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La loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes : une occasion manquée de penser le secret professionnel ?

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Depuis quelques années, le secret professionnel prend plutôt, pour les travailleurs sociaux, des allures de citadelle assiégée. Or ce sujet est revenu de manière très discrète et inattendue dans la loi du 4 août dernier pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, dans ses dispositions relatives à la protection despersonnes victimes de violences. En quelques lignes, la loi étend le secret professionnel à toute une catégorie de salariés du secteur social, alors qu’actuellement les travailleurs sociaux y sont soumis par un texte soit en raison de leur profession (les assistants sociaux, les agents de la protection judiciaire de la jeunesse), soit par fonction ou mission (l’aide sociale à l’enfance notamment). La nouvelle loi prévoit que « les personnels des centres d’hébergement et de réinsertion sociale sont tenus au secret professionnel dans les conditions prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Et que, par dérogation à l’article 226-13, « ils peuvent échanger entre eux les informations confidentielles dont ils disposent et qui sont strictement nécessaires à la prise de décision ».

Conséquences paradoxales

Le secret professionnel arrive donc en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) « dans de drôles de conditions et avec des conséquences paradoxales », s’étonne Laurent Puech, ancien président de l’Association nationale des assistants de service social (ANAS) etfondateur du site Secretpro.fr, qui publie une analyse de cette nouveauté législative. Dans son rapport rédigé au nom de la commission des lois, le député Sébastien Dénaja explique que la version adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale accordait aux CHRS et à leurs personnels « une immunité pénale pour les délits d’atteinte à l’exercice de l’autorité parentale », afin de protéger ces établissements contre les poursuites pour complicité de non-présentation d’enfant, « afin de garantir l’anonymat des personnes qui y sont accueillies et de réduire le risque de renouvellement de violences ». Pendant les débats, une affaire jugée en 2007 par le tribunal de Dunkerque, qui n’avait finalement pas condamné le centre d’accueil mis en cause, avait été citée en exemple. Mais par crainte que la mesure soit retoquée par le Conseil constitutionnel, la commission des lois du Sénat a préféré un « amendement de rédaction globale » modifiant le code de l’action sociale et des familles pour soumettre les personnels des CHRS au secret professionnel.

Dans ce contexte, « la question du secret professionnel a été très peu pensée, estime Laurent Puech. Elle a surgi comme une solution à une inquiétude peu fondée, sans réflexion sur ses conséquences. En voulant protéger des professionnels de poursuites, au contraire on les expose à un risque de violation du secret professionnel ! » Une infraction pénale passible de un an de prison et de 15 000 € d’amende. Sans compter que ne sont pas seulement concernés les travailleurs sociaux. L’analyse publiée sur Secretpro.fr insiste sur les tensions potentiellement créées par cette disposition. « En matière pénale, la responsabilité est individuelle. Ce n’est pas le CHRS en tant que personne morale qui assumera la responsabilité de la violation commise par le professionnel. Ainsi, demain, un partage d’information avec un tiers externe par le professionnel est potentiellementpassible de poursuites. Lorsque l’on sait le nombre d’acteurs avec lesquels les équipes de CHRS travaillent autour des situations des personnes accueillies, cette question n’est pas anodine. » Autre interrogation : « Comment travailler avec le père d’enfants qui sont accueillis avec leur mère au sein du CHRS ? Va-t-il falloir “blinder” les informations au point que la communication avec lui, pourtantparfois pertinente dans l’intérêt des enfants et même de la personne accueillie, en devienne impossible ? » Pour l’ancien président de l’ANAS, « passer d’uneculture construite sur les notions de discrétion et de confidentialité à celle del’information à caractère secret » implique a minima de « réinterroger les traditions et habitudes », ce qui devrait impliquer des formations pour tous les travailleurs sociaux et agents, dont les veilleurs de nuit par exemple.

« C’est un nouveau cas d’application du secret professionnel par mission, la distinction entre professions ne correspondant plus à la forme actuelle du travail social », relève quant à lui Jean-Marie Lhuillier, professeur à l’Ecole des hautes études en santé publique(1). Mais l’autre nouveauté de la loi, ajoute-t-il, est « d’introduire un nouveau cas de secret partagé », jusqu’ici limité à des cas très précis, comme dans les champs de la protection de l’enfance et de la prévention de la délinquance. « Cela devrait obliger à dire à l’usager que les informations le concernant peuvent être échangées avec d’autres personnels de l’établissement si nécessaire. »

Un signal trompeur

Reste que, poursuit Laurent Puech, le législateur autorise l’échange d’« informations confidentielles » par dérogation au code pénal, au lieu d’utiliser l’expression d’« information à caractère secret ». Résultat, il « lance un signal trompeur aux équipes : rien de changé par le secret professionnel puisque les informations ont le même statut – “confidentiel” – qu’auparavant ! » Autre effet pervers, selon lui : « Plus on est de personnes soumises au secret professionnel, moins on respecte l’idée d’un espace de maîtrise de l’information qui respecte l’intime. En étendant le secret professionnel, on le dilue et l’affaiblit. » Ce qui ne doit pas empêcher les professionnels de se saisir de « cette occasion manquée de penser la circulation des informations », notamment lorsqu’ils font face à des pressions administratives sur la transmission de l’identité et de la situation des personnes accueillies au regard du droit au séjour…

Pourtant favorable à l’extension du secret professionnel à tous les travailleurs sociaux, l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés « aurait aimé qu’il y ait une réflexion de fond sur la protection de l’usager », réagit Jean-Marie Vauchez, son président.

Notes

(1) Auteur du numéro juridique des ASH sur « Le secret professionnel des acteurs du travail social » – Juin 2014.

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