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Finir sa vie dignement : passer du droit à la réalité

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Malgré les lois et recommandations qui encadrent la fin de vie, beaucoup de personnes âgées décèdent encore dans la souffrance en institution, déplore Gladys Cominelli, directrice d’un EHPAD en zone rurale en Aveyron. Elle propose des pistes d’amélioration, au premier rang desquelles une meilleure information des familles et le renforcement des missions du médecin-coordinateur et du médecin traitant.

« L’accompagnement en fin de vie et la prise en charge de la douleur restent encore un sujet difficile à aborder, que ce soit à domicile ou en institution. Cette problématique devient pourtant de plus en plus fréquente en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)(1). Comment faire respecter la dignité et l’intégrité de la personne en fin de vie ? La confrontation entre une situation dite “idéale” et la réalité quotidienne demeure le plus souvent ardue. Quelle place doit-on réserver à la personne malade dans le choix de sa prise en charge en fin de vie, et à la personne de confiance qui l’accompagne(2) ?

Autant de questions auxquelles est confronté le personnel en institution qui souhaite agir au mieux pour son patient, le conduire vers une fin de vie paisible et sans douleur. Les soignants se sentent, de par leur engagement professionnel, responsables de cet accompagnement. Le sujet a été très largement traité, de nombreuses lois, chartes et recommandations encadrent le protocole de fin de vie. Mais la personne en fin de vie connaît-elle ses droits, sont-ils appliqués et respectés ?

Le « masque » de la douleur

La fin de vie sans douleur semble être un droit. Certes, chacun est libre de choisir de souffrir ou non avant de partir. Certaines personnes ont décidé d’accepter la souffrance avant de mourir par référence culturelle ou religieuse ; nous devons respecter ces choix même si cela va à l’encontre de nos propres valeurs. Mais d’autres subissent cette situation. Par ignorance, par oubli ou par une dégradation subite de leur état de santé, elles n’ont pas désigné leur personne de confiance et exposé leur volonté sur le sujet. La famille, les amis et les soignants vont devoir “relayer” cette souffrance. Les gestes quotidiens deviennent alors pénibles et la manipulation pour les soins devient de plus en plus difficile. Le patient souffre et porte “le masque” de la douleur. Quelle réflexion doit-on mener sur l’affliction induite par les soins ?

Voir une personne souffrir reste insupportable et intolérable, que ce soit pour l’entourage, la famille ou l’équipe médicale. Il est impossible de ne pas prendre en considération cet état de fait et de ne pas réagir à cette détresse.

Les soins palliatifs sont encadrés par un protocole bien défini en concertation avec les équipes soignantes, le médecin traitant, le patient et la famille. Il s’agit d’un travail pluridisciplinaire qui fait l’objet d’un projet de fin de vie. Ce protocole est supervisé par le médecin traitant, celui-ci ayant un rôle de prescripteur et de chef d’orchestre dans l’organisation de l’accompagnement en fin de vie. Les médecins sont formés en conséquence et réalisent un travail de qualité. On constate pourtant sur le terrain certaines carences de la part des praticiens quant à la décision de l’arrêt des traitements. Ils ne tiennent pas compte de la douleur, préconisant même au dernier souffle de vie des traitements curatifs. Ont-ils peur que leur responsabilité soit engagée en cas d’arrêt des traitements ? Ou craignent-ils d’accélérer la mort du patient ? Cette obstination déraisonnable peut prolonger la vie du patient de quelques semaines, mais à quel prix pour le malade et son entourage ?

Il y a pourtant à la disposition du médecin tout un panel thérapeutique permettant de soulager la personne. Le médecin traitant possède en outre la possibilité de se faire accompagner de spécialistes en soins palliatifs, comme l’association Palliance(3), et orienter ainsi le choix thérapeutique. L’hospitalisation à domicile peut apporter des éléments d’accompagnement et un confort technique supplémentaire en institution.

Le personnel soignant est formé à l’accompagnement en fin de vie. L’évaluation de la douleur est systématiquement réalisée en EHPAD selon les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM)(4). Que devient-elle ? Est-elle vraiment prise en compte ? Le personnel se sent-il vraiment reconnu dans ses compétences professionnelles ? Plusieurs éléments existent : la déclaration des droits de l’Homme, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, la loi “Leonetti” du 22 avril 2005(5), les chartes des droits de la personne accueillie et des droits de la personne hospitalisée, les bonnes pratiques et les recommandations de la Haute Autorité de santé.

Pourtant, encore trop de personnes décèdent dans la souffrance. Il est de notre mission de faire évoluer les mentalités. Voici quelques pistes de réflexion que nous pouvons étudier entre les différents professionnels, les patients et les familles. Il est important de recueillir suffisamment tôt les directives anticipées et de les faire connaître auprès de son médecin traitant et de son entourage. Il est indispensable de désigner une personne de confiance qui sera garante du respect de ses choix en fin de vie. Il faut aussi informer le public par des campagnes publicitaires : distributions de dépliants par le biais de la caisse primaire d’assurance maladie ou les caisses de retraite au domicile des personnes.

Il faut encore mettre en place des réflexions éthiques au plan départemental et/ou national sur le sujet, inviter les patients, les directeurs d’établissements, les médecins, le personnel soignant, les élus, les agences régionales de santé, le conseil général et les représentants des familles à réfléchir sur les pistes d’amélioration à mettre en place dans l’accompagnement de la fin de vie et la prise en charge de la douleur. Comment obtenir l’adhésion des professionnels et comment être assuré de leur participation(6) ?

Soutenir les équipes

Il est important de maintenir ou d’organiser les réunions d’équipes et les réunions de concertation pluridisciplinaire visant à mettre en place un protocole de fin de vie comme le préconise la loi “Leonetti”. Une analyse des pratiques menée par le médecin coordonnateur et le psychologue de l’établissement devrait permettre aux équipes d’exprimer leurs difficultés en cas d’accompagnement difficile. Ce retour d’expérience est essentiel pour garder le professionnalisme et la motivation des équipes.

Les réunions de coordination gériatrique avec les médecins traitants en institution sont également importantes pour que l’ensemble du projet de soin soit le plus cohérent possible. Elles sont néanmoins désertées par nombre de praticiens directement concernés. Les formations permettent au personnel soignant, aux médecins coordonnateurs et aux médecins traitants d’être plus performants dans l’accompagnement en fin de vie et la prise en charge de la douleur. Le développement professionnel continu des professionnels de santé favorise le maintien des acquis et actualise les connaissances.

Le directeur d’établissement est garant du respect des droits de la personne accueillie. Il ne peut nullement s’interposer dans les prescriptions du médecin traitant, n’ayant pas les compétences médicales requises. Il ne peut que l’alerter sur la douleur du résident, la détresse de la famille et la difficulté d’assurer les soins des équipes. Il est l’interface entre les résidents, les familles, les équipes soignantes, le médecin coordonnateur et le médecin traitant. Il ne dispose d’aucune instance pour dénoncer des pratiques, sans risque de se voir poursuivi par l’ordre des médecins. En revanche, Il peut s’appuyer sur les compétences du médecin coordonnateur, salarié de l’institution mais cependant limité dans ses fonctions. Celui-ci en effet ne peut ni prescrire ni même discuter une prescription, sauf en cas d’urgence. Dans la prise en charge de la fin de vie et de la douleur, il peut conseiller son confrère, l’encourager à s’entourer de professionnels et à prendre en compte la douleur du patient. Le médecin coordonnateur doit faire preuve de diplomatie et de professionnalisme pour convaincre parfois ses confrères d’engager des soins palliatifs dans leur intégralité. Il est donc important de renforcer ses missions de coordinateur de soins, d’autant plus qu’il est garant du respect des droits de la personne accueillie.

L’infirmière coordinatrice a un rôle d’encadrement des équipes soignantes. Elle doit s’assurer de la mise en œuvre des projets de soins, des projets de vie dans le respect du choix du résident. Sa mission est de coordonner les interventions de tous les acteurs du réseau de l’EHPAD.

En pratique, ces interventions sont difficiles à mettre en place sans une participation active et concernée du médecin traitant. Au quotidien, elle se heurte directement à la pénibilité des situations rencontrées par les soignants, à l’incompréhension des familles et à la douleur du patient. Comme pour le médecin coordonnateur, il est important de renforcer ses missions et ainsi de donner à ce binôme un champ d’action plus large.

La dignité et le respect des droits des résidents accueillis sont de la responsabilité de chaque professionnel et de l’entourage. La communication et l’analyse des pratiques permettent une prise en charge du patient de plus en plus satisfaisante. Il faut aussi parfois accepter, malgré nos efforts, l’échec car nous sommes perfectibles et nous avons aussi nos limites. »

Contact : g.cominelli@anras.fr

Notes

(1) Voir notre enquête sur le sujet, dans les ASH n° 2708 du 6-05-11, p. 30.

(2) La loi « Leonetti » du 22 avril 2005 a donné la possibilité au patient de désigner une personne de confiance. Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, adopté en première lecture le 17 septembre à l’Assemblée nationale, étend cette possibilité aux usagers du secteur social et médico-social, en l’adaptant – Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 53.

(3) Réseau de soins palliatifs en Aveyron.

(4) Notamment celles sur « La qualité de vie en EHPAD (volet 4) – L’accompagnement personnalisé de la santé du résident » (novembre 2012) – Disponible sur www.anesm.sante.gouv.fr, rubrique « Publications ».

(5) Jean Leonetti, député (UMP) des Alpes-Maritimes et maire d’Antibes et auteur de la loi, a d’ailleurs été chargé avec Alain Claeys, député (PS) de la Vienne et maire de Poitiers, de préparer un nouveau texte de loi sur l’accompagnement des personnes en fin de vie – Voir ASH n° 2866 du 27-06-14, p. 16.

(6) Par exemple, le 7 octobre à Capdenac-Gare en Aveyron, l’Association nationale de recherche et d’action solidaire a organisé « Les entretiens des EHPAD » sur le thème « Accompagnement de la fin de vie, douleur, la place de chacun, le dire vrai ».

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