Recevoir la newsletter

Une loi antiterroriste permet d’interdire l’entrée en France d’étrangers représentant une menace pour l’ordre public

Article réservé aux abonnés

Le Parlement a, le 4 novembre, adopté définitivement la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, dont l’objet principal est d’adapter l’action des pouvoirs publics aux « nouvelles formes prises par le terrorisme ». Sa mesure phare est la création d’une interdiction de sortie du territoire pour freiner les départs croissants de jeunes Français candidats au djihad en Syrie. Mais une autre mesure, glissée à la dernière minute via un amendement du gouvernement(1), attire l’attention : la création d’une interdiction administrative du territoire au large champ, visant tous les étrangers – y compris les ressortissants communautaires – qui ne résident pas habituellement en France, ne s’y trouvent pas mais représentent, néanmoins, une « menace grave » pour « l’ordre et la sécurité publics ».

Une mesure purement antiterroriste ?

Certains peuvent représenter une telle menace « en particulier lorsqu’ils bénéficient du droit de circuler librement au sein de l’espace Schengen », justifie le ministre de l’Intérieur dans l’exposé des motifs de l’amendement. « Tel peut être le cas notamment de ressortissants d’Etats membres de l’Union européenne liés aux mouvances radicales voire à des organisations terroristes qui se rendent ponctuellement en France pour des séjours de très courte durée afin de rencontrer des ressortissants français ou étrangers résidant en France également impliqués dans ces mouvances », explique Bernard Cazeneuve.

La dimension antiterroriste du dispositif n’apparaît toutefois pas aussi clairement à la lecture des articles introduits par la nouvelle loi au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, les termes employés peuvent laisser penser que l’interdiction touchera une population plus large que les seuls terroristes étrangers (c’est en tout cas la conviction de Romeurope – voir ce numéro, page 16). Le ministre s’en défend et, toujours dans l’exposé des motifs, insiste pour présenter la nouvelle mesure sous l’angle de la lutte contre le terrorisme. L’interdiction administrative du territoire s’inscrit « dans la continuité de la résolution no 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité des Nations Unies, sur les combattants terroristes étrangers », explique le pensionnaire de la Place Beauvau. Ce texte « prévoit notamment de lutter contre la mobilité internationale des terroristes, en empêchant leur accès ou leur transit sur le territoire des Etats membres de l’ONU ». « Les Etats membres doivent donc prendre toutes mesures utiles, visant à prévenir l’entrée ou le transit sur leur territoire de toute personne au sujet de laquelle ils auront des informations crédibles donnant des motifs raisonnables de croire que l’intéressé(e) cherche à accéder à leur territoire dans le but de participer à des actes de terrorisme. »

Les étrangers concernés

Les textes communautaires instaurant le droit à la libre circulation pour les ressortissants européens prévoient que ce droit n’est pas inconditionnel, mais peut être restreint pour des motifs d’ordre et de sécurité publics. Pour autant, explique Bernard Cazeneuve, on ne disposait pas en droit interne d’un « instrument juridique adéquat et efficace permettant de leur interdire l’entrée et la circulation sur le territoire français sans qu’ils aient fait l’objet précédemment d’une mesure d’éloignement prononcée par les autorités françaises, lesquelles ne peuvent concerner que des étrangers résidant sur le territoire français ».

C’est pour combler cette lacune que la nouvelle mesure de police administrative – qui ne peut être décidée qu’à l’égard d’étrangers qui ne résident pas habituellement en France et ne se trouvent pas sur le territoire national – a été créée.

Elle pourra être prise à l’encontre de tout ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen(2) ou de la Confédération suisse – ou de tout membre de la famille d’une telle personne – dont la présence en France « constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ».

Tout autre ressortissant étranger dont la présence en France « constituerait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la France » pourra faire l’objet de la même interdiction.

Le régime de l’interdiction

L’interdiction administrative du territoire devra faire l’objet d’une décision écrite du ministère de l’Intérieur, rendue après une procédure non contradictoire. Elle devra être motivée – « à moins que des considérations relevant de la sûreté de l’Etat ne s’y opposent » – et notifiée à l’étranger concerné.

Concrètement, la mesure permettra, pendant toute sa durée de validité, en premier lieu de lui refuser l’accès au territoire français et, en second lieu – à moins qu’il ne soit mineur –, de le reconduire d’office à la frontière s’il pénètre sur le sol français en dépit de l’interdiction, et le cas échéant de prononcer à son encontre une sanction pénale.

L’interdiction administrative du territoire « devra reposer sur des éléments suffisamment graves et solides, précis et circonstanciés permettant d’établir que la présence en France de l’étranger représenterait une menace grave pour l’ordre et la sécurité publics », précise Bernard Cazeneuve dans l’exposé des motifs. Elle devra être « proportionnée au but poursuivi ». Et le ministre en est convaincu : « l’atteinte portée aux droits de l’étranger concerné sera en tout état de cause limitée s’agissant d’étrangers qui n’ont pas d’attache particulière avec la France ».

L’autorité administrative pourra à tout moment abroger la mesure. L’étranger pourra d’ailleurs en demander la levée après un délai de un an à compter de son prononcé. « Le silence gardé pendant plus de quatre mois » sur une telle demande vaudra décision de rejet, précise la nouvelle loi. On notera encore que les motifs de la mesure seront réexaminés tous les cinq ans à compter de la date de décision afin, précise le ministre de l’Intérieur, « de s’assurer de l’actualité de la menace ».

[Loi à paraître]

Notes

(1) L’amendement a été présenté devant le Sénat, après que le projet de loi a été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Le texte ayant été examiné en urgence – c’est-à-dire avec une seule lecture par chambre –, les députés n’ont donc pas pu en débattre dans l’hémicycle.

(2) C’est-à-dire tous les pays de l’Union européenne plus l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

Veille juridique

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur