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« Loi vieillissement : ad augusta per angusta »

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Robert Lafore. Professeur de droit public à l’université de Bordeaux-Institut d’études politiques.

Tous les latinistes en herbe – que l’on disait « distingués » lorsque l’étude de cette langue augurait des plus prestigieuses destinées – connaissaient la locutionad augusta per angusta, que l’on peut traduire approximativement par : « vers de grandes choses par la voie étroite »… Longuement préparé par Michèle Delaunay lorsqu’elle était ministre déléguée aux personnes âgées et à l’autonomie, le projet de loi dit « d’adaptation de la société au vieillissement », qui vient d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, peut passer pour une parfaite illustration de cette expression.

Pour ce qui est des « grandes choses », le projet affiche des ambitions fortes. Loin de se cantonner à des réponses limitées au problème de la perte d’autonomie, la loi s’inscrit dans une vision large pour instituer une « politique du vieillissement ». De ce point de vue, la dépendance n’apparaît que comme un aspect de la question, qu’il convient donc de situer dans une appréhension globale, concernant l’ensemble des politiques publiques en les ordonnant à une finalité générale : adapter la société au vieillissement.

Les grands axes de la réforme sont conçus en conséquence. Au titre d’un volet « anticipation et prévention », l’idée est de susciter une amélioration de l’accès aux aides techniques, d’élaborer des stratégies coordonnées de prévention mobilisant l’ensemble des acteurs, d’améliorer le repérage des personnes en risque de perte d’autonomie par des échanges d’informations, de former des bénévoles ainsi que les proches aidants. Au titre de l’adaptation de la société au vieillissement, il convient que la collectivité développe pour les personnes âgées des réponses plus spécifiques (habitat collectif, logements intermédiaires, résidences services) et qu’elle améliore leur cadre de vie (transport, logements, aménagements urbains). La vie associative des seniors doit aussi être soutenue et leur représentation dans diverses structures assurée. De nouveaux droits seront garantis, dont le droit à un accompagnement en accord avec le « projet de vie » de la personne, les droits et libertés des personnes en établissement, avec un renforcement de leur protection juridique. En ce qui concerne l’accompagnement de la perte d’autonomie, il est prévu une revalorisation de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile, un enrichissement des critères mesurant la dépendance (notion d’« évaluation multidimensionnelle des besoins »), une réorganisation des aides et une plus grande professionnalisation des personnels, une meilleure structuration de l’accueil familial, la clarification des tarifs en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et, enfin, la restructuration de l’offre de services sur les territoires qui en découle. Si l’on ajoute que la loi en discussion entend aussi réformer la « gouvernance » des politiques d’autonomie, tant au niveau national (création d’un Haut Conseil de l’âge) que local (coordination de l’ensemble des acteurs, simplification des instances de représentation), on perçoit l’ampleur du champ balayé par ce texte, qui vise à passer de prises en charge sectorisées et cloisonnées à une politique transversale cohérente prenant en compte la question du « vieillissement » dans tous ses aspects.

De grandes choses, donc, mais « par la porte étroite ». Et, on pouvait le deviner, l’étroitesse du passage tient presque entièrement au casse-tête du financement. Tout d’abord, il règne un certain flou sur le coût global de la dépendance, qui se situerait entre 27 et 34 milliards d’euros, le financement public actuel étant loin de le couvrir, avec en conséquence un « reste à charge » important pour les personnes, l’apport des aidants familiaux n’étant, de plus, pas comptabilisé. Face à cette réalité, les chiffrages gouvernementaux laissent un peu sceptique : le coût de la réforme est estimé à 640 millions d’euros ; la prévention chiffrée à 140 millions ; un plan national d’adaptation de 80 000 logements serait doté de 40 millions par la CNSA ; la revalorisation de l’APA devrait mobiliser 375 millions d’euros – toutes ces dépenses étant en principe gagées sur des ressources effectives. Soit, mais ce quelque 1,3 milliard d’euros fait bien pâle figure face aux masses financières que devrait mobiliser un tel plan. Par exemple, le Conseil économique, social et environnemental, qui s’est livré à des calculs, fait état de la nécessité d’adapter au moins deux millions de logements et considère que, pour la réforme des seuls EHPAD, il faudrait de 2 à 3 milliards d’euros.

Bref, une porte bien étroite pour faire passer des projets d’une telle ampleur… Pour le coup, plutôt que la locution latine, on pourrait évoquer une parole évangélique connue : celle du chameau qui doit passer par le chas d’une aiguille.

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