la situation, présence de mineurs, etc.) et dans un certain nombre de cas, « la réponse va être donnée à la personne par le secrétariat en fonction de réponses préétablies correspondant à des demandes repérées comme redondantes ». Il faut donc rompre avec ces « logiques organisationnelles souvent maltraitantes » et faire en sorte que le conseil général soit le garant de cet accueil inconditionnel.
La dernière proposition de l’association porte sur la manière de penser le fonctionnement et l’organisation des équipes de polyvalence de secteur. L’ANAS appelle à « renoncer à la logique d’interchangeabilité des professionnels et [à] évoluer vers une notion d’équipe territoriale polyvalente ». En effet, au sein même des équipes, une assistante sociale ou une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) vont le plus souvent avoir les mêmes missions répondant à un poste d’assistant socio-éducatif. « Cette indifférenciation provient d’une logique de compétence qui s’est progressivement imposée face à la logique de qualification », relève l’association. Elle souhaite, au moment où se prépare la refonte de l’architecture des diplômes dans le cadre des « états généraux du travail social », « valoriser les professions, leurs différences, leurs spécificités et leurs complémentarités au sein d’équipes territoriales polyvalentes ».
Pour l’ANAS, « le fait de passer d’une logique d’interchangeabilité des professionnels à une utilisation organisée des complémentarités et des compétences propres à chaque profession est un vecteur de cohésion et de valorisation des professionnels ». Une option qui ouvre, défend-elle, des possibilités différentes de travail selon les équipes et donc des marges de manœuvre supplémentaires. Elle permettrait notamment d’imaginer des « organisations plurielles selon les services en fonction des réalités du territoire et des besoins repérés ».
(1) Téléchargeable sur