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« Selon les informations qui nous remontent, l’une des hypothèses du groupe de travail sur “l’architecture des diplômes de travail social” de la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale serait de maintenir les diplômes de niveau III à ce niveau, mais en ramenant la durée des études à deux ans au lieu de trois ; la formation passerait ainsi de 180 à 120 ECTS (European Credits Transfer System). Seule une minorité de professionnels pourrait, par une formation complémentaire de 60 ECTS, accéder au niveau II. Une telle piste, si elle était retenue, constituerait une forte régression en matière de qualification pour la très grande majorité des travailleurs sociaux post-bac. Elle ne permettrait pas en outre de répondre aux enjeux posés par les évolutions du secteur et éloignerait les formations sociales françaises du système LMD (licence-master-doctorat), à l’inverse de ce qui existe dans la majorité des pays de l’Union européenne.

Cette hypothèse apparaît en totale contradiction avec les objectifs de valorisation et de reconnaissance du travail social affichés par les “états généraux du travail social” (EGTS), dont la date est désormais renvoyée à la fin du premier semestre 2015. A la lecture des synthèses intermédiaires et des nombreux rapports effectués dans le cadre de cette démarche – même si l’ensemble des contributions préparatoires n’est pas encore finalisé –, on ne peut d’ailleurs qu’être frappé par le consensus qui se dégage des constats et propositions sur les missions et conditions d’exercice des travailleurs sociaux et sur leur qualification professionnelle.

Une action sociale technicisée ?

A l’image d’autres travaux, une étude intitulée “Du travailleur social au travail social dans les collectivités”(1), publiée en septembre dernier à l’initiative du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), de l’Association nationale des directeurs d’action sociale des départements, de l’Association des directeurs généraux des grandes collectivités et de l’Association nationale des cadres communaux de l’action sociale, pointe ainsi “une complexité croissante de l’intervention” due au changement des publics, à la massification et l’hétérogénéité des problèmes sociaux, au décalage entre les mutations sociales et familiales et la structuration et la répartition territoriale des dispositifs, à la multiplication des modalités de prise en charge… Selon les auteurs, rejoignant en cela le constat souvent établi par les travailleurs sociaux, “la multiplicité et le cloisonnement des dispositifs sont facteurs d’un morcellement de la réponse apportée à l’usager et ne permettent pas de traiter des situations de plus en plus complexes”. D’où le risque “d’une technicisation de l’action sociale reposant sur une réponse automatique à la demande de l’usager” au lieu de favoriser la construction d’une réponse adaptée.

Ce constat a été repris le 3 juin dernier lors des assises régionales de Midi-Pyrénées, qui traitaient des “mutations du travail social”. Selon le document de restitution(2), la complexité des situations d’intervention vient distordre fortement l’articulation entre le travail prescrit (lettres de mission, fiches de postes, règles administratives, procédures de travail…) et le travail réel des travailleurs sociaux, qui sollicite l’initiative, l’adaptation, la créativité.

On retrouve la même convergence dans les préconisations. A l’issue des assises interrégionales qui se sont tenues avant l’été et du comité de pilotage des EGTS du 22 juillet dernier, plusieurs propositions invitent ainsi à augmenter le niveau d’expertise des travailleurs sociaux sur différents champs (grande exclusion, handicap, violences et discriminations…), à développer la recherche-action et à capitaliser les pratiques innovantes et, enfin, à promouvoir les approches de type “développement social”. Cette dernière recommandation rejoint l’étude du CNFPT et des cadres des collectivités, qui, afin de permettre l’émergence de nouvelles pratiques, invite à “s’engager dans une démarche de développement social local avec l’ensemble des acteurs du territoire”. Cela implique que les institutions passent “d’une logique de la reproduction à une logique de développement”, ce qui, précisent les auteurs, est différent du simple travail en partenariat.

De leur côté, les assises de Midi-Pyrénées ont fait émerger des propositions visant à penser l’action sociale en termes de dynamique, à donner plus d’autonomie aux travailleurs sociaux, à développer l’expérimentation et les liens entre le terrain, l’université et les instituts de formation en travail social en engageant des recherches-actions.

Ces préconisations exigent des travailleurs sociaux qu’ils aient les capacités suivantes : appréhender des situations complexes ; faire preuve d’innovation et de créativité ; mobiliser des personnes et des ressources sur un territoire ; coordonner le parcours d’un usager en mobilisant différents dispositifs et partenaires ; prendre des initiatives incluant un niveau d’autonomie dans la prise de décision. Si les formations actuelles préparant aux cinq diplômes de niveau III – DEES, DEASS, DEETS, DEJE et DECESF(3) – développent en grande partie ces compétences, des manques sont pointés par les 8 431 travailleurs sociaux (dont 80 % ont déclaré avoir un diplôme de niveau III) qui ont répondu au questionnaire mis en ligne dans le cadre des EGTS(4). En effet, près de la moitié des professionnels ne s’estiment pas capables, à l’issue de la formation initiale, de mener des actions collectives et 50 % des cadres pensent que les nouveaux diplômés ne sont pas en mesure de mobiliser les partenaires.

Si les propositions issues des constats de terrain étaient validées lors des “états généraux du travail social”, elles auraient nécessairement un impact sur le contenu des missions, et donc la qualification, des travailleurs sociaux. Il semble alors évident que les formations de niveau III, affectées de 180 ECTS du fait des trois ans d’étude, devraient être confortées dans leur durée pour que ces capacités soient enrichies et reconnues au niveau 6 du cadre européen des certifications (CEC) – soit au niveau II du registre national des certifications professionnelles en France, et donc au grade de la licence. La capacité de faire preuve d’innovation pour résoudre des problèmes complexes qui est préconisée est en effet clairement identifiée au niveau 6 du CEC. La compétence d’expertise sociale, c’est-à-dire de pouvoir produire des connaissances sur les réalités sociales d’un champ d’intervention ou d’un territoire d’exercice, suppose la capacité de mobiliser une palette d’approches conceptuelles et méthodologiques qui requièrent un très bon niveau d’appropriation ; cela relève d’une compréhension critique des savoirs mobilisés, qui est décrite aussi au niveau 6. Enfin, la capacité à appréhender la globalité d’une situation et à prendre des initiatives permettant de coordonner le parcours d’un usager ou de développer un projet en coopération avec différents acteurs appelle nécessairement un niveau de responsabilité et d’autonomie dans la prise de décision, soit une compétence qui apparaît à partir du niveau 6.

C’est aussi en reconnaissant la majorité des travailleurs sociaux au niveau 6 du CEC qu’on rendra possible l’articulation entre les pratiques professionnelles, la formation et la recherche ainsi que le développement de nouveaux modes d’intervention requis par les démarches de développement social local. »

Notes

(1) Disponible sur http://goo.gl/WzGRjS.

(2) Consultable sur www.midi-pyrenees.drjscs.gouv.fr/ Restitution-regionale-des-assises.html.

(3) Diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé, diplôme d’Etat d’assistant de service social, diplôme d’Etat d’éducateur technique spécialisé, diplôme d’Etat d’éducateur de jeunes enfants et diplôme d’Etat de conseiller en économie sociale familiale.

(4) Dont les résultats sont publiés dans le rapport d’analyse rédigé par l’Agence nouvelles des solidarités actives – www.solidarites-actives.com.

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