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Des petits pas vers l’emploi

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Dans la banlieue de Nantes, un dispositif original vise à soutenir l’insertion socioprofessionnelle de familles au moyen d’une microcrèche, de gardes à domicile et surtout d’un accompagnement individualisé.

Dès 9 heures, Jean-Stanislas Boubanga dépose sa fille Grace à la microcrèche des Castors(1), à Rezé, une commune de la banlieue nantaise. « Savoir ma fille ici me permet d’effectuer toutes mes démarches de recherche d’emploi ou de financement pour ma formation », explique ce père de famille gabonais, qui vit en France régulièrement depuis deux ans. Dans l’espace principal de la crèche, aménagée dans un pavillon individuel au cœur d’un quartier résidentiel, déjà sept enfants – confiés aux soins des deux professionnelles de la petite enfance présentes depuis l’ouverture, à 7 h 30 – babillent, triturent les jouets mis à leur disposition ou dessinent sur une petite table basse.

A l’étage, Sylvie Ségaud, technicienne de l’intervention sociale et familiale (TISF) et chargée d’accompagnement social et professionnel, est au téléphone avec un agent de la maison de l’emploi(2). Elle cherche à savoir si Jean-­Stanislas Boubanga pourrait bénéficier des mesures du plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE). Chômeur et sans diplôme, l’homme a déjà travaillé dans le secteur social. Il espérait pouvoir continuer son parcours en intégrant une formation d’aide médico-psychologique pour laquelle il avait été retenu. Malheureusement, le cursus ne peut être pris en charge par le dispositif d’aide à la formation dont il relève. « Pôle emploi ne m’en a jamais parlé, ils m’ont laissé préparer mon dossier et présenter l’examen d’entrée, s’insurge le père de famille, très remonté. C’est MmeSégaud qui a fait les recherches et réalisé que je ne pourrais pas suivre cette formation sans financement. Evidemment, je ne peux pas la payer moi-même. »

La crèche des Castors, qui a reçu la médaille de la Famille le 30 novembre 2013 des mains de François Hollande, fait partie du dispositif Pas à Pas (parcours et accompagnement spécifique pour un accueil solidaire), créé en 2011 par l’Association nantaise d’aide familiale (ANAF)(3) en vue de répondre aux besoins d’insertion sociale et professionnelle des familles. Ses 12 places en accueil collectif et ­l’accompagnement individuel offert par Sylvie Ségaud sont complétés par l’intervention à domicile d’assistantes maternelles de l’ANAF. Elle permet ainsi de proposer des solutions de garde à la carte pour des pères et des mères en difficulté d’insertion qui souhaitent mettre en œuvre un projet de formation ou de retour à une activité professionnelle.

UN PROJET CONSTRUIT SUR LES BESOINS CONSTATÉS

La genèse du projet remonte à 2007. « De longue date, nos TISF, auxiliaires de vie sociale et assistantes de vie nous faisaient part des besoins constatés dans les familles : horaires de travail décalés ; reprise d’emploi entravée, faute de place en crèche ; assiduité impossible aux actions de formation, personne ne pouvant garder les enfants, etc., résume Patrick Moreels, directeur de l’ANAF. Elles s’impliquaient déjà dans l’accès au droit et l’insertion sociale, mais il fallait faire plus. » En 2009, l’association décide de répondre à un appel à projets du plan « Espoir banlieues » portant sur cette double thématique. Elle conçoit alors le dispositif et le propose aux municipalités de Nantes, de Rezé et d’Orvault, en Loire-Atlantique.

« Quand l’ANAF nous a présenté ce projet, nous avons tout de suite pensé à certaines situations évoquées en commission d’attribution des places en crèche », se souvient Jacqueline Héas, directrice du service petite enfance de la munici­palité. La ville de Rezé a en effet mis en place un guichet unique pour l’accès aux modes de garde et toutes les places sont attribuées par l’intermédiaire d’une commission mensuelle où sont représentées les structures d’accueil, les relais d’assistantes maternelles ainsi que l’élue concernée. « Comme nous ne disposons par ailleurs que de trois structures collectives sur la commune, cette proposition nous a intéressés », poursuit la directrice. Les deux autres communes approchées déclineront la proposition, faute de pérennité du financement. En juillet 2011, Pas à Pas est donc lancé à Rezé avec un cofinancement du Fonds social européen (FSE), sous l’égide d’un comité de pilotage qui réunit le service municipal de la petite enfance, la préfecture, la caisse d’allocations familiales, la protection maternelle et infantile (PMI), la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte)… Au préalable, Sylvie Ségaud, qui travaillait pour l’ANAF depuis 1993 comme aide à domicile, puis comme TISF, avant de compléter en 2011 une formation en accompagnement social et professionnel, a prospecté auprès des partenaires potentiels du projet : travailleurs sociaux, professionnels de la petite enfance ou de l’accompagnement dans l’emploi. « Au passage, précise-t-elle, j’ai ainsi pu recruter auprès de la maison de l’emploi trois familles qui ont été prises en charge dès la première année. » Et 15 autres familles seront orientées en 2011 vers le dispositif : six par le biais du guichet unique petite enfance, quatre par la maison de l’emploi et deux par les assistantes du centre médico-social du quartier.

Les gardes et les interventions à domicile sont tout d’abord mises en place, en attendant qu’un local soit trouvé et aménagé pour la microcrèche. Les familles monoparentales des quartiers du Château, de Ragon et de Pont-Rousseau – classés « politique de la ville » – sont prises en charge en priorité, mais l’accueil est également ouvert aux personnes en couple, notamment lorsqu’elles relèvent des minima sociaux. En collaboration avec le service ressources humaines de l’ANAF et son responsable de secteur, Sylvie Ségaud est aussi en quête de solutions de garde adaptées pour des parents ayant des besoins urgents – embauche en CDD, départ en formation… « Le plus délicat est de trouver des personnes qualifiées (nous exigeons au moins un niveau CAP) qui acceptent de travailler sur des horaires atypiques à domicile, souligne la chargée d’accompagnement. Je me souviens d’une dame qui avait décroché un contrat à durée déterminée dans un centre commercial fermant à 22 heures. Plus récemment, c’était une maman qui devait quitter son domicile à 7 heures du matin pour effectuer un stage, et qui ne le regagnait qu’après 20 heures. Finalement, pour éviter de devoir le réveiller à 6 heures, son fils, scolarisé, était gardé par une voisine durant tout le mois de stage. »

PRÉPARER LE PASSAGE VERS UN DISPOSITIF ORDINAIRE

La microcrèche a finalement ouvert ses portes en mars 2012. Dirigée par Jérémie Batsalle, éducateur de jeunes enfants, elle est animée par cinq professionnelles de la petite enfance, assitantes d’accueil petite enfance ou auxiliaires de puériculture, qui se relaient au cours de la journée. Outre l’accompagnement à la parentalité, comme dans toute structure prenant en charge de jeunes enfants, l’établissement affiche un positionnement social spécifique. « Nous sommes toujours deux au minimum, et même trois en milieu de journée, détaille Claire Loret, l’une des auxiliaires. C’est davantage que dans une crèche ordinaire, mais nous avons affaire à un public spécifique. Certains enfants de 2 ans n’ont jamais quitté leur mère, ni dormi seuls dans un lit, ni entendu quelqu’un s’adresser à eux en français. Certains ne connaissent pas du tout la collectivité ou, au contraire, vivent en clan. Il nous faut nous adapter à ces petits qui ne vivent pas dans le type de structure familiale à laquelle nous sommes habitués, et être plus présents pour les préparer à passer vers une crèche ordinaire ou vers l’école. » Car l’objectif est bien de réorienter dès que possible les familles vers le dispositif ordinaire, même si l’accompagnement à l’insertion professionnelle se poursuit avec Sylvie Ségaud. « Le fort taux de renouvellement de nos prises en charge fait que le groupe change tout le temps et que nous devons apporter une certaine stabilité aux enfants avec des repères, des rituels, souligne Jérémie Batsalle. Ces enfants ne vont rester que le temps d’une formation ou d’un stage, de quelques semaines à quelques mois, ce qui permet à leurs parents de se remettre à flot. Parfois, c’est juste le temps qu’une place en crèche se libère ailleurs. » Le responsable de la microcrèche fait d’ailleurs partie de la commission municipale d’attribution des places de mode de garde. « Nous évoquons ensemble toutes les situations, celles dont nous estimons qu’elles pourraient être prises en charge par le dispositif Pas à Pas et celles qui pourraient réintégrer le dispositif ordinaire », confirme Jacqueline Héas. En outre, l’équipe d’accueil de la crèche est informée chaque mois des ­évolutions notables que connaissent les familles. « Cela nous permet de discuter un peu avec les parents, de leur demander des nouvelles de leur formation, remarque Claire Loret. Mais nous n’avons pas à connaître les détails de leurs difficultés. Notre intérêt est simplement d’avoir quelques éléments sur la vie de famille pour mieux comprendre l’évolution de l’enfant que nous accueillons. »

Sur le plan de l’accompagnement à l’insertion professionnelle, les modalités d’action sont largement ouvertes. « Lors du premier entretien, je dresse un diagnostic et recherche dans l’entourage de la personne l’existence d’autres tra­vailleurs sociaux avec lesquels je peux prendre contact », résume Sylvie Ségaud. L’idée étant de compléter leur action pour éviter les doublons. « Quand c’est possible, je rencontre les référents socioprofessionnels de la personne. Cela nous permet de combiner nos démarches. Une assistante de service social peut se concentrer sur la recherche d’un logement pendant que je m’occupe de trouver un stage. De même, des conseillers emploi peuvent me préciser les forces et les faiblesses sur lesquelles la personne peut travailler avant de se présenter à un entretien de recrutement, voire me recommander les formations qui permettraient d’améliorer un CV par rapport à un objectif professionnel. »

Cependant, la mission de Sylvie Ségaud peut parfois être mal perçue. « Il est arrivé plusieurs fois, lorsque j’accompagnais une personne en rendez-vous auprès d’une institution, qu’on me demande pour qui je me prenais ou qu’on me renvoie que les personnes étaient autonomes et que je n’avais pas à venir avec elles en rendez-vous. » L’accueil n’est heureusement pas toujours aussi glacial et des collaborations productives ont pu se nouer. « Nous travaillons en bonne entente avec la maison de l’emploi, en nous recommandant réciproquement beaucoup de situations, même si nous n’avons pas signé de convention préalable, poursuit la TISF. Mais j’espère que cela se fera prochainement. » Toutes les personnes n’ont pas besoin d’un suivi lourd. Pour certaines, il suffit de leur indiquer les interlocuteurs utiles, de les aiguiller dans le maquis des dispositifs et des aides et, éventuellement, de les accompagner à un premier rendez-vous. Ensuite, elles gèrent leur parcours quasiment seules.

UN « CONTRAT D’ENGAGEMENT RÉCIPROQUE »

Lisa Omorodion arrive à son tour à la crèche avec sa petite Lætitia. Elle aussi a rendez-vous avec Sylvie Ségaud pour faire le point sur sa situation. Cette mère de famille nigériane vit dans l’Hexagone depuis dix ans, mais ne maîtrise pas bien le français. « Ou en êtes-vous avec les cours de français ? articule lentement la chargée d’accompagnement afin de se faire comprendre. Vous n’avez pas de nouvelles de la formation sur laquelle vous êtes positionnée ? » En fond sonore, on entend les cris et les rires des enfants qui s’ébattent au rez-de-chaussée. Pour en savoir davantage sur cette formation, Sylvie Ségaud propose d’appeler le centre d’hébergement et de réinsertion sociale où la petite famille est logée et dont l’assistante de service social a orienté Lisa vers le dispositif Pas à Pas. Elle explique également qu’il pourrait être intéressant pour la jeune mère de participer à un « job dating » qui a lieu dans quelques jours. « Pour l’instant, j’aimerais trouver des missions de femme de ménage ou de femme de chambre, confie celle-ci. Même si, au Nigeria comme ici, j’ai toujours travaillé dans le commerce ou la restauration, je ne possède aucune qualification. »

La plupart des personnes suivies ont des niveaux d’études IV (baccalauréat) ou V (BEP, brevet, CAP…). En fonction de son projet, chacune d’elles est prise en charge sur la base d’un « contrat d’engagement réciproque » de trois mois, renouvelables jusqu’à neuf mois. Reste que la prise en charge d’un parent ne garantit ni une place en crèche, ni une garde à domicile. « Cela prend parfois du temps à s’installer, justifie Sylvie Ségaud. Si nous avons des places disponibles, il arrive que des enfants soient pris en charge en urgence dans la microcrèche. Mais si cela n’est pas le cas, il se peut que j’encourage une maman à aller en formation avec son bébé pour éviter qu’elle rate un cours capital pour son insertion à venir, ou que j’oriente les parents vers les petites annonces du CROUS [centre régional des œuvres universitaires et scolaires] ou du CRIJ [centre régional information jeunesse], si c’est dans leurs possibilités financières. »

En début d’après-midi, Sylvie Ségaud a rendez-vous chez la mère du petit Manelle, suivie depuis mars 2013 sur le plan socio-professionnel au sein de Pas à Pas. Afin que sa mère puisse travailler en CDD dans un service public, l’enfant a d’abord bénéficié d’une garde à domicile. A l’été 2013, il a pu intégrer une crèche municipale pour un an et devait rentrer à l’école en septembre 2014. « Mais il n’est pas propre, explique sa mère. Et puis je n’ai pas envie qu’il aille dans cette société qui n’est pas belle. » Interloquée, mais impassible, la chargée d’accompagnement poursuit l’entretien. La jeune femme explique qu’elle doit s’engager dans un emploi de dame de compagnie à la fin du mois. « Et votre CV, vous l’avez rédigé ? interroge la TISF. Sinon, vous savez que vous pouvez venir le faire avec moi, à la crèche… » Manelle joue à travers la pièce, grimpe sur le canapé. « Oui, en fait, c’est dur le monde moderne », répond la jeune femme avec un sourire épanoui qui tranche avec sa remarque. « Ce truc-là, je n’aime pas trop y toucher, poursuit-elle en pointant le doigt vers un écran d’ordinateur posé sur une desserte dans un coin du salon. Et puis il y a des traders qui me poursuivent… Ils ont mes arriérés de compte. » Intriguée, la chargée d’accompagnement l’observe quand elle lui apprend qu’elle sort tout juste d’une ­hospitalisation psychiatrique de deux semaines. « Mais ça va bien maintenant, j’ai mon traitement », tente de rassurer la jeune mère.

Une trentaine de minutes plus tard, Sylvie Ségaud prend congé en promettant de rappeler bientôt. De retour à la crèche, elle informe Jérôme Batsalle de la situation, lequel se charge de prendre contact avec la PMI. « En tant que professionnel de la petite enfance, j’ai en charge la santé au sens large des enfants qui sont dans le dispositif. Je dois m’assurer que la PMI qui suit cette maman est au courant et que l’enfant est bien en sécurité avec sa mère, indique-t-il. Au besoin, ils iront au domicile et feront un signalement. Mais, pour l’instant, nous ne savons rien, peut-être ont-ils la situation sous contrôle… »

34 CONTRATS DE TRAVAIL SIGNÉS OU MAINTENUS EN 2013

Après des coups de téléphone à quelques-uns de ses nombreux contacts qui lui permettront peut-être de dénicher, ici une formation, là une offre d’emploi, Sylvie Ségaud repart pour le domicile d’un autre bénéficiaire. Beyene Tantu, père de jumeaux, est arrivé d’Ethiopie il y a environ un an. Son diplôme de vétérinaire n’étant pas reconnu en France, il a décidé de se lancer dans une toute autre activité : créer un service de livraison de plats cuisinés éthiopiens.

Au total, de juillet 2011 à décembre 2013, le dispositif Pas à Pas a permis d’accompagner 70 familles et d’accueillir 88 enfants. Uniquement sur l’année 2013, l’équipe indique avoir pu maintenir ou signer 34 contrats de travail (12 CDI, 16 CDD et 6 CAE), tandis que sept personnes ont pu achever leur formation et huit autres en commencer une… « Nous ne pourrions pas nous en passer, conclut Jacqueline Héas, la directrice du service petite enfance de Rezé. Une deuxième microcrèche comme celle-ci serait même la bienvenue. » Pour l’heure, le budget du dispositif a déjà pu être sécurisé, malgré l’arrêt du financement du FSE au terme de ses trois ans, grâce à deux conventions signées avec l’Etat et la caisse nationale des allocations familiales.

Notes

(1) Microcrèche des Castors : 7, place Renoir, 44400 Rezé – Tél. 02 40 76 40 68.

(2) La maison de l’emploi réunit dans un même site les communes de l’agglomération nantaise, l’Etat, Pôle emploi, le conseil général, le conseil régional et la mission locale.

(3) ANAF : 8, rue Linné – 44100 Nantes – Tél. 02 40 73 73 09.

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