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« L’agent de probation, qui était un généraliste, est aujourd’hui de plus en plus un spécialiste »

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La réforme pénale adoptée en juillet(1) vise à favoriser les mesures alternatives à l’incarcération. Celles-ci sont cependant déjà largement utilisées, rappelle le politologue Xavier de Larminat dans un ouvrage consacré aux peines en milieu ouvert. Encore faut-il savoir dans quelles conditions elles sont exécutées.Pour cela, le chercheur a enquêté dans deux services d’insertion et de probation.
La réforme pénale met en avant les mesures alternatives à l’incarcération. Celles-ci sont pourtant déjà largement utilisées…

Les mesures de probation sont en effet trois fois plus nombreuses que les peines de prison. Début 2014, on dénombrait près de 190 000 personnes suivies en milieu ouvert, dont 13 000 en aménagement de peine sous écrou, pour environ 65 000 personnes incarcérées. Les peines alternatives à l’incarcération restent très peu connues, alors qu’elles font depuis dix ans l’objet d’un accroissement silencieux mais très important. Entre 2005 et 2013, afin de réduire la surpopulation carcérale, le nombre des aménagements de peine et des mesures en milieu ouvert a augmenté d’environ 50 %. Néanmoins, le nombre de détenus incarcérés a augmenté de 15 %, ce qui est le signe d’une pénalisation accrue.

Quel était votre objectif en lançant cette recherche ?

Je voulais voir de quelle façon les mesures de probation sont exécutées afin de dépasser les habituelles pétitions de principe sur le sens de la peine. En effet, lorsqu’on parle des alternatives à la prison, deux grandes positions se font face : d’une part, l’idée selon laquelle tout vaut mieux que la prison ; d’autre part, la crainte que ces peines ne constituent une extension du filet pénal s’ajoutant à la prison. Le problème est que ces deux thèses ne s’intéressent pas aux conditions réelles d’exécution des peines. C’est pour cette raison que j’ai enquêté dans deux services de probation, l’un en milieu urbain et l’autre dans un environnement plus rural. Le premier comptait 30 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation [CPIP] et le second 10. J’ai passé six mois en tant que stagiaire dans chacun de ces services où j’ai pu mener des entretiens avec les conseillers. Pour les justiciables, il m’était difficile de mener des entretiens avec eux, du fait de ma présence aux côtés des CPIP. J’ai donc travaillé à partir de leur dossier. Enfin, j’ai assisté à une centaine d’entretiens entre les agents de probation et les justiciables convoqués dans le cadre de leur mesure.

Qui sont les agents de probation ?

Ce sont à 75 % des femmes, cette proportion variant très peu dans le temps. Ils sont recrutés majoritairement entre 25 et 28 ans. Depuis vingt ans, près des deux tiers des promotions sont constitués de juristes. Auparavant, ils étaient moins d’un tiers. Par ailleurs, les agents de probation sont de plus en plus diplômés. Le concours est ouvert à bac+2, mais les nouveaux CPIP sont majoritairement titulaires d’un Master 2, souvent spécialisés en science pénitentiaire ou en sciences criminelles. Cette évolution se traduit dans les représentations et les attitudes professionnelles. On voit ainsi coexister trois grands profils : le travailleur social, le contrôleur et le criminologue. Le premier se réfère à un modèle forgé dans les années 1970. Il est plutôt dans l’empathie avec le justiciable, son objectif étant que celui-ci puisse se réinsérer dans la société. Il se situe dans une perspective généraliste et polyvalente. Le deuxième, le contrôleur, est apparu quant à lui dans les années 1980 et 1990 à la suite des critiques émises à l’encontre du travail social. C’est un spécialiste qui se contente de vérifier que les obligations judiciaires liées aux mesures sont bien remplies, mais ne s’investit pas dans la relation. Avec le criminologue, d’apparition plus récente, on sort de cette tension entre insertion et contrôle. On se situe dans l’expertise autour de la gestion des risques de récidive. Il faut savoir en outre que des surveillants de prison ont intégré depuis peu les services de probation pour suivre les mesures de placement sous surveillance électronique. L’administration pénitentiaire parle de services de probation pluridisciplinaires mais, dans les faits, on peut craindre la constitution d’une hiérarchisation entre des métiers nobles et d’autres moins gratifiants.

Les façons de travailler des conseillers sont-elles très différentes ?

Non seulement leurs représentations sont différentes, mais chacun d’eux ne se comportera pas de la même façon avec tous les justiciables. La grande majorité des conseillers recherchent en effet l’adhésion de la personne, ce qui les conduit à adopter diverses tactiques misant tour à tour sur la confiance, la menace ou la responsabilisation. Mais cette quête d’adhésion est problématique parce qu’elle conduit à une moralisation de la prise en charge qui met de côté l’inscription des individus dans un environnement social, économique et familial. On se focalise sur la personnalité du justiciable et sur les critères comportementaux témoignant de son investissement ou de la reconnaissance de sa culpabilité, mais on fait l’impasse sur sa situation sociale et sur les ressources économiques ou relationnelles, inégalement réparties, qui conditionnent ses capacités d’adhésion.

La politique pénale vise deux grands objectifs : limiter la surpopulation carcérale et prévenir la récidive. Quelles conséquences pour les services d’insertion et de probation ?

La focalisation sur la prévention de la récidive a entraîné un souci d’évaluation du justiciable pour ce qu’il est plutôt que pour ce qu’il a fait. Pour cela, l’administration pénitentiaire a lancé en 2011 une premier outil – le diagnostic à visée criminologique – constitué d’une liste de facteurs visant à anticiper les risques de récidive. Mais cet outil a été critiqué pour sa conception et sa rigidité, et a été très mal reçu par les agents de probation, qui ont refusé de l’utiliser. Il a finalement été abandonné en 2013, mais l’administration pénitentiaire a récemment lancé un appel d’offres pour développer un nouvel instrument d’évaluation standardisé du même type.

Face à cette exigence d’évaluation, les agents de probation conservent-ils une marge de manœuvre ?

Oui, mais elle se réduit en raison d’une organisation qui vise également à améliorer la gestion des flux. Avec l’accroissement du nombre de personnes sous main de justice, les CPIP ont en effet de plus en plus de mesures à gérer. Selon les services, le nombre de condamnés par agent de probation oscille entre 90 et 150. Pour éviter de créer des listes d’attente, un nouveau modèle d’organisation a été mis en place. L’agent de probation, qui était un généraliste, est aujourd’hui de plus en plus un spécialiste qui n’intervient plus que sur un type de mesure ou de délit particulier. L’administration pénitentiaire espère ainsi réaliser des économies d’échelle à travers une rationalisation des méthodes et des moyens. Mais cette logique d’efficience ne correspond pas forcément à la manière qualitative et relationnelle dont la plupart des agents de probation envisagent leur travail.

Y a-t-il des résistances à cette évolution ?

Nombreux y sont opposés – le boycott mené à l’encontre du diagnostic à visée criminologique l’a montré – ou sont dans la désillusion. D’autres – ceux qui se pensent comme des criminologues – y voient au contraire une forme de valorisation par rapport à la déconsidération touchant les sphères du travail social. Souvent, en effet, ils se sentent en situation de déclassement par rapport à leur niveau de diplôme. L’expertise étant aujourd’hui valorisée, ils revendiquent l’utilisation de ces nouveaux outils d’évaluation.

L’arrivée en 2012 de la gauche au pouvoir a-t-elle changé la donne ?

Ce gouvernement a été le premier depuis au moins quinze ans à affirmer publiquement l’intérêt des mesures de milieu ouvert. C’est symbolique, mais ce n’est pas négligeable dans la mesure où l’opinion publique méconnaît très largement le fonctionnement du système pénal. Des moyens supplémentaires ont en outre été débloqués, même si cela avait déjà commencé avant l’élection de François Hollande. En dix ans, le nombre des agents de probation est ainsi passé de 2 000 à 3 000. C’est énorme pour un corps d’une si petite taille, mais cela a simplement compensé la hausse du nombre des mesures. On annonce aujourd’hui l’ouverture de 1 000 postes supplémentaires pour mettre en œuvre la réforme pénale. En revanche, la priorité accordée à la gestion des flux et à la gestion des risques n’a pas changé. On ne peut donc pas vraiment distinguer des orientations « humanistes » de gauche face à des orientations « répressives » de droite. Les ambitions managériales et criminologiques transcendent les clivages idéologiques, mais ne sont pas neutres pour autant. Au contraire, elles ont des effets pervers sur les conditions de prise en charge des justiciables. Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Docteur en science politique, Xavier de Larminat poursuit ses recherches au Centre d’études sociologiques de l’université Saint-Louis, à Bruxelles, et enseigne à l’université d’Amiens. Sa thèse, lauréate du prix Le Monde et du prix Gabriel Tarde du ministère de la Justice, vient d’être publiée : Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert (Ed. PUF, 2014).

Notes

(1) Voir ASH n° 2869-2870 du 18-07-14, p. 18 et 34.

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