Vers l’oméga du Nord

Alpha est l’un de ces milliers d’Africains qui, un jour, ont décidé de se lancer dans un voyage sans retour vers l’Europe. Il veut rejoindre sa femme et son fils, partis à Paris – à gare du Nord, plus précisément. Il n’a pas eu de nouvelles d’eux depuis qu’ils ont suivi leur passeur. Il y a six mois de cela. « Tu ne sais jamais ce que te réserve le voyage, dit-il. Mais tu peux être sûr de ce qui t’attend si tu ne pars pas. Rien. » Alors cet Ivoirien prend la même route, conscient qu’elle risque d’être longue. Car, pour lui, il ne suffit pas d’acheter un billet d’avion. Il lui faudra traverser le Mali, l’Algérie et le Maroc, dans une antique Lada Niva surchargée, dans des bus sans âge ou à pied, sur des routes désertiques, à travers des camps de refugiés – avec, parfois, des balles qui sifflent au-dessus de sa tête. Même si son périple fait 6 000 kilomètres et dure dix-huit mois, il garde son cap : la gare du Nord. Cette histoire classique est racontée dans une BD au format original et à l’écriture poignante. Dans Alpha, il n’y a que deux dessins par page, des instantanés au feutre ou à la gouache, qui dépeignent précisément les chemins poussiéreux et la dureté de l’épreuve. Ce type de découpage fait de l’album un semblant de carnet de voyage, comme écrit sur la route, avec un tas d’anecdotes plus tristes les unes que les autres, et pourtant contées avec détachement. Le parcours d’Alpha reste le fil conducteur, mais les rencontres qu’il fait sont tout aussi importantes. Hommes, femmes et enfants, tous rêvant d’un ailleurs meilleur, seront des compagnons de route éphémères. Parce qu’ils disparaissent un à un, parce que notre héros d’Abidjan ne sera jamais au bout de ses peines, parce qu’il montre la détresse de ces personnes qui fuient leur pays, Alpha est un récit-choc. Pourtant, les auteurs, Bessora et Barroux, disent ne rien vouloir dénoncer : « C’est une histoire simple. Celle d’un homme qui se met en marche. Une aventure moderne et contemporaine. »