Alors que le projet de loi relatif à la réforme de l’asile(1) doit être discuté dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à partir du 9 décembre, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), saisie par le ministre de l’Intérieur, a adopté, le 20 novembre, son avis sur ce texte(2). Le même jour, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH) diffusait un avis sur ce projet de loi « afin que soit prise en compte la proportion de plus en plus importante de femmes demandeuses d’asile et les spécificités que cela implique »(3). Tandis que la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, s’appuyant sur les travaux du HCEFH, adoptait un rapport d’information dans lequel elle recommande aussi d’améliorer, dans le projet de loi, la situation des femmes et des jeunes filles(4).
Dans son avis très détaillé, la CNCDH considère que le projet de loi doit « être amélioré dans le sens d’une meilleure garantie des droits et libertés fondamentaux ». Elle se montre aussi « très préoccupée par la complexification croissante de la législation » en la matière, dont il résulte « un droit extrêmement touffu et peu lisible » auquel rares sont ceux qui peuvent accéder, « et certainement pas les principaux intéressés ». Elle en recommande donc « l’urgente simplification ».
De manière générale, l’instance consultative réaffirme la nécessité d’assurer aux demandeurs d’asile – à ne pas confondre, insiste-t-elle d’ailleurs, avec les candidats à l’immigration, les deux domaines devant être clairement distingués – l’accès à des droits « concrets et effectifs », qu’il s’agisse de la procédure d’asile elle-même, du traitement équitable de leur demande, des conditions matérielles de leur accueil ou, enfin, de la prise en compte de leur état de vulnérabilité. A cet égard, elle préconise de consacrer dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) la définition donnée par le Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés « des motifs de crainte de persécution tenant à l’appartenance à un certain groupe social ».
Faciliter la domiciliation des demandeurs d’asile, enregistrer leur demande dans un délai de trois jours et supprimer, ou au moins simplifier à l’extrême, le préalable du passage en préfecture font partie des nombreuses recommandations de la CNCDH, qui visent aussi à confier à une autorité indépendante l’ensemble des questions relatives à l’accès au territoire français des demandeurs d’asile et à la décision de leur octroyer une protection internationale.
La CNCDH suggère en outre de reconnaître à toutes les personnes qui sollicitent une telle protection « un véritable droit au séjour sur le territoire français pendant la durée de la procédure d’asile ». Durée variable selon le caractère accéléré ou non de la procédure. A ce propos, elle recommande d’entourer la procédure accélérée « de davantage de garanties » et de permettre à la Cour nationale du droit d’asile de l’annuler en cas de vice de procédure, en renvoyant l’examen de la demande devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Elle demande aussi l’interdiction du placement des mineurs isolés étrangers en procédure accélérée, et la révision des motifs d’orientation des demandeurs d’asile vers cette procédure, tout en rappelant « sa ferme opposition à la notion de “pays d’origine sûr” ».
Prônant l’amélioration des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, l’instance réclame notamment la création de nouvelles places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, la réévaluation de l’allocation temporaire d’attente et le renforcement des droits sociaux de ces migrants, en matière d’accès au marché de l’emploi, au régime général de l’assurance maladie et à la couverture maladie universelle complémentaire. Et la commission de rappeler enfin son opposition à « toute privation de liberté pour les mineurs isolés étrangers, ceux-ci ne devant en aucun cas être placés en zone d’attente ou en rétention administrative ».
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes demande, pour sa part, que soient mieux prises en compte les femmes demandeuses d’asile en termes d’accueil et de réponse à leurs besoins. « En 2013, 24 975 femmes ont demandé l’asile », ce qui représente 37,7 % des demandeurs, rapporte-t-il en préambule, en soulignant que, depuis 2008, elles sont « de plus en plus nombreuses à demander le statut de réfugié ». Au final, elles ont été 3 708 à obtenir le statut de réfugié, soit 40 % des personnes reconnues en 2013 (contre 36 % l’année précédente), et 1014 à obtenir la protection subsidiaire, soit 44,4 % des personnes concernées (58 % en 2012).
Cette évolution appelle « une révision des procédures », juge le HCEFH, qui considère qu’elles ne sont « pas encore adaptées aux femmes demandeuses d’asile ni élaborées avec une perspective de genre », ce qui peut conduire certaines de ces femmes ayant subi des persécutions liées à leur sexe dans leur pays d’origine (viols, mutilations génitales, agressions du fait de l’identité ou de l’orientation sexuelle, etc.) à ne pas être « suffisamment accompagnées et protégées dans leur parcours en France ». Or, pour l’instance, « la réforme de l’asile en cours est une occasion à saisir pour la mise en conformité du droit national avec les normes internationales et européennes ».
A cet effet, le Haut Conseil formule sept recommandations et propositions d’amendement qui visent, entre autres, à tenir compte de la dimension du genre et de l’égalité entre les hommes et les femmes à tous les stades de la procédure, du premier récit de la demandeuse d’asile jusqu’aux conditions d’hébergement qui peuvent lui être proposées, comme le préconise aussi la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Cela implique en particulier que les demandeuses d’asile puissent bénéficier d’un entretien individuel, c’est-à-dire sans la présence des enfants ou du conjoint lors du recueil des premiers éléments en préfecture, être accompagnées par un(e) représentant(e) d’association spécialisée sur les violences et les discriminations liées au genre lors de l’entretien à l’OFPRA ou encore choisir le sexe de l’officier qui conduira l’entretien. Le recours à la notion de « pays d’origine sûr » doit être assorti « d’indicateurs ou de critères relatifs à la situation des droits des femmes et des minorités sexuelles », réclame aussi le Haut Conseil. Enfin, il préconise que les autorités publient régulièrement des statistiques sexuées pour améliorer la connaissance du phénomène, et que la formation à cette dimension devienne obligatoire pour tous les agents intervenant au cours de la procédure. Sur ce dernier point, il est encore rejoint par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale.
(2) Disponible sur
(3) Disponible sur
(4) Rapport n° 2379 prochainement disponible sur