Alors que l’application de l’encellulement individuel, obligatoire en France depuis 1875, n’a jamais cessé d’être différée, dans un contexte de surpopulation carcérale croissante et d’inadaptation du parc pénitentiaire, le député (PS) de la Loire-Atlantique Dominique Raimbourg affirme, dans son rapport remis le 2 décembre à la chancellerie(1), la nécessité d’un dernier moratoire pour se donner les moyens d’atteindre l’objectif d’un détenu par cellule d’ici à 2022.
Au terme d’une mission « express » menée du 10 au 30 novembre, l’élu socialiste s’appuie en effet sur « un simple examen des chiffres » pour démontrer l’impossibilité de mettre en œuvre l’encellulement individuel à l’heure actuelle : au 1er octobre dernier, sur 77 379 personnes placées sous écrou, 66 494 étaient détenues entre les murs d’une prison pour 58 054 places opérationnelles, réparties en 49 681 cellules dont 40 857 individuelles, 6 553 doubles et 2 271 collectives. Or, tout en réaffirmant l’exigence de l’encellulement individuel, au bénéfice des condamnés comme des prévenus, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 en repoussait encore l’application de cinq ans, jusqu’au 25 novembre dernier. Un délai que la garde des Sceaux souhaitait à nouveau prolonger, malgré les protestations du secteur associatif, avant d’y renoncer à la fin octobre sous la pression de l’Assemblée nationale. C’est alors que le gouvernement a confié à Dominique Raimbourg, ex-rapporteur de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, le soin de lui fournir des pistes d’action.
Au-delà du constat, dressé à la lumière des exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme et du Conseil d’Etat ou des recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté, le député socialiste considère qu’il faut éviter « la multiplication des recours et de condamnations multiples de l’Etat ». C’est pourquoi, s’il faut se donner du temps, « il faut aussi se fixer un calendrier » et « se doter d’outils de mesures et de plans d’actions », qui doivent venir traiter à la fois la question de la surpopulation mais aussi celle de l’inadaptation du parc pénitentiaire.
Il faut surtout s’abstenir de « reproduire les erreurs du passé : voter des lois, croire que ce vote suffit à changer le réel et se contenter ensuite d’une application très molle de la loi », écrit sans trembler le parlementaire. Pour atteindre l’objectif du « strict respect de l’encellulement individuel » à l’horizon 2022, il formule donc plusieurs préconisations, qui passent en premier lieu par le renouvellement du parc pénitentiaire, conformément aux engagements du ministère de la Justice, pour porter sa capacité à 66 700 places – « soit légèrement au-delà du nombre de personnes incarcérées actuellement » – avec au moins 80 % de cellules individuelles, en remplaçant l’intégralité des cellules multiples par autant de places en cellules simples (ce qui porterait leur nombre aux alentours de 54 000).
Quant à la surpopulation carcérale, qui « interdit à la prison de remplir correctement sa fonction », elle doit être combattue à tous les niveaux, avec l’appui de l’administration pénitentiaire, dans le cadre d’une concertation avec les surveillants notamment, comme de la justice, en facilitant les aménagements de peine ou en tenant compte, pour accorder les remises de peine, des efforts de réinsertion des détenus affectés dans des établissements surpeuplés. Le rapport « Raimbourg » propose aussi la mise en place d’une commission de l’exécution, pour mieux réguler les condamnations, dans chaque tribunal de grande instance.
Avant que la densité carcérale ne revienne à un niveau compatible avec l’encellulement individuel, le député plaide pour en atténuer les effets, en particulier en modifiant le régime dit « portes fermées » (enfermement du détenu dans sa cellule de jour comme de nuit), et en augmentant en parallèle les activités proposées (travail, sport, formation, etc.).
Par ailleurs, pour le parlementaire, « plutôt que l’actuelle distinction qui est faite dans l’organisation de l’incarcération entre les prévenus et les condamnés », ce sont les « primo-incarcérés » qu’il semble « plus pertinent de systématiquement distinguer », pour leur garantir une cellule individuelle au-delà de la période d’observation en « quartier arrivant » (période destinée à éviter « le choc carcéral »). Un effort à fournir en priorité envers « les plus vulnérables : détenus âgés, handicapés », comme le recommandait l’ancien contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue(2). Mais cette préconisation « paraît cependant difficile à mettre en œuvre immédiatement », nuance Dominique Raimbourg, qui estime en effet qu’elle « peut être difficile à supporter pour les personnes âgées ou malades lorsque la cellule ne dispose pas d’un dispositif d’appel en cas de besoin », ce qui est très souvent le cas. Il faut donc « faire de l’encellulement individuel un droit et non une obligation » et organiser cette affectation prioritaire dans le temps, en réservant les cellules simples, au fur et à mesure qu’elles se vident, aux détenus de plus de 60 ans, présentant un handicap de plus de 80 % ou non francophones.
(1) Encellulement individuel – Faire de la prison un outil de justice – Disponible sur