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Retrouver les clés de la parentalité

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A Liévin, dans le Pas-de-Calais, six familles sont hébergées dans des maisons individuelles, encadrées par une équipe éducative, pour se reconstruire à petits pas. Un dispositif expérimental lancé à la mi-2013, qui permet d’éviter les placements tout en soutenant les parents.

C’est un petit lotissement comme il y en a tant. Six maisons neuves groupées par deux, avec chacune un bout de pelouse jonchée de vélos d’enfants, là où le dernier jeu s’est fini. A Liévin (Pas-de-Calais), le Village-Famille de l’Etablissement public départemental de l’enfance et de la famille (EPDEF)(1) se fond dans le décor. Au loin, un petit bois, et au coin de la rue, une friterie. « Ici, nous soutenons la famille dans sa fonction parentale, en lui permettant d’accéder à un logement, et nous travaillons sur son histoire globale pour prévenir le placement de l’enfant. » Assistante sociale de formation et directrice du pôle de prévention et de soutien à la parentalité, Martine Wallet-Blanchart explique ainsi l’enjeu de cette structure récente, ouverte en juin 2013, avant de poursuivre : « Le Village-Famille est la pierre angulaire qu’il nous manquait, le dernier-né d’un ensemble de services aux familles. »

En effet, autour de son cœur de métier – la protection de l’enfance –, l’EPDEF a diversifié au fil des années ses modes de prise en charge : les maisons d’accueil familial, où le parent dispose d’un studio pour recevoir son enfant placé ; puis les espaces de rencontre médiatisée entre parents et enfants, pour maintenir le lien ; et enfin les maisons de la parentalité, où les familles, quelles qu’elles soient, concernées ou non par l’aide sociale à l’enfance (ASE), peuvent trouver de l’aide, en venant suivre par exemple une thérapie familiale.

UN DÉPARTEMENT À TAUX ÉLEVÉ DE PLACEMENTS

Une problématique a cependant émergé : comment éviter une mesure judiciaire ou administrative qui s’annonce ? La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance demande une prévention accrue, mais les travailleurs sociaux se trouvaient désarmés. « Nous sommes dans l’un des départements de France avec les plus forts taux de placement, souligne le directeur général de l’EPDEF, Alain Guffroy. Nous rencontrons des familles qui sont depuis trois générations dans le champ de l’ASE et qui sont dans la reproduction. Quelle autre forme de prise en charge pouvions-nous imaginer pour casser cet engrenage ? »

La réflexion est lancée en 2009 au sein d’une commission interne à l’EPDEF, avec la participation de ses partenaires, en particulier le conseil général et la communauté d’agglomérations Lens-Liévin. Le premier facteur de risque identifié pour les enfants sont les difficultés liées au logement : la promiscuité, un logement indécent, une cohabitation avec des tiers dangereux, parce que la mère trouve un hébergement là où elle le peut. Parfois aussi, une famille sort de centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), mais n’est pas encore prête pour l’autonomie dans un logement de droit commun. A ces problèmes matériels s’ajoutent des faits de violence, de fragilité psychologique et de déscolarisation qui inquiètent les référents sociaux. C’est cette conjonction de la précarité matérielle et de la difficulté à être parent qui entraîne, à plus ou moins court terme, le placement.

Dans le but de répondre à ce double problème, a été élaboré le Village-Famille : une maison qui n’a rien de l’hébergement social collectif classique. Elle est louée meublée et équipée pour que la famille puisse se poser et souffler. Le 30 avril dernier, Amandine Desmarai y est arrivée avec ses trois enfants. « Avant, j’étais hébergée chez ma mère, je n’avais rien, pas de meubles », se souvient-elle. Ici, elle n’a eu à acheter que la cafetière, le micro-ondes et la télévision. Elle apprécie l’espace, le fait que ses enfants et elle ne dorment pas tous dans la même chambre. Elle sait cependant qu’elle doit « tout remettre en route » : suivre une formation en secrétariat car elle n’a jamais travaillé, apprendre à aider ses enfants pour qu’ils prennent confiance en eux. Dans le cahier J’aime la personne que je suis mis en place par le Village-Famille, l’un d’eux s’est dessiné en tout petit. Juste à côté, son frère aîné l’a représenté en plus grand.

UNE ÉQUIPE MINIMALE

Educatrice spécialisée en fin de formation et titulaire du brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS), Audrey Guemmaz sourit en notant ce détail. Pour l’épauler, l’équipe est minimale, avec seulement Etienne Raguideau, le chef de service. « Au bureau, ils sont toujours là pour nous, observe néanmoins Amandine Desmarai. Au moindre truc, on peut aller les voir. » Afin de soutenir les familles, les professionnels s’appuient sur les compétences de la Maison de la parentalité de Liévin, toute proche, qui met à disposition une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) ou un thérapeute familial, quand le besoin s’en fait sentir. Et le week-end, c’est le cadre d’astreinte de l’EPDEF qui prend le relais en cas de problèmes. Une réunion d’équipe se tient une fois par semaine. « Mais nous sommes dans une discussion permanente », remarque Audrey Guemmaz. Tous les quinze jours, le chef de service participe au comité de direction du pôle de prévention et de soutien à la parentalité. Quant aux résidents, ils se réunissent une fois par mois pour régler les soucis du quotidien et organiser les temps en commun.

En ce mois d’octobre, au Village-Famille, il n’y a que des familles mono-parentales qui vivent du revenu de solidarité active (RSA). Des femmes seules avec leurs enfants, qui, par le passé, ont souvent vécu des violences conjugales. Les situations sont complexes : certaines ont avec elles tous leurs enfants ; d’autres se sont vu enlever la garde des aînés, qu’elles ne voient que le mercredi après-midi, et ne vivent qu’avec le petit dernier. Pour ces dernières, l’enjeu est alors double : prouver qu’elles sont capables de bien s’occuper de leurs enfants pour garder celui qui n’est pas placé, et récupérer peut-être ceux qui le sont. « Ici, la prise en charge est globale, insiste Etienne Raguideau. Il s’agit aussi bien d’apprendre à établir des repères fixes dans la journée, quelque chose d’aussi simple que de prévoir un petit déjeuner le matin, un repas le midi et le soir, que de réussir à gérer son budget. »

L’équipe est dans le concret : certains parents se sont lancés dans l’achat d’une télévision à écran plat – « pour les enfants », ont-ils expliqué – et se sont retrouvés démunis à la fin du mois. Habitués au chauffage gratuit au charbon (un ancien avantage des mineurs), certains passaient l’hiver à 26 °C dans leur maison. A l’inverse, d’autres ne touchaient jamais au thermostat de leurs radiateurs, par souci d’économie. Anaelle Cocquet, conseillère en vie sociale et familiale, les aide à mieux appréhender leurs dépenses, à lire une facture de gaz ou d’électricité. « C’est enrichissant, ici, car on prend la famille dans toutes ses problématiques et toutes ses compétences », constate-t-elle. Une grille d’auto-évaluation est d’ailleurs en cours de mise en place pour tous les domaines de la vie quotidienne : « C’est réconfortant pour la famille de la remplir, de montrer qu’elle a des compétences. C’est aussi la rendre actrice de son propre changement, alors qu’elle peut être parfois dans un léger assistanat », ajoute le chef de service.

SUIVRE L’EVOLUTION DES RELATIONS INTRAFAMILIALES

Audrey Guemmaz apprécie cette diversité des interventions individuelles : aider à trouver un club de sport où inscrire un enfant, calmer les disputes au sein de la fratrie, désamorcer un conflit au moment du déjeuner. Elle se souvient : « Une mère se plaignait que la petite jette ses aliments à travers la pièce. Je suis venue en observation et j’ai essayé de trouver l’élément déclencheur. Or je me suis rendu compte que rien n’était dit, même pas le fait de passer à table. La mère prenait l’enfant alors qu’elle était en train de jouer. Celle-ci ne comprenait pas ce qui se passait. » Pour cette mère, il était impossible d’envisager qu’un bébé puisse saisir le sens des mots. Il a donc fallu travailler sur la communication avec sa fille.

Les anecdotes de ce type sont courantes au Village : des parents qui se sentent ridicules s’ils jouent avec leurs fils, des mères incapables de refuser les bonbons à leurs enfants malgré des dents cariées dès l’âge de 6 ans… L’accompagnement est aussi de type collectif : des ateliers créatifs se tiennent régulièrement, auxquels participent tous les résidents. C’est le cas ce mercredi, avec la fabrication de décorations pour Halloween. Les ateliers constituent un temps idéal pour observer l’évolution des rapports entre parents et enfants. Une mère dessine sans se préoccuper de sa fille, ce qui ne l’empêche pas ensuite de lui claquer un énorme bisou ; une autre a tendance à faire à la place de son fils, avec toute la bonne volonté du monde ; plus loin, un enfant colorie sa citrouille dans son coin, dans sa bulle. « Nous avons une grande connaissance globale de la famille, car nous vivons avec elle au quotidien, en mélangeant temps formels et informels », se félicite Audrey Guemmaz.

Les travailleurs sociaux accompagnent aussi les familles dans le réseau local : activités au centre social, conseil sur le divorce en cours au point d’accès au droit, rendez-vous au centre communal d’action sociale… L’équipe a aussi veillé à prendre contact avec l’école du secteur pour expliquer son projet et l’ancrer sur le territoire. « Ces familles sont en rupture avec le monde scolaire. Nous avons donc mis en place un travail régulier avec les instituteurs des enfants. » Un jeune garçon a des problèmes de comportement en classe. Aussitôt, un suivi est mis en place. Etienne Raguideau fait régulièrement le point avec lui, le félicite quand il fait des progrès et lui fait signer un pacte : pas plus d’une croix rouge pour mauvaise conduite par jour. Le garçon n’est pas peu fier d’empoigner le stylo et de marquer son accord. Pour l’aider, une auxiliaire de vie sociale pourrait aussi le suivre en classe. Une possibilité ouverte aux territoires repérés dans le dispositif de réussite éducative.

La résidence sociale peut accueillir six familles, pour une durée maximale de deux ans. « Nous travaillons en profondeur, ce que nous ne pouvons pas faire sur d’importants volumes : le nombre de personnes est forcément restreint », justifie Etienne Raguideau. Cette petite taille du dispositif a d’abord été un frein pour les financeurs. Il a fallu les convaincre de l’intérêt de cette structure qui semblait n’être qu’une goutte d’eau dans un océan de besoins. L’argumentaire a été budgétaire : « Le coût du placement d’un enfant à la journée est entre 200 et 250 €, indique Martine Wallet-Blanchart. Nous accueillons aujourd’hui 13 enfants, âgés de 1 mois à 9 ans, dont nous évitons le placement, pour un budget de fonctionnement à l’année de 169 000 €. » Depuis un an, le Village a reçu huit familles : deux ont déjà quitté le dispositif. L’une sur un constat d’échec, avec un jeune couple qui refusait de s’investir dans les changements demandés. « Le programme nécessite l’adhésion de la famille, car nous construisons le projet avec elle », insiste le chef de service. L’équipe a également découvert après coup que les parents connaissaient des problèmes de toxicomanie. Il n’était pas possible de fragiliser les autres familles en acceptant que ce couple trouble la tranquillité de tous. Cette famille a été redirigée vers un CHRS. La deuxième sortie du dispositif, en revanche, a été positive : la famille s’est remobilisée et s’est installée dans un logement HLM de droit commun, le père ayant retrouvé un travail.

Ces deux expériences soulignent l’importance de l’évaluation des candidatures. « Il faut que nous affinions davantage en amont les profils pour repérer ceux qui n’auraient pas la motivation nécessaire », reconnaît Etienne Raguideau. La procédure est pourtant déjà exigeante : le référent social habituel de la famille doit motiver la demande par une note sociale. « Il faut nécessairement que les besoins portent sur les deux volets : le logement et l’accompagnement social », rappelle le responsable, qui vérifie aussi la compatibilité du profil administratif. Les maisons sont des T3, et ne peuvent donc pas accueillir de trop grandes fratries. Les parents doivent en outre entrer dans les critères d’attribution des aides sociales, en particulier de l’aide personnalisée au logement – ce qui, de fait, ferme la porte aux familles sans papiers. Enfin, ils doivent faire un dépôt de garantie de 450 € à leur entrée dans le logement (qu’ils récupèrent à la fin) et pouvoir payer entre 110 et 140 € de loyer par mois, charges comprises.

UNE ÉVALUATION EXIGEANTE DES CANDIDATS

Si ces conditions sont réunies, Etienne Raguideau rencontre la famille en compagnie du travailleur social qui a fait la demande. Les règles sont posées d’emblée : établissement d’un contrat avec les objectifs à atteindre et obligation de prévenir quand une personne extérieure est invitée, afin de veiller à la protection des enfants. La famille doit accepter ce cadre. Le travailleur social référent est, lui aussi, sollicité. Il faut qu’il soit réellement acteur de l’action, car il s’agit de renforcer sa démarche en s’appuyant sur l’expertise de l’équipe du Village-Famille, et non de transférer la totalité de l’accompagnement sur celle-ci. Cela implique qu’il se rende disponible au moins une fois par mois et qu’il s’associe aux évaluations trimestrielles du parcours d’insertion.

Enfin, se réunit la commission d’attribution des logements, où sont représentés l’Etat, le conseil général, la caisse d’allocations familiales, la ville de Liévin et son CCAS, la communauté d’agglomérations Lens-Liévin ainsi que Maisons et Cités, le bailleur social propriétaire des habitations. Elle émet un avis positif ou négatif, dont la famille est informée par lettre. David Meilender, responsable de l’antenne de développement social de la CAF sur le bassin minier, apprécie de participer à cette instance. Elle symbolise à ses yeux l’intérêt du projet, une prise en charge globale et partenariale des familles. « Ce n’est pas une structure uniquement pour un public fléché conseil général, nous pouvons nous aussi y orienter des usagers : il est intéressant de ne pas tomber dans une typologie des publics, selon qu’ils soient bénéficiaires de telle aide ou de telle autre, souligne-t-il. D’autre part, nous savons que les moyens se raréfient au niveau de l’action sociale, et qu’il est important de mutualiser nos compétences. La commission d’attribution devient un espace pour échanger sur nos pratiques et nos orientations. »

Après plus de un an de fonctionnement, l’équipe se dit persuadée que ces familles ne sont pas dans le désintérêt de leurs enfants. Au contraire, elles se battent pour les garder, mais n’ont pas les clés de la parentalité. Souvent, l’enfant est arrivé alors que les parents étaient très jeunes et sans que personne les soutienne. « Ils veulent investir dans leur relation avec leurs enfants, mais ne savent pas s’y prendre. S’ils leur donnent une claque, ce n’est pas qu’ils ne les aiment pas, c’est au contraire parce qu’ils veulent s’occuper d’eux mais qu’ils ne choisissent pas le bon mode d’expression, argumente Etienne Raguideau. Il faut éviter d’être trop jugeant, trop normalisant. Il faut prendre ces parents avec leur histoire de vie. Ils ont eu des manques, mais ce n’est pas pour cela qu’ils n’ont pas le droit de mener une vie normale avec leurs enfants. » L’équipe du Village-Famille espère désormais qu’après évaluation, cette expérimentation puisse être multipliée ailleurs sur le territoire du Pas-de-Calais.

Notes

(1) Village-Famille : 75 C, rue de Cracovie – 62 800 Liévin – Tél. 03 21 45 22 91.

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