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Protection de l’enfance : arrêtons de cacher les dysfonctionnements !

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Faut-il condamner le documentaire « Enfants en souffrance… la honte ! » diffusé le 16 septembre dernier sur France 5 sous prétexte de son parti pris ? Prenant le contrepied de Xavier Bouchereau, chef de service, et de Clémentine Butzbach, Eva Ea et Romain Maneveau, consultants-psychologues, qui avaient jugé ce reportage nuisible et caricatural (voir ASH n° 2877 du 3-10-14, page 36), Katell Fontaine, assistante sociale, y voit une occasion pour les professionnels de sortir de leur silence sur les dysfonctionnements existants afin d’y remédier.

« Je suis assistante sociale et après avoir été plusieurs années au service social en faveur des élèves, je travaille maintenant dans un programme de réussite éducative (en Ile-de-France dans les deux cas). Depuis plusieurs années j’exerce donc auprès des jeunes en difficulté et je suis très régulièrement en lien avec l’aide sociale à l’enfance (ASE), différentes cellules départementales de recueil des informations préoccupantes et les associations habilitées à intervenir dans le cadre de la protection de l’enfance.

Depuis plusieurs années, je m’indigne de constater que quasiment personne ne réagit face aux dysfonctionnements de la protection de l’enfance. Soyons clair : des dysfonctionnements il y en a toujours eu et il y en aura toujours, la question, c’est comment les gère-t-on ? Comment éviter qu’ils se reproduisent ? Mais, dans le secteur social, peu de personnes réagissent : c’est la loi du silence.

1. Tout le monde “fait avec” les professionnels dysfonctionnants. Ces derniers continuent de rester en poste. Dans le meilleur des cas ils sont inutiles et, dans le pire, ils sont carrément maltraitants vis-à-vis des familles. Tout le monde le sait et tout le monde fait “comme si” on n’avait rien vu.

2. Face à ces problèmes d’institution ou de personnel, on comprend vite qu’il ne faut surtout pas les signaler à un plus haut niveau. Le risque est clairement de se faire rejeter des autres professionnels et de ne plus pouvoir travailler en partenariat, ce qui est, reconnaissons-le, très problématique dans le champ social en particulier.

Certes dans la protection de l’enfance, il y a des bons professionnels et des institutions sérieuses. Et heureusement, je pense que ces situations sont majoritaires. Mais que fait-on lorsqu’il y a un problème ? RIEN !

D’où l’intérêt de ce documentaire(1) qui n’avait pas pour but, il me semble, de dire “tous pourris” dans la protection de l’enfance mais de dénoncer ce qui ne va pas et de montrer à quel point certaines situations sont immuables.

Sortir du statu quo

Malheureusement, les écrits parus dans les ASH sous le titre général “Arrêtons de maltraiter la protection de l’enfance” vont dans le sens de cette “loi du silence” que je décrivais plus haut : surtout ne rien dire au risque de décrédibiliser tout le secteur. En fonctionnant ainsi, rien ne bouge, rien ne change. Au contraire, je crois qu’il vaut mieux dénoncer haut et fort les problèmes afin que les usagers de l’ASE, mais aussi les citoyens, puissent faire confiance au système de protection de l’enfance. C’est cette posture de dénonciation des problèmes qui nous permettra de créer de la confiance avec les citoyens et les usagers et non pas cette loi du silence nauséabonde.

Les auteurs accusent le reportage de “faire peur” aux familles et ils craignent qu’elles ne se détournent de l’ASE, mais c’est déjà le cas : beaucoup d’entre elles ont déjà peur de l’ASE car le bouche-à-oreille fonctionne bien. Et comment peut-on faire confiance à l’ASE quand on a entendu le calvaire du placement de l’enfant X ou Y ?

Comment moi, en temps qu’assistante sociale, puis-je les rassurer alors qu’à de nombreuses reprises, quand je travaille avec une famille à la mise en place d’une aide éducative à domicile, l’aide attendue n’arrive jamais ?

Comment les familles peuvent-elles avoir confiance en l’ASE quand j’entends des professionnels dire : “Le parent ne veut pas” ou “la famille n’adhère pas”. Et alors même que ceux-ci ne se sont pas donné la peine de faire alliance avec elle, de rencontrer tous les membres de la famille, de faire une visite à domicile, un entretien familial, etc. C’est toujours plus facile de dire “la famille ne veut pas” que de se remettre en question et de remettre en question son institution…

Les écrits évoquent le problème de maltraitance au sein de la famille d’accueil qui a été abordé dans le reportage. Ne nous méprenons pas : à aucun moment, dans le documentaire, il n’est dit que tous les assistants familiaux sont dangereux. Ce qui est dénoncé, à mon sens, c’est que, face à un problème de maltraitance, l’ASE ne réagit pas ou réagit mal : l’ASE banalise, ne fait rien et le jour du procès n’amène pas le jeune pour témoigner à l’audience alors qu’il l’avait demandé ! Comment peut-on accepter ça ?

De même, les auteurs évoquent le fait que les ruptures sont en partie liées à l’adolescence “âge de défiance du cadre établi”. C’est exact, les ruptures sont parfois liées à l’enfant ou à l’adolescent qui met à mal le placement, mais combien de placements sont si mal préparés qu’ils ne peuvent aboutir qu’à un échec ?

Arrêtons d’accuser les enfants et les familles en cas d’échec et posons-nous les questions de la qualité des aides qu’on leur propose.

Les écrits abordent également le problème de la rupture des parcours des enfants confiés à l’ASE en banalisant cette difficulté sous le couvert de la figure stable du référent ASE ! Combien de référents ASE sont vraiment des figures stables pour les enfants ? Dans de nombreux services, les travailleurs sociaux restent peu de temps en poste par épuisement professionnel…

Une occasion à saisir

Ce reportage était peut-être uniquement à charge, mais il avait au moins le mérite d’exister et de mettre les problèmes sur la table. Le contester n’apporte pas grand-chose. En revanche, il peut être aussi l’occasion pour les professionnels et les institutions qui font correctement leur travail, avec éthique et bienveillance, de montrer leur réalité professionnelle. Nous, les travailleurs sociaux, nous ne savons pas faire la publicité de ce que nous faisons de bien. La perche nous est lancée. A nous de la saisir !

Combien de jeunes sont sortis chaque année de leur foyer ou de leur famille d’accueil alors qu’ils s’y sentaient bien au motif qu’ils ont dépassé l’âge, que, “pour leur bien”, il vaut mieux qu’ils aillent ailleurs ?

Combien d’enfants sont maintenus dans des liens fictifs avec leurs parents biologiques qu’ils n’ont pas vus depuis des années alors qu’ils ont demandé explicitement à être adoptés par leur famille d’accueil ?

Combien de temps va-t-on permettre à certains professionnels (qui sont en minorité mais qui existent sur tout le territoire français) de continuer à maltraiter les familles par leurs actes ou leurs propos ?

Combien de rapports d’informations préoccupantes ont été écrits et sont restés sans suite car l’ASE ne se donne pas les moyens d’évaluer correctement la situation ?

Combien de cas pourrais-je citer où l’ASE ne contacte ni l’école ni les partenaires qui connaissent déjà l’enfant, afin de réfléchir au mieux à sa prise en charge ?

Combien de jeunes pour lesquels un accueil provisoire a été signé sont encore au domicile de leur famille faute de place dans un établissement qui puisse leur convenir ?

Des situations problématiques, j’en ai à la pelle. Combien de temps va-t-on continuer ainsi ?

La protection de l’enfance est un sujet très sensible. Malheureusement, et même avec la meilleure volonté du monde, il y aura toujours des enfants qui continueront d’être victimes de maltraitance dans leur famille ou dans une institution, car le professionnel ne peut pas savoir ce qui n’est pas dit, ne peut pas deviner ce qu’il ne voit pas… Mais faut-il encore qu’il se donne les moyens de savoir en rencontrant l’enfant, en créant un lien avec lui, en se déplaçant à domicile, en faisant le lien avec les partenaires, etc.

Autre question de taille : comment se fait-il que de nombreux services intervenant dans la protection de l’enfance (association ou secteur public) ne bénéficient pas de supervisions ? Comment peut-on accompagner correctement des enfants ayant vécu des souffrances ou des drames d’une telle ampleur sans avoir du temps et une instance pour réfléchir ?

Pour résumer, travailler à l’ASE est une mission très difficile. De nombreux professionnels et institutions accomplissent leur mission du mieux qu’ils peuvent. Néanmoins, des problèmes existent et nous devons sortir du silence et les dénoncer pour nous en distancier et les combattre au mieux.

J’adresse une pensée chaleureuse à tous les professionnels qui interviennent auprès d’enfants en risque ou en danger et qui accomplissent leur travail avec bienveillance, conviction, empathie et professionnalisme. »

Notes

(1) Réalisé par Alexandra Riguet et Pauline Legrand – Voir ASH n° 2874 du 12-09-14, p. 34.

Contact : katell.fontaine@live.fr

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