« Des stages gratifiés pour tous » et « un budget fléché, pérenne » pour en assurer le financement. Telles sont les revendications de la Coordination étudiante d’Ile-de-France pour la gratification des stages, mobilisée depuis la rentrée, à l’instar d’autres collectifs étudiants en régions, en Languedoc-Roussillon ou en Auvergne notamment. Après une première manifestation, quelque 200 étudiants franciliens se sont de nouveau fait entendre le 27 octobre devant les locaux de la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, où une délégation a été reçue, en présence, rapporte-t-elle, de représentants du ministère des Affaires sociales, de l’agence régionale de santé et de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). « La situation est différente selon les écoles de formation, mais le point commun est que l’on galère tous, et de plus en plus ! », témoigne un membre de la coordination, étudiant en troisième année de formation d’éducateur spécialisé. Selon les promotions, le taux d’étudiants sans stage au mois d’octobre peut atteindre 50 %, précise-t-il. Des chiffres cependant difficiles à appréhender de manière globale, la situation évoluant d’une semaine à l’autre selon les filières. « Face à cette situation, on nous répond par une proposition d’assouplissement qui permettrait aux étudiants n’ayant pas obtenu de stage d’être présenté au diplôme, cette période sur le terrain pouvant être remplacée par un temps de formation théorique en pluridisciplinarité, indique-t-il. On ne nous donne pas d’argent et on nous enlève nos stages ! Nous attendons que le gouvernement trouve une solution au problème qu’il a créé en débloquant les fonds nécessaires. » La coordination, qui évalue ces besoins à 70 millions d’euros, a appelé tous les mouvements d’étudiants en travail social à se réunir les 1er et 2 novembre pour organiser une mobilisation nationale.
Alors que la pénurie de terrains de stages s’est accrue depuis la loi « Fioraso » du 22 juillet 2013 qui a étendu la gratification aux établissements relevant de la fonction publique hospitalière et des collectivités territoriales, la loi du 10 juillet 2014 sur l’encadrement des stages a rendu la situation encore plus tendue. Le texte revalorise en effet le montant de la gratification (qui atteint 523,26 €) et étend cette rétribution à tous les niveaux de formation, pour les stages de plus de deux mois. Dès le vote de cette dernière réforme, l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis) avait alerté les pouvoirs pubics d’un risque d’« asphyxie » des formations en travail social et monté une « cellule de crise » pour tenter d’anticiper les difficultés. « Nous avons craint le blocage de la situation en septembre, explique Diane Bossière, directrice générale de l’Unaforis. La situation a empiré mais, du fait que les textes d’application ne sont pas parus, de façon moins brutale que prévu. Malgré tout, les employeurs qui ne voulaient pas gratifier en l’absence de décret seront à terme soumis à cette obligation et sont de plus en plus réticents à embaucher des stagiaires. La situation est hétérogène selon les régions, mais certains centres de formation se retrouvent en difficulté, par exemple lorsqu’un gros employeur a décidé de ne plus recruter de stagiaires ». Un seul décret, découlant de la loi « Fioraso » et de la loi de juillet dernier, serait en cours de signature. Quant aux 5,3 millions d’euros débloqués en février 2014 pour aider les organismes nouvellement soumis à la gratification, « ce sont des redéploiements, notamment de crédits prévus pour les PREFAS [pôles régionaux de recherche et d’étude pour la formation et l’action sociale], et nous attendons de savoir comment ils ont été utilisés. A priori, ils n’ont été que partiellement consommés », précise Diane Bossière. L’Unaforis a demandé des clarifications sur les modalités d’abondement de ce fonds et sur son avenir pour 2015, ainsi que des garanties pour que le financement des PREFAS ne soit pas pénalisé.
L’organisation attend en outre de la DGCS qu’elle confirme les mesures qu’elle a proposées pour les étudiants en fin de formation dépourvus de stage, qui auraient néanmoins acquis les compétences prévues par les référentiels. Cette solution transitoire est envisagée selon des modalités qui, selon Diane Bossière, n’ont pas encore été arrêtées, en attendant la refonte de l’architecture des diplômes prévue dans le cadre des états généraux du travail social, en cours de préparation pour la troisième semaine du mois de janvier 2015. « Les modalités de l’alternance intégrative, qui ne doivent pas être réduites à la question de la durée des stages, font l’objet d’une réflexion au sein du groupe de travail national et multipartenarial sur l’architecture des diplômes, explique-t-elle. L’acquisition des compétences de terrain pourrait par exemple être corrélée au développement d’une mission au profit de l’employeur par un collectif d’étudiants, sous la forme d’une conduite de projet ou la participation à une recherche action. » Un projet qui s’impose faute d’avoir pu trouver des solutions à la raréfaction des stages ? « Il est certes lié à la question de la gratification, mais aussi à la nouvelle architecture des diplômes et à la création d’un socle commun par niveau. Dans ce cadre, les modes de professionnalisation pourraient être diversifiés, au-delà de la seule modalité de stage », répond la direction générale de l’Unaforis. Une « lettre ouverte » aux associations, services publics et collectivités territoriales est en cours d’envoi, par le biais de ses représentants territoriaux, pour les associer à une réflexion sur les modes d’apprentissage et les coopérations entre établissements de formation et employeurs à développer, dans la perspective de la refonte des diplômes. Laquelle pourrait intervenir dès la rentrée 2015 pour les niveaux V et en 2016 pour les autres.
Une perspective qui suscite d’ores et déjà des réactions. Dans un communiqué commun, l’Association pour la formation au métier d’éducateur de jeunes enfants, le collectif Avenir éducs, l’Association des collectifs enfants parents professionnels, la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants, l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés, ainsi que « divers centres de formation », demandent de « maintenir la durée des stages d’immersion professionnelle pour une véritable alternance, condition pour que les étudiants expérimentent réellement la dimension clinique et éducative de leur pratique, mettent au travail leur positionnement professionnel et relient l’ensemble aux apports théoriques pour que ceux-ci prennent sens ». Les signataires réclament l’ouverture de négociations, afin, notamment, de « libérer les terrains de stage de la charge de gratifier en mutualisant les fonds, puis en mandatant un organisme chargé de gratifier directement les étudiants ».