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Le fil qui mène aux droits

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Les intervenantes du point d’accès au droit des jeunes du Val-de-Marne, à Créteil, apportent leur expertise juridique aux moins de 25 ans. Elles appuient également les professionnels du secteur social, notamment en matière de droit des étrangers.

Il est 9 h 30, et le point d’accès au droit des jeunes (PADJ) du Val-de-Marne ouvre ses portes. Aussitôt, le téléphone se met à sonner. Le PADJ est implanté à Créteil, dans un local au deuxième étage en arrière-cour d’un bâtiment(1). Mais c’est avant tout un numéro de téléphone connu de très nombreux professionnels du Val-de-Marne. Ici, il est possible d’appeler pour toute demande juridique concernant les moins de 25 ans vivant, étudiant ou travaillant dans le département. Les problématiques abordées sont variées : logement, droit de la famille, du travail, et surtout droit des étrangers, au cœur d’un grand nombre d’interrogations. En effet, des dizaines de nationalités se côtoient dans le Val-de-Marne qui, comme les autres départements de la petite couronne parisienne, accueille de nombreux mineurs isolés étrangers (MIE).

UN DISPOSITIF PORTÉ PAR LA PJJ ET UNE ASSOCIATION

Pour aider les éducateurs, souvent désarmés face aux situations vécues par les jeunes qu’ils prennent en charge, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) fonde en 1999 le pôle droit jeunesse, en partenariat, à l’époque, avec le service social d’aide aux émigrants (SSAE). En 2007, ce pôle change de nom et devient le point d’accès au droit des jeunes, à la suite de sa labellisation par le conseil départemental de l’accès au droit (CDAD). Celui-ci intègre alors les réseaux des maisons de la justice et du droit (MJD) et des points d’accès au droit du département. Cette labellisation est intervenue à un moment où la PJJ recentrait ses missions sur la prise en charge des mineurs suivis au pénal. « La PJJ participe toutefois toujours aux politiques publiques en faveur de la jeunesse, c’est dans ce cadre qu’elle continue à porter le PADJ », explique Jean-Pierre Vanrossem, directeur du service territorial d’insertion du Val-de-Marne et codirecteur du PADJ. Si elle ne se désengage pas complètement, l’administration a néanmoins cherché une association pour « coporter » le dispositif. Du fait de son expertise, c’est l’Association service social familial migrants (Assfam) qui a d’abord été contactée. Puis, en mars 2010, lui a succédé l’association Justice et Ville, créée pour « faire le lien entre la justice et la société civile ». Elle assure des actions collectives en milieu scolaire, des formations, des stages de citoyenneté, etc.

Actuellement, outre une éducatrice de la PJJ à temps plein, deux juristes sont mises à disposition du PADJ, à 45 % de leur temps, pour des entretiens individuels mais aussi pour des actions collectives en direction de jeunes ou de professionnels. En outre, depuis janvier 2014, une assistante de service social du conseil général du Val-de-Marne intervient à mi-temps au sein du point d’accès au droit. Une mise à disposition qui s’inscrit dans une coopération renforcée avec le conseil général. Spécialisée dans le droit des mineurs, l’Association du barreau du Val-de-Marne pour la protection et la défense des droits de l’enfant tient également une permanence. Une aide précieuse pour l’équipe, notamment pour les dossiers juridiquement les plus complexes. « Les juristes et les intervenantes du PADJ délivrent des informations juridiques, mais ne sont pas habilitées à procurer des conseils. Ceux-ci relèvent des prérogatives des avocats », rappelle Elise Gautier-Bakhoum, directrice de l’association Justice et Ville et codirectrice du PADJ. Les avocats de l’association peuvent ainsi recevoir quatre personnes par mois. Et, si nécessaire, le CDAD peut délivrer des bons-consultations, un rendez-vous est alors donné directement au cabinet d’un avocat. Ces permanences mensuelles n’ont cependant pas pu avoir lieu entre juillet et octobre derniers, en raison de la grève des avocats en faveur de la revalorisation de l’aide juridictionnelle. « Même si nous comprenions parfaitement les raisons de ce conflit, nous avons ressenti cruellement ce manque », regrette Marie-Christine Diaz, l’éducatrice PJJ qui intervient dans le dispositif.

Au local de Créteil, la journée commence toujours par l’écoute du répondeur. Car si la structure n’est ouverte au public que deux jours et demi par semaine(2), le reste du temps, il est toujours possible de laisser un message. « Plusieurs fois dans la journée, nous écoutons le répondeur et rappelons les personnes qui nous ont contactées pour leur proposer éventuellement un rendez-vous », explique Marie-Christine Diaz. L’an dernier, 2 182 messages ont ainsi été laissés et ont donné lieu à un rappel. Tous les appels ne débouchent cependant pas sur un rendez-vous physique. « Nous analysons tout d’abord la situation par téléphone et évaluons s’il est nécessaire de faire se déplacer la personne », précise Emilie Cabon, juriste à l’association Justice et Ville et intervenante au PADJ. Les moyens de transport entre les différentes villes du Val-de-Marne étant peu commodes, l’équipe privilégie les renseignements téléphoniques. « Toutefois, dès qu’il est question de violences, nous rencontrons systématiquement les personnes », ajoute Marie-Christine Diaz.

UNE COMPLÉMENTARITÉ DE COMPÉTENCES

Au sein de l’équipe, les compétences se complètent. Marie-Christine Diaz, même si elle ne se présente jamais aux jeunes sous sa fonction d’éducatrice PJJ, est en première ligne pour les contacts avec la protection judiciaire de la jeunesse. Elle partage aussi sa sensibilité aux questions liées aux droits des femmes. De 2005 à 2010, date de son entrée au PADJ, elle a en effet occupé un poste d’éducatrice à Espace vie adolescence (EVA), une structure de la PJJ située en Seine-Saint-Denis et destinée aux jeunes femmes jusqu’à 21 ans, où elle a travaillé en partenariat étroit avec le Planning familial du 93. Muriel Quévenne, assistante sociale, apporte pour sa part son savoir pour tout ce qui concerne les demandes sociales et les ouvertures de droits. Quant aux deux juristes, elles fournissent leur expertise en droit. Si les compétences de chacune sont spécifiques, il n’est toutefois pas question de spécialisation. Aussi, pour qu’ils ne soient pas contraints à répéter leurs récits, les usagers sont généralement reçus par la professionnelle qui les a eus au téléphone, laquelle n’hésitera pas à partager avec l’équipe ses questions et ses difficultés.

DE NOMBREUSES QUESTIONS SUR LE DROIT DES ÉTRANGERS

Après un premier appel ou une première rencontre, une fiche résumant la situation est rédigée et un dossier est constitué. Pas moins de 753 dossiers ont ainsi été ouverts en 2013. « Cela ne signifie pas que le PADJ a commencé 753 suivis. Beaucoup de demandes d’informations sont ponctuelles », précise Elise Gautier-Bakhoum. Si une seule rencontre suffit parfois, certains suivis peuvent durer plusieurs mois, voire des années, et mêler de nombreuses problématiques (scolarité, titres de séjour, logement, etc.). « Nous écoutons la demande principale, mais pas seulement. Lors des entretiens physiques, d’autres questions peuvent émerger. Les langues se délient forcément plus au second rendez-vous », observe la juriste Emilie Cabon. La qualité de l’écoute est primordiale, et notamment le fait d’oser poser des questions. « Je demande par exemple systématiquement aux jeunes femmes si elles ont des enfants, raconte Marie-Christine Diaz. Un jour, une jeune de 16 ans prise en charge par l’ASE [aide sociale à l’enfance] m’a répondu oui. Son éducatrice s’en est étonnée et lui a demandé pourquoi elle ne lui en avait rien dit. La jeune fille a rétorqué que c’était parce qu’elle ne le lui avait pas demandé. » Cette jeune femme étrangère avait été mariée à 13 ans et avait donné naissance à une petite fille. Puis elle avait fui pour échapper à des violences, avant d’obtenir finalement le statut de réfugiée du fait de son mariage forcé.

S’il est parfois possible de donner immédiatement l’information demandée, très souvent, des recherches sont nécessaires. Les thématiques abordées sont très variées et renvoient à des droits spécifiques. Néanmoins, les questions liées au droit des étrangers se révèlent particulièrement nombreuses : droit au séjour et droit de la nationalité. « A mon arrivée, détaille Emilie Cabon, j’ai suivi plusieurs formations sur le droit des étrangers financées par le CDAD et assurées par le GISTI [Groupe d’information et de soutien des immigrés]. Cela m’a permis de me familiariser avec ce domaine que je n’avais pas étudié. » Marie-Christine Diaz s’est, elle, formée « sur le tas ». « Dans mon travail précédent à EVA, se souvient-elle, j’étais fréquemment confrontée à des problèmes de “papiers” et j’avais dû me plonger dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. » Les intervenantes du PADJ sont ainsi devenues incollables sur les procédures à suivre. « Malheureusement, celles-ci changent très fréquemment », déplore Marie-Christine Diaz. Ce qui explique que de nombreux professionnels se sentent perdus.

Pour un peu plus d’un tiers, les appels émanent de ces derniers : éducateurs de l’ASE, de la PJJ ou d’associations de prévention spécialisée, mais aussi conseillers de mission locale ou personnels de l’Education nationale. Les connaissances juridiques et pratiques des intervenantes du PADJ leur sont précieuses. En ce jour de permanence, une assistante sociale scolaire appelle pour se renseigner sur une démarche de naturalisation : un jeune lycéen, réfugié, souhaite demander la nationalité française à sa majorité. Muriel Quévenne, l’assistante sociale, vérifie le mode de prise de rendez-vous à la préfecture de Créteil. Dans le Val-de-Marne, c’est par Internet. Elle détaille la liste des pièces demandées et alerte la travailleuse sociale sur le risque d’ajournement, du fait de l’absence d’emploi et donc de revenu autonome. Educateur spécialisé à l’association Espoir, qui accompagne des jeunes placés en appartements et accueille fréquemment des mineurs isolés étrangers et des jeunes majeurs, Christian Cots est un utilisateur régulier du PADJ. « Je travaille depuis des années avec Mme Diaz et, avant elle, avec son prédécesseur au pôle droit jeunesse. Nous accompagnons systématiquement au PADJ les jeunes pour monter les dossiers de demande de titre de séjour à leur majorité », explique-t-il.

Le point d’accès au droit est aussi contacté directement par les jeunes, orientés ou non par des professionnels. « Même si cela reste marginal, nous sommes maintenant parfois sollicités directement par mail », note Emilie Cabon. Les statuts du PADJ prévoient une prise en charge jusqu’à 25 ans, mais près de 80 % des personnes qui contactent l’équipe ont moins de 21 ans (dont 38 % entre 16 et 18 ans). « Comme tous les lieux labellisés par le CDAD, nous sommes tenus à des obligations de gratuité, d’anonymat et de volontariat », insiste Marie-Christine Diaz. Un dossier nominatif ne peut donc être communiqué à l’extérieur. Et si l’intervenante qui prend l’appel n’est pas celle qui suit habituellement la situation, elle demande systématiquement à la personne concernée l’autorisation de le consulter. « Quand nous rencontrons un jeune, surtout s’il nous a été adressé par un professionnel, nous insistons systématiquement sur nos principes de fonctionnement », souligne l’éducatrice. « Les jeunes pris en charge par l’ASE ou la PJJ ont autour d’eux une multiplicité d’interlocuteurs, ajoute Muriel Quévenne. Ils peuvent être assez passifs. Certains font des démarches pour faire plaisir à l’éducateur, qui fonctionne comme un substitut parental. Au PADJ, nous n’avons pas la même place. »

Malgré la lourdeur administrative de certaines de ces procédures, les intervenantes font ainsi le pari de rendre les jeunes acteurs. « Quand nous recevons un jeune accompagné de son éducateur dans le cadre d’une démarche d’obtention de titre de séjour ou de nationalité auprès de la préfecture, nous détaillons les preuves de scolarité qu’il doit collecter. Lors du second rendez-vous, il vient le plus souvent seul », poursuit Marie-Christine Diaz. De même, lorsqu’un courrier doit être réalisé dans le cadre d’une demande d’asile ou de séjour, il est systématiquement demandé au jeune d’y réfléchir et de commencer à l’écrire. « Nous faisons avec, pas à la place. » Les intervenantes du dispositif ne rappellent une personne que lorsqu’elles se sont engagées à le faire. « Le PADJ suit mais ne poursuit pas », résume en souriant Muriel Quévenne. « Nous demandons quand même de nous tenir au courant du résultat des démarches, précise Emilie Cabon. C’est agréable quand on nous appelle pour nous dire qu’une naturalisation ou qu’un titre de séjour a été accordé. » Mais, le plus souvent, la reprise de contact après une longue période de silence signifie l’apparition d’une nouvelle problématique…

DERRIÈRE CHAQUE DEMANDE, UNE HISTOIRE DE VIE

Les demandes liées à des problèmes de logement sont aussi très fréquentes. Emilie Cabon reçoit un jeune homme orienté par la mission locale qui se heurte au refus de la préfecture de reconnaître son permis de conduire obtenu au Sénégal, au motif qu’il n’y aurait « pas eu sa résidence normale ». Il a été hébergé chez un de ses oncles à Dakar et scolarisé là-bas de 14 à 20 ans, mais il doit obtenir des preuves de cette résidence (certificat de scolarité, quittance de loyer) pour prouver sa bonne foi. La juriste lui demande de se procurer par Internet les preuves manquantes, mais rédige elle-même le recours gracieux, un document très technique. Un autre jeune homme, longtemps suivi par le PADJ, appelle : après avoir trouvé un emploi, il a fait une demande de chambre en foyer de jeune travailleur (FJT), mais on exige que quelqu’un se porte garant de lui. Ses parents, surendettés, ne peuvent se porter caution. Après un échange avec l’Agence départementale d’information sur le logement (ADIL), Marie-Christine Diaz le rappelle pour l’informer qu’exiger un garant physique est interdit. La garantie Loca-Pass sur le paiement des loyers et des charges locatives suffit.

« Derrière chaque demande de droit se trouve une histoire de vie », souligne Muriel Quévenne. Dans le cadre de leurs entretiens, les intervenantes sont ainsi souvent amenées à orienter les jeunes vers d’autres professionnels. « Il nous arrive de proposer une orientation vers un psychologue ou une association d’aide aux victimes. Dans certains cas exceptionnels, nous réalisons la mise en contact. » Par téléphone ou en rendez-vous, dans ses locaux ou lors de sa permanence dans les MJD, l’équipe du PADJ est en première ligne pour mesurer les conséquences de la précarité sur la jeunesse du département. « Depuis deux ou trois ans, nous observons une augmentation des demandes d’information sur le droit du travail, en vue notamment de saisir le conseil de prud’hommes », relève Emilie Cabon. Autre motif d’inquiétude : le vide social qu’affrontent de nombreux jeunes de moins de 25 ans. « Il est devenu presque impossible d’obtenir un contrat jeune majeur pour quelqu’un qui n’a pas été pris en charge par l’ASE avant sa majorité », s’alarme Marie-Christine Diaz.

Pour sa part, Muriel Quévenne témoigne du sentiment d’impuissance qui l’envahit parfois : « Il est difficile de n’avoir rien à proposer. Tout juste ai-je pu trouver une place d’internat à un jeune renvoyé de chez lui à 18 ans et scolarisé en BTS, sans savoir encore qui va régler les frais ! Et pour les week-ends et vacances, rien, à part quelques bons alimentaires ! » Au PADJ, la baisse de dotations des collectivités territoriales risque de se faire durement sentir…

Notes

(1) PADJ : 71, rue de Brie – 94 000 Créteil – Tél. 01 48 99 20 93 – padj94@gmail.com.

(2) Une permanence mensuelle a également lieu dans les MJD situées à Champigny-sur-Marne et à Villejuif.

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