Matière sensible touchant directement aux droits fondamentaux des personnes, le droit des étrangers alimente un contentieux abondant, complexe et en perpétuelle évolution. En attendant l’adoption définitive des projets de loi « immigration »(1) et « asile »(2), qui vont encore faire bouger les lignes, nous avons choisi de donner un coup de projecteur sur plusieurs arrêts rendus ces derniers mois par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat et qui répondent à des problèmes de droit très divers touchant à différentes catégories d’étrangers. Au menu : la procédure d’asile en rétention – appelée à évoluer avec la future loi sur l’asile –, la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour, qui fait l’objet d’une jurisprudence naissante depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2013, ou bien encore trois arrêts autour de la problématique de l’éloignement.
Dans un arrêt du 30 juillet dernier, le Conseil d’Etat a annulé la note du 5 décembre 2013 du ministre de l’Intérieur dans laquelle ce dernier indiquait aux préfets la marche à suivre en cas de demande d’asile en rétention(3) – modus operandi transitoire en attendant la future loi réformant le droit d’asile (Conseil d’Etat, 30 juillet 2014, n° 375430)(4). Les Hauts Magistrats administratifs reprochent en particulier au pensionnaire de la Place Beauvau d’avoir confié à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) la détermination du placement en procédure prioritaire de ce type de demande. Au passage, ils émettent également une réserve d’interprétation à propos du délai de 5 jours imposé par la loi pour déposer une demande d’asile en rétention.
Le mode opératoire décliné dans la note du ministère – attaquée par la Cimade – était le suivant. Point de départ de la procédure : un étranger placé en rétention administrative en vue de son éloignement et désireux de déposer une demande d’asile (ce qu’il ne peut faire, aux yeux de la loi, que dans les 5 jours suivant la notification de son droit de réclamer une protection internationale). Confronté à ce cas de figure, le chef du centre de rétention – ou, le cas échéant, le responsable du local de rétention – devait, selon la note, systématiquement et immédiatement en informer – et non saisir – le préfet à l’origine de la mesure de placement en rétention. Une fois la demande d’asile transmise dans les conditions habituelles à l’OFPRA, ce dernier devait statuer dans un délai de 96 heures (délai prévu par la loi en cas de procédure prioritaire déclenchée en rétention).
Rappelons qu’une procédure accélérée d’examen de la demande d’asile – dite prioritaire – est mise en œuvre dans des cas limitativement prévus par la loi, et notamment lorsque la demande d’asile est abusive ou a pour seul but de faire échec à une mesure d’éloignement. Dans ce cas, l’OFPRA statue sur la demande dans les 15 jours de sa transmission par la préfecture, mais ce délai est ramené à 96 heures si le demandeur est placé en rétention administrative.
Selon le ministère, trois situations pouvaient alors se présenter :
→ soit le directeur général de l’OFPRA faisait droit à la demande d’asile et accordait le bénéfice d’une protection (statut de réfugié ou protection subsidiaire), avec en conséquence la fin de la rétention et une invitation de l’intéressé à se rendre en préfecture pour y accomplir les formalités en vue de la délivrance d’un titre de séjour ;
→ soit il rejetait la demande d’asile et la mesure d’éloignement pouvait alors être exécutée, sauf recours devant le tribunal administratif ;
→ soit il signalait au préfet la demande d’asile en indiquant qu’elle ne paraît pas manifestement infondée et qu’elle nécessite, de ce fait, un examen plus approfondi. Dans ce cas, le préfet devait mettre fin à la rétention et pouvait délivrer un sauf-conduit pour permettre à l’intéressé d’accomplir les formalités qui lui incombent en tant que demandeur d’asile, sa requête étant alors instruite, selon ses caractéristiques, en procédure normale ou prioritaire.
Autrement dit, le problème était le suivant : avec sa note du 5 décembre 2013, le ministère de l’Intérieur prévoyait que les étrangers placés en rétention en vue de leur éloignement et présentant une demande d’asile postérieurement à leur placement étaient maintenus en rétention et automatiquement placés en procédure prioritaire, sans que le préfet ait préalablement pu porter une quelconque appréciation sur leur situation individuelle. Et ce n’était qu’après un premier examen par l’OFPRA de la demande d’asile dans un délai de 96 heures, et uniquement dans l’hypothèse où l’office avait signalé au préfet qu’une demande nécessitait un examen plus approfondi, que ce dernier était invité à mettre fin à la mesure de rétention, le candidat à l’asile pouvant alors présenter une demande d’admission provisoire au séjour. Ce qui permettait ainsi de bénéficier, enfin, d’une appréciation approfondie pour déterminer la procédure selon laquelle sa demande devait être examinée.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle deux exigences qui découlent directement du droit de l’Union européenne et auxquelles la note du ministère de l’Intérieur ne répond pas.
Tout d’abord, le fait d’être l’objet de mesures d’éloignement et de rétention n’est pas à lui seul un motif pour considérer la demande comme un recours abusif. Le préfet doit donc examiner au cas par cas s’il admet au séjour ou non. Par ailleurs, même dans le cas où une demande d’asile se révèle être un recours abusif, le préfet doit examiner au cas par cas la possibilité de maintenir en rétention le demandeur en vérifiant si ce placement est proportionné et nécessaire au regard des risques de voir l’intéressé se soustraire définitivement à son retour.
La Haute Juridiction insiste donc sur l’obligation pour le préfet de procéder à l’examen des demandes d’asile en rétention, là où la note du ministère de l’Intérieur a préféré appliquer systématiquement la procédure prioritaire en rétention et confier à l’OFPRA – établissement public qui n’est pas au nombre des services placés sous l’autorité de la Place Beauvau – l’examen individuel de ces situations. Ce, alors qu’en vertu des textes qui le régissent, il n’appartient pas à l’office de contribuer à la détermination de la procédure selon laquelle les demandes d’asile doivent être instruites.
Ainsi, non seulement le dispositif transitoire mis en place par la note n’était pas conforme aux exigences du droit européen rappelées ci-dessus mais, en plus, le ministre de l’Intérieur n’était pas compétent pour l’édicter. D’où l’annulation de la note par le Conseil d’Etat.
Cette annulation, précisent les sages, impose aux services placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, dans l’attente d’une prochaine réforme, de « procéder au cas par cas à un examen préalable des demandes d’asile présentées par des personnes placées en rétention administrative afin de déterminer la procédure d’instruction qu’elles appellent ainsi que la nécessité du maintien en rétention de ces personnes ». Autrement dit, les préfectures doivent désormais nécessairement se livrer à un premier examen de fond des demandes d’asile en rétention pour les orienter vers une procédure normale ou une procédure prioritaire.
Le Conseil d’Etat s’est également arrêté sur l’article L. 551-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), mentionné dans la note du ministère de l’Intérieur. Selon cet article, le directeur général de l’OFPRA peut refuser d’enregistrer une demande de protection déposée par un étranger qui présente ou complète sa demande d’asile après l’expiration du délai de 5 jours qui lui est imparti à compter de la notification de ses droits.
Pour le Conseil d’Etat, ces dispositions ne sont pas contraires aux exigences européennes… mais ne doivent pas s’appliquer indistinctement aux personnes placées en rétention sauf à méconnaître, « eu égard à l’extrême brièveté des délais en cause », le droit au recours effectif. Cette interprétation se déduit à la fois de la gravité des effets qui s’attachent, pour des étrangers retenus, au refus d’enregistrement de la demande d’asile mais aussi des exigences découlant du droit européen. Ainsi, pour les sages, l’OFPRA ne doit pas tenir compte du délai de 5 jours prévu à l’article L. 551-3 du Ceseda « dans certains cas particuliers ». Et la Haute Juridiction donne un exemple : tel est le cas lorsqu’une personne invoque des faits survenus après l’expiration de ce délai ou qui n’a pas pu présenter une demande d’asile faute d’avoir bénéficié d’une assistance juridique et linguistique effective.
Le projet de loi relatif à la réforme de l’asile, dont le parcours parlementaire devrait débuter le 9 décembre prochain à l’Assemblée nationale, maintient le principe selon lequel, en cas de demande d’asile présentée en rétention, la demande doit être présentée dans un délai de 5 jours à compter de la notification des droits susceptibles d’être exercés en matière de demande d’asile. « Cette disposition est essentielle pour éviter des demandes d’asile tardives présentées en cours ou en fin de rétention pour faire échec à une mesure d’éloignement », explique le gouvernement dans l’étude d’impact du texte.
Parallèlement, le projet de loi supprime le caractère automatique du maintien en rétention du demandeur d’asile et du classement en procédure accélérée de l’examen de sa demande, qui ont été condamnés par la Cour de justice de l’Union européenne et par la Cour européenne des droits de l’Homme.
Plus précisément, le texte prévoit que le préfet peut décider de maintenir en rétention le demandeur s’il estime que sa demande d’asile est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la décision d’éloignement. Cette demande d’asile devrait alors être examinée par l’OFPRA selon une procédure accélérée… mais l’office aurait la possibilité, au vu des circonstances de l’espèce, de la reclasser en procédure normale(5).
En cas de décision négative de l’OFPRA, l’intéressé devrait avoir la possibilité de former un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) contre cette décision et de saisir le juge administratif, par la voie d’un recours suspensif exercé dans des délais courts, afin qu’il ordonne à l’administration, s’il juge que la demande n’est pas dilatoire, d’autoriser le demandeur à se maintenir en France jusqu’à la décision de la CNDA. Ce qui entraînera la fin de la rétention.
Un nouveau régime de privation de libertés applicable aux ressortissants étrangers est entré en vigueur le 1er janvier 2013 : la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour. Comme son nom l’indique, elle permet aux forces de l’ordre de retenir un étranger le temps nécessaire à la détermination de son droit au séjour sur le territoire français(6). En l’occurrence, la retenue ne peut excéder 16 heures – durée non renouvelable – « à compter du début du contrôle ». C’est l’article L. 611-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui fixe son cadre juridique. Une jurisprudence se développe autour de cette jeune mesure de police administrative.
Un étranger dont l’irrégularité de séjour est établie au moment d’un contrôle d’identité peut être retenu par les forces de l’ordre dans l’attente de la décision du préfet, sans bénéficier du régime protecteur de la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour prévu à l’article L. 611-1-1 du Ceseda. C’est ce qui ressort de l’arrêt rendu le 28 mai 2014 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 28 mai 2014, n° 13-50034).
Dans cette affaire, un ressortissant libyen avait, à l’occasion d’un contrôle d’identité effectué à 15 h 15, reconnu être en situation irrégulière puis avait été conduit au poste dans l’attente d’une décision du préfet sur son cas. Maintenu ainsi sous la contrainte pendant plus de 2 heures, il s’était finalement vu notifier à 17 h 20, par le truchement d’un interprète en langue arabe, un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français ainsi qu’une décision de placement dans un centre de rétention.
Contestée par l’intéressé, la procédure ayant précédé immédiatement le placement en rétention avait, dans un premier temps, été jugée irrégulière par la cour d’appel de Paris, qui avait ainsi mis fin à la rétention. A ses yeux, dès lors que la décision de conduite au poste de police avait été prise, celle du placement en retenue en avait découlé automatiquement en application de l’article L. 611-1-1 du Ceseda. L’intéressé aurait donc dû bénéficier du régime protecteur de cet article durant les deux heures passées au poste de police. Ce qui n’a pas été le cas.
En statuant ainsi, le juge d’appel a, pour la Cour de cassation, fait une mauvaise application de la loi. La Haute Juridiction considère en effet que l’intéressé n’entrait pas dans le champ de l’article L. 611-1-1 du Ceseda. En effet, « c’est seulement pour les nécessités d’une vérification du droit de circulation ou de séjour sur le territoire français que [cette disposition] prévoit qu’un officier de police judiciaire peut placer une personne en retenue ». Constatant que l’intéressé avait, dès son interpellation, reconnu être en situation irrégulière en France, aucune vérification n’était, dès lors, nécessaire. Les services de police n’étaient donc pas tenus de le placer en retenue.
Si la retenue pour vérification du droit au séjour ne doit pas dépasser le délai légal de 16 heures, elle n’impose toutefois pas d’effectuer durant tout ce temps des diligences de façon continue. C’est ce qu’a décidé le 2 avril dernier la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 2 avril 2014, n° 13-14.822).
Dans cette affaire, une femme de nationalité ivoirienne, en situation irrégulière en France, avait été placée en retenue pour vérification du droit au séjour le 21 janvier 2013 à 16 h 50. Plusieurs heures s’étaient écoulées avant que, le 22 janvier à 8 h 15, un arrêté portant obligation de quitter le territoire national assorti d’un autre arrêté désignant la Côte d’Ivoire comme pays de renvoi lui soient notifiés par le préfet. Le même jour, à 8 h 20, elle avait ensuite été placée en rétention administrative. Un tel placement ne peut toutefois pas conduire à une privation de liberté de plus de 48 heures. Au-delà, le préfet doit adresser au juge des libertés et de la détention une demande de prolongation de la rétention. En l’espèce, le délai de 48 heures ayant été dépassé, une prolongation avait été demandée. Mais, dans une décision du 26 janvier, le juge des libertés l’avait refusée.
Appelé à statuer sur la question, et donc à vérifier que l’ensemble des procédures avaient bien été respectées, la cour d’appel de Pau a, le 29 janvier 2013, confirmé ce refus, retenant qu’« aucune diligence » n’avait été effectuée lors de la retenue entre le 21 janvier 2013 à 20 h 10 et le lendemain matin à 8 h 15. Or, pour elle, « les diligences effectuées pendant [la] retenue doivent nécessairement être faites de façon continue ». Mais la Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement, au point de casser et d’annuler son ordonnance. Selon les Hauts Magistrats, en statuant comme elle l’a fait alors que la retenue n’avait pas dépassé le délai légal de 16 heures, la cour d’appel a ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas.
En clair, si la retenue ne doit pas dépasser le délai légal de 16 heures, elle n’impose toutefois pas d’effectuer durant tout ce temps des diligences de façon continue.
Le droit, pour l’étranger faisant l’objet d’une procédure de retenue pour vérification de son droit au séjour, de prévenir « à tout moment » sa famille ou toute personne de son choix n’impose pas des diligences immédiates mais implique seulement qu’il puisse être mis en œuvre dans un délai « raisonnable ». Tel est le sens de l’arrêt rendu, le 30 avril dernier, par la Cour de cassation (Cass. civ., 30 avril 2014, n° 13-50055).
Dans cette affaire, une femme de nationalité arménienne avait été retenue par les autorités policières afin de vérifier son droit au séjour. Comme toute autre personne visée par cette procédure, elle disposait notamment du droit de prévenir sa famille et toute personne de son choix à « tout moment », garanti par l’article L. 611-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile… sans précision, toutefois, sur un éventuel délai pour l’accomplissement de cette prescription.
Elle avait été informée de ses droits à 16 h 50 et avait alors indiqué vouloir contacter son mari. Les fonctionnaires de la police aux frontières ne l’avaient cependant mis en mesure de lui téléphoner qu’à 17 h 30, soit 50 minutes plus tard. Par la suite, elle avait été placée en rétention.
Estimant irrégulière la procédure de retenue ayant précédé immédiatement le placement en rétention, l’intéressée avait alors saisi, avec succès, la cour d’appel de Rennes. Pour la juridiction, en effet, la procédure avait bel et bien été irrégulière dans la mesure où il n’apparaissait pas que l’intéressée s’était volontairement abstenue d’appeler son mari immédiatement ni que des circonstances insurmontables avaient empêché qu’elle puisse le faire. La requérante n’avait donc pas été mise en mesure d’exercer effectivement un droit qui lui était garanti par la loi : celui de prévenir « à tout moment » sa famille.
Saisie à son tour, la Cour de cassation a exprimé un tout autre avis, substituant au passage la notion de « délai raisonnable » à celle de « tout moment »: le droit pour l’étranger retenu de prévenir à tout moment sa famille ou toute personne de son choix n’impose pas de diligence immédiate dès lors que l’exercice de ce droit est mis en œuvre dans un délai « raisonnable ». Une manière d’accorder une certaine souplesse aux forces de l’ordre dans la mise en œuvre de la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour.
La « mendicité agressive » d’un ressortissant communautaire entré en France depuis moins de 3 mois peut-elle constituer une menace qui touche aux intérêts fondamentaux de la société, justifiant ainsi une mesure d’éloignement ? Dans certaines circonstances, oui, a répondu le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er octobre dernier (Conseil d’Etat, 1er octobre 2014, n° 365054).
Dans cette affaire, la Haute Juridiction examinait un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, qui avait refusé d’annuler l’expulsion d’une Rom roumaine. Cette femme, qui vivait dans un campement de Seine-Saint-Denis, avait été interpellée avec dix autres et placée en garde à vue pour avoir réclamé de l’argent avec la fausse documentation d’une association caritative. Au vu de cette « escroquerie à la charité publique », le préfet avait pris contre elle un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français.
Il résulte en effet de l’article L. 511-3-1 du Ceseda – qui concerne les ressortissants d’un Etat membre qui ne sont pas entrés en France depuis plus de 3 mois – que le préfet peut, par décision motivée, obliger un ressortissant communautaire ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu’il constate que son comportement personnel constitue une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française ». A charge pour lui, précise le Conseil d’Etat, de ne pas se fonder uniquement sur la présence d’une infraction à la loi mais d’examiner, d’après l’ensemble des circonstances de l’affaire, si la présence de l’intéressé sur le territoire français représente bien une telle menace. Des conditions appréciées en fonction de sa situation individuelle et notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit dans son appréciation de la légalité de la décision du préfet et, notamment, de son caractère proportionné. La Haute Juridiction a en effet considéré que les juges d’appel ont bien tenu compte de l’ensemble des circonstances relatives à la situation de la requérante, en particulier de sa situation familiale et de son intégration sociale en France. Ils ont ainsi notamment relevé que la requérante ne contestait pas les faits, qu’elle était en France depuis moins de 3 mois, « qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de subsistance que la mendicité » et que, bien que mère de quatre enfants, « l’un d’entre eux seulement était à sa charge ».
En outre, en déduisant de l’ensemble de ces éléments que la présence de la requérante constituait une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour la sécurité publique »(7) – qui constitue un intérêt fondamental de la société française –, la cour administrative d’appel n’a pas non plus, pour les sages, inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.
Le droit des ressortissants d’un Etat tiers en situation irrégulière d’être entendus avant un éloignement – garanti par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – est-il respecté dans le cas où une obligation de quitter le territoire français a été prise concomitamment au refus de délivrance d’un titre de séjour ? Le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative le 4 juin 2014 (Conseil d’Etat, 4 juin 2014, n° 370515).
Dans son arrêt, la Haute Juridiction indique, en premier lieu, que le droit d’être entendu implique que le préfet, avant de prendre à l’encontre d’un étranger une décision portant OQTF, mette l’intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, à sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu’il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu’elle n’intervienne.
Or, dans le cas où la décision d’éloignement a été prise concomitamment au refus de délivrance d’un titre de séjour, « l’OQTF découle nécessairement du refus de titre de séjour ». Ainsi, pour le Conseil d’Etat, si l’intéressé a pu être entendu avant que n’intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour, l’administration n’a pas l’obligation de le mettre à même de présenter ses observations « de façon spécifique » sur la décision l’obligeant à quitter le territoire français. Autrement dit, dans une telle hypothèse, l’étranger est réputé avoir déjà été entendu lors de sa demande de titre de séjour.
Quid si le préfet n’a pas expressément informé l’étranger que, en cas de rejet de sa demande de titre de séjour, il serait susceptible d’être contraint de quitter le territoire français et ne l’a pas invité à formuler ses observations sur cette éventualité ? Cette seule circonstance prive-t-elle l’intéressé de son droit à être entendu ? Non, répond le Conseil d’Etat. Car l’étranger qui sollicite la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour est réputé avoir présenté ses observations sans ignorer que, en cas de refus, il pourrait être éloigné, explique-t-il. A l’occasion du dépôt de sa demande – réalisée en principe personnellement en préfecture –, l’intéressé « est conduit à préciser à l’administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande ». Il lui appartient en outre « d’apporter à l’administration toutes les précisions qu’il juge utiles ». Par ailleurs, l’étranger peut toujours, au cours de l’instruction de sa demande, « faire valoir auprès de l’administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d’éléments nouveaux ».
Pour le Conseil d’Etat, le droit de l’intéressé d’être entendu est ainsi satisfait avant que n’intervienne le refus de titre de séjour. Et l’autorité administrative n’a pas à le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l’OQTF qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour.
( A noter ) Le 5 novembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a, dans une affaire opposant une ressortissante rwandaise à l’Etat français, livré une analyse qui colle avec celle du Conseil d’Etat : « étant donné que l’adoption d’une décision de retour découle nécessairement de celle constatant le caractère irrégulier du séjour de l’intéressé, les autorités nationales, lorsqu’elles envisagent d’adopter dans le même temps une décision constatant le séjour irrégulier et une décision de retour, ne doivent pas nécessairement entendre l’intéressé spécifiquement sur la décision de retour, dès lors que ce dernier a eu la possibilité de présenter […] son point de vue sur l’irrégularité de son séjour et sur les motifs pouvant justifier, en vertu du droit national, que les autorités s’abstiennent de prendre une décision de retour » (CJUE, 5 novembre 2014, affaire C-166/13, disponible sur
Conformément aux dispositions de l’article L. 742-6 du Ceseda, une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne peut être mise à exécution après le rejet d’une demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides qu’à l’encontre d’un étranger à qui l’admission au séjour a été refusée pour des raisons précises. Et notamment lorsque sa demande repose sur une fraude délibérée, constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement. Le cas échéant, a précisé le Conseil d’Etat le 25 juin dernier, le juge saisi d’un recours contre l’OQTF doit s’assurer que la situation de l’étranger correspond à l’une de ces hypothèses (Conseil d’Etat, 25 juin 2014, n° 349241).
Dans cette affaire, un étranger de nationalité russe et d’origine tchétchène était entré irrégulièrement en France en novembre 2007. Il avait par la suite fait l’objet d’un arrêté du préfet ordonnant sa remise aux autorités polonaises (au motif qu’il avait antérieurement formulé une demande d’asile dans ce pays). Mais, cette décision n’ayant pu être exécutée, le préfet avait opposé à l’intéressé un refus d’admission provisoire au séjour sur le fondement du 4° de l’article L. 741-4 du Ceseda – qui vise les cas de demandes frauduleuses, abusives ou dilatoires – et avait parallèlement transmis sa demande d’asile, selon la procédure prioritaire, à l’OFPRA… lequel l’avait rejetée. L’intéressé avait alors introduit un recours devant la CNDA. Dans le même temps, consécutivement à la décision de l’OFPRA, le préfet avait, par arrêté, rejeté la demande de titre de séjour de l’étranger et lui avait ordonné de quitter le territoire français dans un délai de un mois. Mais l’arrêté avait ensuite été annulé par un tribunal administratif et la cour administrative d’appel avait confirmé ce jugement. Contestant cette dernière décision, le ministère de l’Intérieur a saisi le Conseil d’Etat, qui a rejeté son pourvoi.
Dans son arrêt, la Haute Juridiction commence par rappeler qu’une mesure d’éloignement ne peut être mise à exécution après la décision de l’OFPRA rejetant une demande d’asile qu’à l’encontre de l’étranger entrant dans un champ d’application bien précis : celui qui est prévu du 2° au 4° de l’article L. 741-4 du Ceseda (en l’espèce, seul le 4° était concerné). De ce fait, indiquent les sages, il incombe au juge saisi de la contestation de la légalité de l’OQTF délivrée après la décision de l’office fondée sur le 4° de cet article de s’assurer que l’étranger entre bien dans le cas visé par cette disposition. S’il estime que ce n’est pas le cas – autrement dit s’il considère que la demande d’asile n’est ni frauduleuse, ni abusive ou ni dilatoire –, et même si l’intéressé n’a pas été admis à séjourner en France, cet étranger ne peut pas faire l’objet d’une OQTF avant la décision de la Cour nationale du droit d’asile.
Le respect de l’article L. 741-4 du Ceseda constitue donc une condition de la légalité de l’OQTF prise en conséquence du refus initial d’admission au séjour.
En l’espèce, la cour administrative d’appel avait relevé que, en dépit de la décision par laquelle le préfet avait refusé d’admettre au séjour l’intéressé, ce dernier ne relevait pas du 4° de l’article L. 741-4 du Ceseda. Il avait certes déposé plusieurs demandes d’asile mais, pour la cour, cette pluralité n’était pas, dans cette affaire, constitutive d’une demande abusive. La juridiction n’avait donc pas commis d’erreur de droit en estimant que l’OQTF était privée de base légale.
Asile en rétention. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides ne doit pas toujours tenir compte du délai légal de 5 jours imparti à un étranger placé en rétention administrative pour déposer ou compléter une demande d’asile.
Retenue pour vérification du droit au séjour. Un étranger dont l’irrégularité du séjour est établie au moment d’un contrôle d’identité peut être retenu par les forces de l’ordre dans l’attente de la décision du préfet, sans bénéficier du régime protecteur de la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour.
Audition avant un éloignement. Le droit, pour un étranger clandestin, d’être entendu avant un éloignement est réputé respecté dans le cas d’une obligation de quitter le territoire français prise concomitamment au refus de délivrance d’un titre de séjour.
(1) Voir ASH n° 2872 du 29-08-14, p. 5.
(2) Voir ASH n° 2872 du 29-08-14, p. 57.
(3) Voir ASH n° 2844 du 24-01-14, p. 64.
(4) Toutes les décisions de justice citées dans ce dossier sont consultables sur
(5) Il pourrait donc interférer dans le choix de la procédure, contrairement à ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 30 juillet.
(6) Voir ASH n° 2808 du 3-05-13, p. 39.
(7) On notera que cette formulation a été reprise dans la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme du 13 novembre 2014, qui crée une interdiction administrative du territoire visant les ressortissants communautaires qui ne résident pas habituellement en France, ne se trouvent pas sur le territoire national… et représentent néanmoins une menace pour l’ordre et la sécurité publics – Voir ASH n° 2883 du 14-11-14, p. 37.