Recevoir la newsletter

Sortir du village gaulois !

Article réservé aux abonnés

Les professionnels doivent s’associer à la mobilisation mondiale sur le travail social pour faire valoir leurs approches, défend Stéphane Rullac, responsable du pôle « recherche » et coordinateur du CERA (Centre d’études et de recherches appliquées) pour Buc Ressources et chercheur au CEREP (Centre d’études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations) de l’université de Reims. Cela leur permettrait aussi, selon lui, de sortir de leurs débats franco-français sur la recherche.

« Du 9 au 12 juillet 2014, Melbourne, en Australie, a accueilli la troisième Conférence mondiale conjointe du travail social, de l’éducation et du développement social(1). Cette organisation d’envergure donne l’opportunité à trois associations de réunir leurs forces afin d’ouvrir un débat sur le travail social : la Fédération internationale des travailleurs sociaux(2), l’Association internationale des écoles de travail social(3) et le Comité international d’action sociale(4). C’est ainsi que les professionnels, les écoles et les responsables des politiques du travail social échangent, débattent, communiquent et, parfois, se détendent ensemble, pendant quatre jours tous les deux ans. Cette mobilisation est l’occasion, trop rare, de prendre la température du travail social à l’échelle mondiale et de situer les enjeux des débats français dans cet horizon de référence.

Le premier élément frappant est la faible représentation de l’Europe francophone dans ces mouvements. Malgré tout, une petite délégation française s’est déplacée au bout du monde à cette occasion : le représentant de la commission internationale de l’Unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale), le président de l’Aifris (Association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale), un chercheur d’une école professionnelle (moi-même), des chercheurs de l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique). Il y avait aussi une délégation du groupement d’intérêt public (GIP) Santé protection sociale international – avec de nombreux représentants de la caisse nationale des allocations familiales – qui vise à promouvoir l’expertise française en matière de politique sociale au sens large du terme. Pour le moment, malgré une présence notable, la France exerce surtout son influence au sein du Comité international d’action sociale – grâce à l’action de Christian Rollet(5) – autour de la promotion de son modèle de protection sociale. Si l’Unaforis est un membre récent de l’Association internationale des écoles de travail social, l’Association nationale des assistants de service social s’implique depuis longtemps dans la Fédération internationale des travailleurs sociaux. Mais globalement, la France méconnaît ce qui se joue sur le plan mondial. Cet article est donc un appel à s’associer à cette mobilisation internationale pour faire valoir nos approches, mais aussi pour aborder les questions du travail social en dehors du seul prisme français. Les formations initiales et continues en travail social devraient d’ailleurs présenter les enjeux de la Conférence mondiale conjointe du travail social, de l’éducation et du développement social afin d’inciter les professionnels à s’y inscrire.

Rattraper notre retard

Le second élément d’importance est la nouvelle définition du travail social proposée par la Conférence mondiale : “Le travail social est une profession axée sur la pratique et une discipline académique qui favorise le changement social et le développement, la cohésion sociale et l’autonomisation et la libération des personnes […].” Cette définition s’articule avec les débats français récents, développés notamment dans le cadre de la conférence de consensus organisée par le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) et l’Unaforis(6). Le travail social est ainsi défini dans une double nature : un champ de pratiques et un champ disciplinaire académique. Dans ce contexte, l’avis de la conférence de consensus, qui plaide pour la “reconnaissance du travail social comme un champ disciplinaire spécifique […] ; la création de dispositifs permettant la réalisation et la diffusion de ce type de recherches ; le développement des compétences des travailleurs sociaux en matière de recherche par une formation […]”(7), apparaît comme une invitation pour notre pays à rattraper son retard en la matière.

Le troisième élément réside dans l’autre objectif de cette Conférence mondiale, qui vise à considérer ce secteur professionnel et académique, au sein de l’agenda politique international, comme une force pouvant participer à la régulation des grands maux de la société. Il s’agit de l’“agenda global” (www.globalsocialagenda.org). Quelques chiffres permettront de mesurer la force de frappe du travail social sur le plan mondial : la Conférence mondiale conjointe du travail social, de l’éducation et du développement social représente 90 pays, plus de 750 000 travailleurs sociaux, 2 000 écoles et 500 000 étudiants. Un poids numérique qui permet à ce secteur de prétendre être une force politique capable de faire jouer sa petite musique auprès des organisations de régulation (ONU, Unesco, etc.), pour favoriser un développement social plus harmonieux à l’échelle de la planète.

Citons quelques dernières analyses forgées au cœur de cette mobilisation mondiale. Le poids de la francophonie est négligeable. Quelques ateliers en français (2 ou 3 % environ) ont été organisés, qui ont eu pour résultat de créer des îlots de francophones, coupés du reste des réflexions. Les participants, qu’ils soient professeurs, décideurs ou manageurs, ont surtout un profil académique dont la référence centrale est le doctorat de travail social. L’académisation du travail social est donc une réalité dans l’organisation de ce secteur à l’échelle mondiale, au-delà de ce qui est affirmé dans la nouvelle définition du travail social. Dimension mondiale oblige, la teneur des propos en plénières m’a donné l’impression d’assister à un colloque de sciences politiques mâtiné d’humanitaire à l’ONU. Dans les ateliers, les présentations étaient davantage centrées sur des résultats de recherches dans une échelle située. En revanche, à mon grand désarroi, la rhétorique française de la relation entre les professionnels et les usagers était absente. Enfin, les interventions étaient tournées généralement vers l’innovation contrairement à la tendance française à se mobiliser pour la sauvegarde de certains acquis corporatistes, au détriment d’analyses expertes orientées vers des propositions de réformes.

Quelle force de proposition française ?

Ce voyage au bout du monde m’a donné l’impression d’un dépaysement total dans un pays certes inconnu, mais surtout dans une sphère du travail social étrange. J’ai ressenti plus que jamais la tentation d’opposer la spécificité française face à un éternel envahisseur, tel un village gaulois cerné par les camps romains. Au-delà de la résistance, quelle force de proposition française pouvons-nous constituer à l’échelle d’une représentation mondiale du travail social ? J’ai eu le sentiment d’être projeté dans notre avenir commun, tout en me demandant comment interagir et peser dans cet horizon annoncé. Notre présence, au-delà des représentants d’organismes publics, s’impose mais avec quels moyens et quelles représentations ? Au regard de cette expérience, je mesure l’inutilité du long débat récent sur la légitimité à articuler la recherche et le travail social dans une référence académique et disciplinaire. Cette référence, au regard du reste du monde, semble irrésistible. Au nom de quoi pourrions-nous justifier la reconnaissance du travail social uniquement comme un champ de pratiques et non comme un champ académique ? Ce débat ne semble plus de mise au regard de cette mobilisation mondiale. En revanche, une question me semble d’actualité : le travail social doit-il se décliner dans chaque discipline et/ou dans une discipline autonome ? Enfin, la noble ambition de participer à la régulation mondiale des inégalités implique-t-elle de prendre des distances avec la relation professionnelle qui fonde le travail social ? La culture française peut certainement aider ce secteur, à l’échelle mondiale, à ne pas perdre son âme ni son moteur relationnel. »

Contact : stephane.rullac@buc-ressources.org

Notes

(1) Social work, Education and Social Development (SWSD).

(2) International Federation of Social Workers (IFSW).

(3) International Association of Schools of Social Work (IASSW).

(4) International Council on Social Welfare (ICSW).

(5) Qui a été jusqu’à la fin 2014 président pour l’Europe du Comité international d’action sociale et était à Melbourne.

(6) Voir ASH no 2784 du 23-11-12, p. 24 et no 2851 du 14-03-14, p. 38 – Elle a donné lieu à un ouvrage Conférence de consensus : le travail social et la recherche – Coord. par Marcel Jaeger – Ed. Dunod – 2014.

(7) Voir ASH no 2816 du 28-06-13, p. 17.

Vos idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur