Permettre aux familles de rester auprès de leur enfant ou d’un autre proche hospitalisé : tel est l’objectif historique des maisons d’accueil hospitalières. Sous des appellations diverses (établissements d’accueil et d’hébergement des familles de personnes hospitalisées, maisons familiales hospitalières…), ces structures non médicalisées en gestion associative accueillent, hébergent et accompagnent, parfois pendant plusieurs mois, des proches (parents, conjoints, amis, cousins…) éloignés des zones d’implantation hospitalière pour qu’ils se rapprochent d’un des membres de leur entourage pris en charge à l’hôpital – ou, plus rarement, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, en pouponnière ou en maison d’enfants à caractère social.
A la différence d’un hôtel classique, ces structures – dont les tarifs sont modérés et modulables selon les revenus – proposent un accueil personnalisé, le partage de temps communs et un suivi qui prend la forme, selon les établissements, d’un soutien moral, d’un accompagnement physique jusqu’à l’hôpital, voire d’un appui administratif. « Nous nous situons dans un travail d’accompagnement, d’échange et d’écoute attentive, notamment lors des repas que les professionnels partagent avec les personnes hébergées ou en organisant des activités, par exemple le matin lorsque les hôpitaux ne sont pas ouverts aux visites », explique Emma Canatar, directrice opérationnelle du Rosier rouge, la plus importante structure de France avec 110 lits, située à Vanves (Hauts-de-Seine). « Au-delà du partage des angoisses et des joies lors des moments collectifs, il s’y noue des solidarités informelles entre familles qui sont extrêmement précieuses », complète Christine Scaramozzino, présidente fondatrice de la Maison du bonheur qui gère la Maison des familles à Nice. Les maisons d’accueil hospitalières prennent ainsi soin de cette ressource fragile qu’est l’entourage qui, lui-même placé en situation de vulnérabilité, est en demande d’attention et de soutien. « De par leur fonctionnement, nos structures assurent un point d’appui pour les proches qui leur permet une restauration narcissique », ajoute Daniel Coum, psychologue clinicien et directeur de l’association Parentel, qui s’occupe depuis 2009 des Tamaris, une maison hospitalière de huit chambres à Brest.
Même si certaines structures emploient des salariés (le plus souvent entre 0,5 et 3 équivalents temps plein), ce sont les bénévoles qui en constituent généralement le noyau central – et parfois en assurent entièrement le fonctionnement. « Ils ne sont pas là pour pallier l’absence de prestations professionnelles : au contraire, nous tenons à ce que ce soit eux qui assurent le premier accueil pour conserver une dimension de solidarité citoyenne », explique Daniel Coum. Et lorsqu’il apparaît incontournable de recourir à des salariés, le choix est fait de privilégier des profils autres que des travailleurs sociaux ou du personnel médical. C’est le cas au Rosier rouge qui compte une vingtaine de professionnels de tous horizons : « Nous ne recrutons ni assistante sociale, ni éducateur spécialisé, ni psychologue car ce n’est pas notre rôle. Le suivi social est fait dans les hôpitaux par les assistantes sociales hospitalières, de même que le suivi psychologique si nécessaire. Et en cas de besoin, nous pouvons faire appel à des psychologues extérieurs », précise Emma Canatar.
Apparues il y a une cinquantaine d’années sous l’impulsion du Secours catholique qui est à l’initiative de la création des premières maisons hospitalières en France (bientôt suivi par des professionnels de santé, des mutuelles…), ces structures répondent au départ surtout aux besoins d’aide sociale des familles défavorisées qui n’ont pas les moyens de se loger à proximité des hôpitaux dans l’hôtellerie classique. Aujourd’hui, si cet aspect social perdure, les maisons hospitalières reposent aussi sur l’idée de l’importance du maintien des liens familiaux dans la guérison des malades. « Il est désormais établi que l’hôpital ne peut tout faire : il a besoin des proches dans la mesure où les patients vont d’autant mieux que ces liens familiaux sont respectés, voire soutenus – ce qui était loin d’être pris en compte il y a trente ans », souligne Daniel Coum.
C’est tout particulièrement le cas des enfants malades, pour lesquels les recherches montrent combien la présence à leur côté de leurs parents participent à l’amélioration de leur état de santé. Des maisons se sont ainsi spécialisées dans l’hébergement de parents. Comme à Angers où, depuis 2009, la Maison des parents Le Figuier, gérée par l’Association de gestion de la maison des familles (AGMF), accueille des parents (avec la fratrie le cas échéant) lorsque leur enfant est hospitalisé dans le centre hospitalier universitaire (CHU) tout proche. Non seulement la structure préserve la continuité de la vie familiale en permettant aux parents de consacrer le plus de temps possible à leur enfant, mais elle les aide à traverser une période difficile. « Le CHU d’Angers étant spécialisé dans les tumeurs cérébrales, des enfants arrivent parfois en urgence de très loin. L’hôpital nous met alors en contact avec les parents qui peuvent être hébergés chez nous », témoigne Thérèse Guéguin, vice-présidente de l’AGMF.
Quant à la Maison des familles de Nice (douze chambres), elle accueille 35 % de parents d’enfants malades, en particulier en néonatologie. « Il est essentiel que les parents – au moins les mères – restent à proximité de leur enfant hospitalisé en néonatologie, qui peut y rester plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Cela permet notamment de pratiquer le “peau à peau”, une méthode très efficace pour favoriser le développement du bébé prématuré », explique Christine Scaramozzino.
Mais les enfants sont loin d’être les seuls concernés : « Quels que soient leur âge et la situation – accident, début de vie difficile, maladie, vieillesse, fin de vie… – , les personnes hospitalisées ont besoin de leur entourage », rappelle Daniel Coum. Et de poursuivre : « Aujourd’hui, on est tout à fait conscient de ce phénomène concernant les prématurés, les enfants malades ainsi que les personnes âgées en fin de vie. En revanche, pour les adultes, cela avance plus doucement. »
Les maisons d’accueil hospitalières font face à une demande en croissance modérée mais continue, qui est aussi en partie liée aux réformes de la politique de santé depuis une dizaine d’années : la restructuration de la géographie hospitalière a créé de grands pôles de santé spécialisés qui éloignent les malades des hôpitaux et l’accent mis sur l’hospitalisation de jour a favorisé l’accueil d’un nouveau public, les patients traités en ambulatoire (voir page 29). Dans ce contexte, on pourrait imaginer que le secteur se porte bien. Ce n’est pourtant pas le cas. « Nos interlocuteurs institutionnels trouvent notre action très positive, mais dès qu’il faut aller plus loin, les réponses à certaines de nos questions tardent à venir », déplore René Flipo, président de l’association Maison familiale hospitalière de Lille.
La pérennité des financements est au centre des préoccupations. Jusqu’à présent, la convention signée en 1976 avec la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) permettait l’accès des maisons familiales à des personnes d’origine modeste grâce à une prise en charge partielle(1) par le Fonds national d’action sanitaire et sociale (FNASS) de la sécurité sociale via les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat). Dénoncée en 2012, la convention a été prorogée en 2013 et 2014. « Mais, pour 2015, nous sommes dans l’incertitude complète », avance Daniel Erhel, président de la Fédération nationale des établissements d’accueil pour familles d’hospitalisés (Fneafh).
Pour sécuriser le financement, la Fneafh propose donc que l’accueil soit financé différemment selon les cas de figure : le FNASS pourrait continuer à être sollicité pour prendre en charge le séjour des proches de malades aux ressources modestes. En revanche, la fédération suggère que le budget « soins » de l’assurance maladie soit sollicité non seulement pour les patients en ambulatoire mais aussi lorsque le proche joue un rôle actif dans le soin et, à ce titre, est accueilli dans le cadre d’un parcours de soins défini par le personnel médical.
Pour le Rosier rouge, cette réforme permettrait de rééquilibrer ses comptes aujourd’hui dans le rouge. Si, pour le public originaire des DOM-TOM qui représente 60 % des séjours, la maison continue à bénéficier d’une prise en charge par les caisses générales de sécurité sociale des différentes îles, la situation est plus complexe pour les patients en provenance de métropole : la caisse régionale d’assurance maladie d’Ile-de-France (Cramif) refuse, depuis 2012, de prendre en charge une partie des frais occasionnés par l’accueil des patients en ambulatoire. « Etant adossés à l’Association des cités du Secours catholique, nous avons la chance de compenser notre déficit par notre gestion propre mais la plupart des structures sont indépendantes et de petite taille : comment peuvent-elles s’en sortir ? », interroge Emma Canatar. De fait, beaucoup d’établissements connaissent une situation financière fragile. Pour ne pas alourdir ses charges, la Maison des parents Le Figuier a décidé de fonctionner sans salarié : « L’aide allouéevia la convention avec la sécurité sociale n’a pas augmenté depuis 2010, et nous n’avons pas les moyens d’embaucher du personnel type “maîtresse de maison”. On s’en sort grâce à l’équipe de bénévoles », observe Thérèse Guéguin.
Pour consolider leur budget, certaines maisons se sont d’ores et déjà tournées vers d’autres sources de financement. « Nous recherchons de plus en plus des accords avec les hôpitaux qui, en échange de l’utilisation de nos services d’hébergement, nous octroient une participation financière », explique René Flipo. A Lille, une convention vient d’être signée avec le centre régional de lutte contre le cancer Oscar-Lambret. D’autres accords devraient être conclus avec le CHRU de Lille et plusieurs hôpitaux de la métropole. Mais cette solution est surtout adaptée aux structures situées à proximité d’un hôpital. Pour le Rosier rouge, qui accueille des patients en traitement dans toute la région parisienne, « cela supposerait que l’on conventionne avec des dizaines d’établissements sanitaires, ce qui est très complexe à mettre en place », observe Emma Canatar.
Les agences régionales de santé (ARS) sont également sollicitées. Mais, pour l’instant, sans grand succès. « Nous avons bon espoir de travailler à terme de façon positive avec les ARS mais, pour l’heure, nos demandes d’aide sont restées négatives », regrette René Flipo. D’autres maisons se débrouillent en sollicitant des donateurs. C’est le cas de la Maison des familles de Nice. Bien que la Carsat PACA et les caisses primaires d’assurance maladie des Alpes-Maritimes et de Corse financent à hauteur de 50 000 € par an la structure, la première refuse d’appliquer la convention nationale signée avec la Cnamts. Aussi, l’établissement se tourne notamment vers la fondation Princesse Grace-de-Monaco.
Les maisons pâtissent aussi d’un défaut d’harmonisation. Elles forment un ensemble hétérogène avec des capacités d’accueil et des moyens humains, matériels et financiers très divers. « Même si nous appartenons tous à la même fédération, nos fonctionnements et les prestations proposées sont très différents – au Rosier rouge, nous avons par exemple un self, ce qui est une exception… », avance Emma Canatar. Cette maison revendique d’ailleurs un statut d’établissement médico-social du fait de sa taille et du poids de son équipe professionnelle. Mais d’autres maisons appliquent plutôt les règles de fonctionnement propres au secteur hôtelier.
Bien que cette diversité soit aussi un facteur de richesse, davantage d’encadrement serait souhaitable, estime Daniel Erhel : « Aujourd’hui, dans le monde de la santé, nous n’avons pas d’existence juridique précisément définie puisque nous ne sommes ni établissement sanitaire, ni établissement médico-social et n’entrons dans aucune case. Il n’y a pas de financements dédiés sur lequel nous pourrions compter durablement pour la prise en charge partielle ou totale du coût du séjour des résidents dont les ressources sont faibles. Un minimum de structuration permettrait de garantir un égal accès aux soins pour tous, on en est loin ! » Les acteurs du secteur ont commencé à alerter dès 2013 les différentes instances de santé (Carsat, ARS, établissements de soins, fédérations hospitalières…) et les parlementaires afin de faire connaître leur situation incertaine.
Argument de poids susceptible de favoriser une oreille attentive des pouvoirs publics : en évitant le recours aux ambulances pour effectuer des trajets – parfois quotidiens – jusqu’à l’hôpital et en réduisant considérablement les frais liés aux nuitées à l’hôpital (selon la Fneafh, le coût de revient moyen pour la sécurité sociale est de 15€ par nuit en maison d’accueil contre 600€ à plus de 1500€ en service hospitalier), les maisons hospitalières peuvent faire faire des économies substantielles à la sécurité sociale. « Au final, nous avons calculé que notre seule structure lui fait gagner 400 000€ par an », observe Christine Scaramozzino.
Après un premier rendez-vous à la fin novembre 2013 avec le cabinet de la ministre de la Santé suivi, en février 2014, d’un courrier de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux)(2) proposant des pistes d’évolution, une délégation a été de nouveau reçue au ministère. « Compte tenu de l’évolution du système de santé, nous demandons qu’un état des lieux global soit réalisé avec une évaluation de l’existant pour dégager les principaux besoins et réfléchir à une reconnaissance officielle du secteur, à une stabilisation du financement de ses activités et à un cadrage national », explique Daniel Erhel.
Preuve que les choses bougent, dans une réponse écrite en date du 8 juillet dernier au député Pierre Morel-A-L’Huissier (UMP) l’interrogeant sur l’avenir de ces structures, la ministre Marisol Touraine se disait « très sensible à la question de l’hébergement non médicalisé des patients et de leurs aidants à proximité des hôpitaux ». Et de préciser qu’étaient en cours des réflexions « sur l’opportunité de développer une offre de solutions d’hébergement en amont ou en aval d’une prise en charge hospitalière, dans le souci d’inciter à l’amélioration du parcours de soins des patients et au développement des prises en charge ambulatoires ».
Si le sujet n’est pas abordé par le projet de loi de santé publique tel qu’il a été présenté en conseil des ministres le 15 octobre dernier, le ministère pourrait l’introduire par le biais d’amendements lors de la discussion parlementaire du texte prévue au début 2015. Il vient d’ailleurs d’inviter les représentants institutionnels et les fédérations concernées à la première réunion, fixée le 27 novembre, d’un groupe de travail sur « la régulation et le financement des hébergements à proximité des hôpitaux ». « Dans la mesure où cette loi a pour objectif de faciliter le parcours de soins des malades, il serait en effet tout à fait légitime d’y reconnaître officiellement les maisons d’accueil hospitalières qui ont leur place dans ce parcours entre le domicile et l’hôpital », affirme Daniel Erhel.
L’enjeu pour la Fneafh est d’obtenir un cadre spécifique pour ces établissements associatifs qui les distingue clairement des « hôtels hospitaliers » (voir encadré, page 28). Celle-ci est d’autant plus vigilante qu’un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui a été adopté en première lecture le 28 octobre à l’Assemblée nationale, maintient une ambiguïté. Il permet aux établissements de santé de proposer à leurs patients « une prestation d’hébergement temporaire non médicalisée », en amont ou en aval de leur hospitalisation, qui peut être déléguée à un tiers par voie de convention. Un appel à projets national devrait permettre des expérimentations. La formulation très générale englobe les maisons d’accueil hospitalières et les hôtels à but lucratif sans faire de distinction, regrette Daniel Erhel. Qui craint par ailleurs que les hôpitaux publics lancent des appels d’offres mettant en concurrence les deux formules « en se référant à des critères limités ».
Il existe une soixantaine d’établissements d’accueil et d’hébergement des familles de personnes hospitalisées en France, dont une dizaine gérée par la Fondation Ronald-Mac Donald (spécialisée dans les maisons de parents d’enfants hospitalisés) et une dizaine par l’Ordre de Malte sous l’appellation de « maisons Saint-Jean ». La Fédération nationale des établissements d’accueil pour familles d’hospitalisés (Fneafh) regroupe 36 établissements (de 15 à 110 places) dont 28 sont conventionnés avec la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés. Selon la Fneafh, l’ensemble du secteur représenterait plus de 1500 lits et réaliserait environ 50 000 accueils pour 400 000 nuitées par an.
Dans le contexte de recomposition de l’offre de soins et du développement des soins ambulatoires, le paysage de l’hébergement à proximité des hôpitaux est en train d’évoluer. En témoigne la multiplication de conventions entre des établissements de soins (en général des cliniques privées à but lucratif) et des hôtels situés non loin pour accueillir des proches ou des malades en traitement ambulatoire. Parallèlement, des entreprises privées se positionnent également sur ce marché émergent : « Un nouveau type d’organismes hôteliers s’implante auprès des hôpitaux en proposant des nuits à 70€ environ pour les patients en soins ambulatoires : imaginez le coût lorsque le traitement dure plusieurs jours, voire plusieurs semaines », dénonce Christine Scaramozzino, présidente de la Maison du bonheur, qui s’occupe d’une maison hospitalière à Nice.
Bien que favorable à la consolidation du statut des maisons d’accueil hospitalières, la Fédération hospitalière de France défend, quant à elle, également le déploiement des « hôtels hospitaliers » (dans l’enceinte de l’hôpital) forte de l’expérimentation menée notamment à l’Hôtel-Dieu à Paris. « Ce type de solution, également marchande, est toutefois très différent de l’accompagnement spécifique proposé par les maisons d’accueil hospitalières », défend Daniel Erhel, président de la Fédération nationale des établissements d’accueil pour familles d’hospitalisés.
(1) De 25 à 75 % du prix du coût du séjour avec un tarif plafond de 32€ la nuit en province et de 41€ en région parisienne.
(2) En lien avec la Fédération nationale d’hébergement VIH, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, la Fédération hospitalière de France et la Fédération nationale de la mutualité française– Voir ASH n° 2851 du 14-03-14, p. 19.