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Jacques Fraisse : « Le fruit est mûr pour l’apparition des libéraux »

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Directeur de l’IRTS du Languedoc-Roussillon, Jacques Fraisse prédisait en 2010 l’émergence des éducateurs libéraux dans un article sur l’évolution des professionnalités éducatives(1). Il revient sur la logique à l’œuvre.
Qu’est-ce qui, aujourd’hui plus qu’hier, rend possible l’exercice libéral du travail social ?

D’abord la perte d’une pensée collective. L’éducation spécialisée, en particulier, a connu jusque dans les années 1990 un mouvement simultané de création d’un modèle d’action et de prise en charge, dont l’« institut éducatif-château » était l’archétype. On ouvrait des structures par type d’activité dans lesquelles s’inscrivaient des professions, chacune avec un mode de travail et une culture spécifiques. Or la nouvelle approche sociétale veut que l’individu soit libre de toute insertion institutionnelle définitive. On ne parle plus de prise en charge en institution, mais de dispositifs d’intervention, de droit commun, de traitements et de services individualisés. Les missions des intervenants sont redistribuées au regard de la définition de ces services, et non plus d’une pensée institutionnelle première.

A cela s’ajoutent les effets sur le champ professionnel de la réforme des diplômes d’Etat. Celle-ci a redéfini les métiers en fonction de référentiels de compétences. Plus les centres de formation conduisent les élèves à penser en termes de compétences, plus l’action et le sentiment d’appartenance à une culture professionnelle peuvent être séparés. Quand on additionne l’ensemble des évolutions, le fruit est mûr, tant du côté de l’environnement que des individus eux-mêmes.

Cela se vérifie-t-il auprès des étudiants ?

Le travail indépendant n’est jamais évoqué en formation. Mais quand on parle avec des étudiants, rares sont ceux qui se voient passer leur vie dans une même institution. Leur diplôme obtenu, et s’ils ont un peu de choix, ils rentrent dans des logiques de parcours, avec l’idée que s’inscrire dans un engagement institutionnel revient à prendre le risque de s’enfermer. Il existe aussi une catégorie d’étudiants qui sont passés par des métiers du type auxiliaire de vie scolaire avant de vouloir devenir éducateurs. Ils ont, à un moment donné, exercé une fonction qui les a placés en marge de l’espace institutionnel. Ce qui leur ouvre un autre mode de pensée.

Dans la mesure où l’action du travailleur social est légitimée par la commande sociale, comment situer l’exercice libéral ?

Le fait que le mode d’exercice ne s’inscrive plus dans un contexte organisationnel historique n’aboutit pas nécessairement à une évacuation de la commande sociale et politique. On voit bien avec le modèle de prise en charge des personnes âgées dépendantes que se déploient tous les modes d’intervention possibles, depuis l’aide ménagère en passant par les services d’intervention à domicile jusqu’aux espaces institutionnels des maisons de retraite. Pourtant, nous sommes toujours globalement dans une exigence, un contrôle et un financement publics. Là encore, on assiste à une déconstruction des emboîtements anciens du travail social. La radicalité de l’alternative entre commande publique et privée n’existe plus. Du fait du basculement progressif du système sur les individus, le financement d’une prestation est toujours partiel, mi-public, mi-personnel. Partant de là, pourquoi un professionnel libéral ne serait-il pas un acteur de la commande sociale ?

Travailler à son compte ou en institution, est-ce le même métier ?

Ce qui est certain, c’est qu’un professionnel revendique désormais son métier à partir de ses compétences et non plus uniquement de son appartenance institutionnelle. Gardons-nous de faire comme si seule l’institution avait l’apanage du collectif, de l’intelligence et de la régulation, en renvoyant une image de mercenaires aux personnes qui se lancent dans ces tentatives. Au contraire, il va être intéressant de voir comment vont se réinventer de la supervision et du contrôle hors des dispositifs organisationnels.

Notes

(1) « Réflexions sur les évolutions des professionnalités éducatives au regard de la transformation du champ de l’intervention sociale » – Jacques Fraisse, Olivier Griffith – 2010 – Disponible sur www.msh-m.fr.

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