Le coût pour les finances publiques – en particulier pour les organismes de sécurité sociale – des mandataires judiciaires à la protection des majeurs a fortement augmenté entre 2008 et 2013, passant de 416 à 571 millions d’euros. Un état de fait lié à la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs qui, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS)(1), a eu pour effet d’améliorer la prise en charge financière des mesures de protection conduisant à une hausse de 22 % du coût total du dispositif entre 2008 et 2009. En outre, en élargissant le financement des mesures de protection juridique, auparavant assuré par l’Etat, à la sécurité sociale, la réforme s’est accompagnée d’un transfert de charges vers cette dernière. Les mesures de protection juridique devant « croître fortement dans les prochaines décennies »(2), l’IGAS estime « urgent dans ce contexte de rétablir les bases d’une meilleure maîtrise du dispositif de protection juridique des majeurs » et formule en ce sens des propositions.
Pour l’IGAS, le dispositif de protection juridique des majeurs bénéficie d’un « mode de financement complexe ». En effet, explique-t-elle, celui-ci est assuré, à titre principal, par une participation des majeurs et, à titre subsidiaire, par une participation publique variant selon les types de mandataires (services mandataires ou mandataires exerçant à titre individuel, les préposés d’établissement, eux, ne bénéficiant pas de financements publics). Parmi les financeurs publics, ce sont les organismes de sécurité sociale qui contribuent le plus à ce dispositif (344 millions d’euros en 2013) et, en particulier, les caisses d’allocations familiales (CAF), devant l’Etat (225 millions) et les départements (3 millions). Plus globalement, l’inspection a constaté que le coût du dispositif est plus important que ce qui avait été prévu lors de la réforme (718 millions en 2013 au lieu de 564 millions), alors que les mesures sont moins nombreuses que prévu (392 471 en 2013, contre 403 343). Et cette progression du coût a plus pesé sur le financement privé, passé de 17 % à 18,5 % du coût global, que sur le financement public, passé de 82 à 79,5 %, celui de la sécurité sociale étant lui passé de 37 % en 2008 à 60,2 % en 2011.
Dans ce contexte, l’IGAS suggère tout d’abord de simplifier le dispositif de financement et de paiement. Par exemple, elle propose de « remplacer la règle actuelle de détermination du financeur au niveau local [celui qui verse le plus haut montant de prestations sociales de solidarité au majeur protégé finance la mesure de protection] par une règle de répartition nationale ». L’objectif étant de « partager ce coût et d’en faire supporter une partie par la sécurité sociale ». Ainsi, souligne le rapport, « la clef de répartition nationale pourrait être calquée sur la répartition actuellement constatée entre financeurs : 39,3 % au titre de l’Etat, 60,2 % pour la sécurité sociale »(3).
Par ailleurs, l’inspection recommande de réduire le nombre de financeurs au niveau local. Dans un premier scénario, elle propose de ne désigner qu’un seul payeur unique, privilégiant la CAF. En effet, explique-t-elle, « cela permettrait aux services de l’Etat de se concentrer sur le pilotage de la politique de protection des majeurs vulnérables : tarification, contrôles, coordination de l’ensemble des acteurs… ». Toutefois, estime l’IGAS, cette hypothèse n’est envisageable que si cela ne se traduit pas par une charge supplémentaire pour les CAF. Parallèlement, indique-t-elle, il conviendrait d’« opérer au plan national une fongibilité entre l’Etat et la sécurité sociale » (abondement de l’Etat au budget de la caisse nationale des allocations familiales, création d’un « fonds national de financement des mandataires judiciaires »…). Dans un second scénario, le rapport préconise de désigner deux payeurs au niveau local, la CAF et la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), la participation de chacune pouvant respectivement être fixée à 60,5 % et 39,5 % (les départements sortant ici du financement). Avantages, selon lui : « maintenir, lorsqu’il existe, ou le conforter ailleurs, le dialogue entre les DDCS et les CAF dans l’examen des budgets des services », et apporter une « plus-value en termes de contrôle ». Il subsisterait une difficulté, poursuit-il, celle de la vérification des ressources des majeurs protégés qu’il conviendrait de confier aux CAF (qu’ils soient ou non leurs allocataires) en leur permettant de solliciter les services fiscaux.
Ensuite, l’IGAS propose de « renforcer la participation des personnes protégées et de leur famille dans le cadre d’un barème plus équitable ». La loi du 5 mars 2007 a généralisé la participation des personnes protégées au financement de leur mesure de protection – fondée sur un barème unique établi en fonction de leurs ressources –, le financement public n’étant que subsidiaire. Mais le système actuel se caractérise par une « situation d’inégalité entre les personnes protégées du fait d’une application différenciée du barème selon les catégories de mandataires ». Or, rappelle l’IGAS, le Conseil d’Etat a souligné, dans une décision du 4 février 2011, que la participation de la personne protégée ne pouvait être supérieure au coût de la mesure, qui doit correspondre à la rémunération des mandataires judiciaires. A ce titre, le barème de participation financière des majeurs protégés ne peut être appliqué que dans la limite, s’agissant des mandataires individuels, des tarifs mensuels forfaitaires appliqués. Si la participation du majeur protégé se révèle supérieure au coût de la mesure, elle doit alors être plafonnée à ce dernier montant. L’inspection insiste donc pour que ce barème soit révisé et s’attache à « corréler le niveau de participation de la personne protégée au coût de la mesure et ce, quel que soit le type de mandataire »(4).
Enfin, pour maîtriser le coût du dispositif de protection des majeurs, l’IGAS recommande aussi d’« agir sur le flux global de mesures et [de] renforcer le caractère subsidiaire du dispositif de protection juridique ». Si ce dernier vise à protéger les personnes présentant une altération des facultés personnelles, pour les autres situations (personnes souffrant d’addictions, en situation de surendettement…), l’accompagnement social doit être privilégié. C’est pourquoi elle estime qu’il faudrait développer les mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP) et le mandat de protection future. Selon l’inspection, les MASP n’ont pas rencontré le succès escompté – seulement 10 000 mesures à la fin 2012 –, en raison notamment du « déficit d’information et de communication autour du dispositif et [de] son insuffisante appropriation par les travailleurs sociaux », des « situations de personnes à protéger qui ne sont pas aussi clairement différenciées que ne le prévoyait la loi, entre les MASP de niveau 1, 2 et 3 »(5) et de l’exclusion de certaines personnes du dispositif (personnes âgées ne touchant pas de prestations sociales mais disposant de petites retraites, jeunes de moins de 25 ans…). En outre, souligne le rapport, « bien qu’inférieur aux prévisions(6), le coût global des MASP pour les départements se serait élevé […] à 27 millions en 2013 ». Un coût qui « pèse incontestablement sur le développement de ce dispositif ». L’IGAS estime donc « opportun de repenser les MASP dans le cadre d’une réflexion plus globale sur les mesures relatives à l’accompagnement et à la protection des publics vulnérables ».
S’agissant du mandat de protection future, il est, lui aussi, peu sollicité : 5 000 mandats ont été contractés à ce jour, selon le conseil supérieur du notariat, et, d’après le ministère de la Justice, 1 353 ont pris effet entre 2009 et 2012. Pour le conseil supérieur du notariat et les acteurs associatifs, trois facteurs expliquent cette situation : un défaut de notoriété auprès du grand public et des professionnels, des « freins psychologiques » et des « limites liées à l’outil lui-même et qui sont de nature à limiter son attractivité : absence de mesure de publicité tant pour la conclusion que pour la prise d’effet, absence de contrôle de la personne désignée mandataire, absence de limitation dans le temps de la mesure ». Se fondant sur les travaux engagés dans le cadre du Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées, l’IGAS suggère d’« introduire dans le projet de loi sur l’adaptation de la société au vieillissement les aménagements nécessaires à la sécurisation du mandat de protection future (publicité, modalités de renouvellement ou confirmation régulière du consentement…) »(7) et d’« organiser ensuite une information systématique du grand public, par différents relais professionnels (notaires, caisses de retraite au moment du passage à la retraite…) ». Il lui importe également d’« encourager les formules permettant d’apporter une alternative aux mesures de protection juridique pour faire face à des besoins d’assistance de la part de la famille ». Une préconisation déjà prise en compte par la chancellerie dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui prévoit une disposition permettant au juge d’habiliter, sous certaines conditions, des membres de la famille à agir dans l’intérêt d’un proche hors d’état de manifester sa volonté, sans avoir à solliciter une mesure de protection juridique(8). Selon l’Association nationale des juges d’instance, cette mesure serait « susceptible de réduire de l’ordre de 15 à 20 %, selon les situations de chaque ressort, le nombre de dossiers de tutelle ouverts et la charge que représente leur gestion pour les juridictions », rapporte l’IGAS. Mais surtout, estime-t-elle, cela pourrait indirectement conduire à diminuer le nombre de mesures de protection juridique en permettant aux juges des tutelles d’examiner plus au fond les demandes de renouvellement des mesures, un examen indispensable pour limiter la poursuite d’une mesure lorsqu’elle ne se justifie plus.
(1) Financement par les organismes de sécurité sociale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs – Juillet 2014 – Disponible sur
(2) L’IGAS estime que les demandes de protection progresseront « inévitablement », en raison de l’allongement de l’espérance de vie des personnes handicapées ou du vieillissement de la population et de « l’accroissement prévisible » du nombre de personnes âgées dépendantes. Et, « dans ces conditions, la précarisation d’une partie de la population, l’affaiblissement des solidarités familiales et, d’une manière générale, la moindre disponibilité des familles […] ne peuvent que renforcer le recours à un tiers pour la gestion des mesures ».
(3) Dans la mesure où les départements ne contribuent au dispositif qu’à hauteur de 3 millions (soit 0,5 %), l’IGAS propose même de les sortir du financement. La répartition serait alors de 39,5 % pour l’Etat et de 60,5 % pour la sécurité sociale.
(4) Le rapport signale que la direction générale de la cohésion sociale a d’ores et déjà travaillé à l’élaboration d’une grille tarifaire unique qui doit être « prochainement » présentée aux représentants des mandataires.
(5) La mesure de base comprend un accompagnement social et une aide à la gestion du budget (MASP 1). En complément, son bénéficiaire peut demander la gestion déléguée de tout ou partie de ses prestations sociales, pour qu’elles soient affectées en priorité au paiement du loyer et des charges locatives (MASP 2). En cas de non-paiement du loyer depuis au moins deux mois, un dispositif contraint de gestion des prestations sociales peut être mis en place sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’adhésion de l’intéressé (MASP 3).
(6) D’après les projections initiales de la direction générale de la cohésion sociale, le coût total de la mise en œuvre des MASP était estimé à 12 millions d’euros en 2009, 29 millions en 2010 et 49 millions en 2011.
(7) Signalons que le projet de loi, toujours en cours d’examen au Parlement, prévoit déjà la création d’un registre spécifique pour recueillir les mandats contractés – Sur les grandes lignes de ce texte, voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 53.
(8) Ce texte devait être examiné, en nouvelle lecture, à l’Assemblée nationale le 30 octobre – Sur les grandes lignes du projet de loi, voir ASH n° 2836 du 6-12-13, p. 11.